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Réfer. : AL0701A
Auteur : Iehan de la Fontaine.
Titre : La fontaine des amoureux de science.
S/titre : .
Editeur : Rigaud. Lyon.
Date éd. : 1618 .
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LA FONTAINE
DES
AMOUREUX DE SCIENCE
Ce fut au temps du mois de Mai,
Qu'on doit fuir deuil et *esmay, **esmay: émoi.
Que j'entrais dedans un verger
Dont Zephirus fut jardinier.
Quand devant le jardin passais,
Je n'étais pas vêtu de soie,
Mais de pauvres draps maintenu,
Pour n'apparoir en public nu.
Et m'ébattant avec désir
De chasser loin mon déplaisir,
Ouï un chant harmonieux
De plusieurs oiseaux gracieux.
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Adonc je regardai l'entrée
Du jardin, qui était fermée.
Mais comme ma vue estima,
Zephirus tôt la *defferma; **defferma: ouvrit.
Puis se retira, par effet
Montrant qu'il n'avait cela fait.
Et quand je vis cette manière,
Je me tirais un peu arrière,
Et en après entrais dedans.
Du jour n'avais mangé des dents;
J'avais grand soif et grand faim,
Mais portais avec moi du pain
Qu'avais gardé une semaine.
Lors aperçu une fontaine
D'eau très claire, pure et fine,
Qui était sous une aubépine.
Joyeusement auprès m'assis,
Et de mon pain souper y fis;
Puis m'endormis, après manger,
Dedans ce gracieux verger;
Et, selon mon entendement,
Je dormis assez longuement,
Pour la plaisance que prenais
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Etant au songe que songeais.
Or pourrez savoir de mon songe,
Et *s'après le trouvais mensonge. **s'après: si après.
Il est vrai qu'il me fut avis
Que deux bell's dames au clair *vis, **vis: visage, face
Semblables à filles de roi
Au regard de leur noble arroi,
Vers moi s'en vinrent doucement;
Et je les salue humblement,
En leur disant: « Illustres dames,
« Dieu vous sauf et de corps et d'âme!
« Plaise vous à moi vos noms dire;
« Ce ne me veuillez éconduire. »
L'une répond par grand plaisance:
« Ami, j'ai à nom Connaissance;
« Voici Raison que j'accompagne,
« Soit par monts par vaux, par campagne;
« Elle te peut faire moult sage. »
Alors entendant ce langage,
Et *cuidant être réveillé, **cuidant: croyant.
D'un cas fus fort émerveillé:
Car *