tuelles. Reportez-vous aux références ci-dessus
Collège des Jésuites de Reims, M. Antoine Faivre remarque avec justesse | 1. Antoine Faivre. "Présentation de
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(et modestie) que sa « structure d'ensemble, en tant que signification ou | La Vierge alchimique, tableau du
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message, a échappé à tous les observateurs » (1). Le regain d'intérêt dont jouit | musée de l'Ancien Collège des
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ainsi cette peinture à plus d'un titre singulière me pousse, reconsidérant | Jésuites de Reims (XVIIe siècle)" dans
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une étude personnelle entreprise puis laissée en attente il y a près de deux | La Bible, images, mythes et traditions,
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décennies, à apporter une contribution à sa lecture, comme épisode d'une | Albin Michel, Paris, 1995, p. 211.
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découverte à poursuivre par qui en aura l'impulsion. |
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Antoine Faivre a fort bien exprimé le caractère de cette oeuvre « riche de | résumé de la fortune et de l'infortune
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contenus sémantiques et symboliques, mais dispersés, voire éclatés » (2). | critiques, depuis le milieu du siècle
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| dernier, de cette peinture, ainsi
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| que la bibliographie s'y rapportant.
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| Le tableau de Reims (fig. 1) regroupe de fait en sa surface, souvent superposés
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| sur le même motif, tous les moyens suggestifs ou inductifs et artifices
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| cryptographiques générés (ou empruntés) par l'iconologie et l'écriture
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| alchimiques: l'allégorie métaphysique, l'analogie physico-mythique, des
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| allusions textuelles, arithmologiques et même historiques, les calembours
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| et assonances de la « cabale phonétique », le rébus (dont on sait la vogue
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| immense et l'extension à des domaines inattendus, au Moyen Age et à la
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3. Voir sur ce sujet le très | Renaissance surtout, mais encore au-delà) (3), et jusqu'à des indications
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remarquable travail de Jean Céard | précises de poids et de temps relatives au travail du laboratoire.
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et Jean-Claude Margolin. |
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Rébus de la Renaissance, 2 vols, |
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Maisonneuve et Larose, Paris, 1986. | Mon déchiffrement de ce foisonnement polymorphe -- auquel il n'est pas
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| exclu du tout que l'on trouve des significations supplémentaires, voire
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| alternatives -- est loin d'être exhaustif. L'interprétation que j'en offre, toutefois,
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| réglée sur la confluence d'une spécificité opératoire, d'une résonance
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| sensitive et d'une incidence spirituelle, prend son premier appui sur la présence
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| dans l'image d'indices et d'indications qui, dans leur netteté et leur
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| concordance, paraissent difficilement récusables. A partir de là, et sachant
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| bien la vanité initiale et la stérilité finale de toute tentative de « traduction en
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| clair » du langage imaginal propre à l'Alchimie, j'ai tenté que cette interprétation,
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| conformément à l'esprit d'une tradition que je veux honorer, doive
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| son éventuelle consistance au jeu agonistique de l'évidence et du mystère,
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| du littéral et de l'onirique, de l'élucidation et de la sainte incertitude.
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Navigare necesse, vivere non necesse. |
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Naviguer est nécessaire, vivre n'est pas nécessaire (4). | 4. La première mention de
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| l'exclamation devenue devise
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Pompée le Grand | et citation célèbre est dans
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| les Vies de Plutarque (Pompée, 50.2).
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Ce qu'avant toute analyse le premier coup d'oeil au tableau dégage, |
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comme double décor symbolique et substrat de sens, est, par l'entremise |
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figurée de la terre ferme et de la mer, la dialectique basique du sec et de |
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l'humide. Je pense qu'il ne faut pas voir là désignées les deux voies réputées |
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optionnelles du Grand Oeuvre, ma proposition étant que toute l'imagerie |
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de notre peinture se rapporte à la voie sèche, ainsi nommée, on le sait, |
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parce que l'essentiel des opérations au feu s'effectue, tout au long de ses |
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trois phases majeures, au creuset métallurgique de terre réfractaire. (En |
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marge des indices très forts qui soutiennent ce parti, et que nous extrairons |
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tout à l'heure des figures et des chiffres, notons que Pierre Cocquault, |
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contemporain et compatriote de l'artiste modeste et du commanditaire et |
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| inspirateur savant de notre tableau -- à supposer, plausiblement, qu'il s'agisse
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| de personnes différentes -- nous parle, à propos de l'an 1137 -- car les nombres
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| qui s'exposent au centre de l'image, et là pour des raisons non chronologiques,
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| à la sagacité du spectateur, sont aussi des dates! -- « de la grande
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5. Table Chronologique extraite | sécheresse qui fit que les rivières furent taries en France ») (5).
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sur l'histoire de l'Eglise, Ville, et |
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Province de Reims. Composée par feu | Depuis l'affermissement de la raison philologique, les commentateurs
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M. Pierre Cocquault, Prétre [sic], | sérieux n'ont pas confondu, ont cherché au moins à ne pas confondre, les
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Chanoine de l'Eglise de Reims [...] | quatre antiques Eléments, tels que l'Alchimie les met en scène, avec leurs
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Reims, 1650, p. 214 | dénominations homonymes, les composés chimiques, mélanges gazeux,
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| phénomènes ou états de la matière qui semblent être (d'ailleurs sans cohérence
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| linéaire) leurs équivalents directs dans le monde dit objectif des
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| consensus palpables. Il y a toutefois un hiatus entre cette précaution intellectuelle
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| et l'accès aux notions qui inaugurent, élémentairement, l'aventure
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| conceptuelle et existentielle de l'Alchimie, dans sa version très originale
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| du réel et de l'imaginaire dans leur relation. Ainsi l'« humide radical », si
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| souvent invoqué dans les textes, a priori situé dans l'espace symbolique de
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| l'Eau, n'est que métaphoriquement un fluide -- au sens vieilli du terme qui
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| le faisait synonyme de liquide. C'est cependant cette fluence méta-physique,
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| postulée à la « racine » des natures minérale et psychique, qui rendrait possible
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| une transgression subtile et décisive de la détermination autrement inflexible
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| des identités spécifiques et individuelles, dites « prisons de Saturne ».
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Artephius, dans la traduction qu'en donne Pierre Arnauld en 1612, après |
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avoir rappelé, ce qui est rien moins que banal, que « la nature s'amende en sa |
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semblable nature », parle de « notre eau », ajoutant qu'elle est appelée « le |
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moyen et milieu de l'âme, sans lequel nous ne pouvons travailler en cet Art ». |
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6. Le Livre Secret du tres ancien |
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Ces remarques devraient nous aider à aborder, puis à approfondir, | Philosophe Artephius traitant de l'Art
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éventuellement jusqu'à ce qu'il réveille en nous l'intuition et l'intention qui | occulte & de la pierre Philosophale.
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lui correspondent, le très irrationnel et fondamental concept -- celui de | dans Trois Traitez de la Philosophie
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REINCRUDATION -- qui constitue le fil de notre étude parce qu'il est le coeur | naturelle non encore imprimez[...]
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même du « message » de la parthénos de Reims tel que nous l'indiqueront, | le tout traduit par P. Arnauld sieur
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au centre de l'image, les signes figurés mais d'abord les textes canoniques | de la chevallerie Poitevin.
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auxquels nous serons renvoyés. | A Paris, chez Guillaume Marette,
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« Donc la transmutation des métaux imparfaits » continue Artephius | Les éditions La Table d'Emeraude
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à la même page du texte cité « est impossible par les corps durs & secs, | ont récemment republié ce texte,
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mais seulement par les mous & liquides. De ceci il faut conclure, | y adjoignant un intéressant
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qu'il faut faire revenir l'humide, & révéler le caché. Ce qui s'appelle | document critique dû à la plume
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réincruder les corps, c'est-à-dire les cuire & amollir, jusques à ce qu'ils | de Michel-Eugène Chevreul
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soient privés de leur corporalité dure & seiche, par ce que le sec | en 1867, et témoignant de l'intérêt
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n'entre point, ni ne teint que soi-même. » (6) | studieux porté par l'illustre chimiste,
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| plus connu comme auteur du
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| De la loi du contraste simultané des
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Paradoxalement ce « retour de l'humide » se fait, nous y reviendrons avec | couleurs (1889), aux écrits alchimiques.
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précision, dans et par l'extrême sécheresse des milieux et agents. |
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Le texte a été composé en Granjon, et les illustrations gravées par GEGM, Paris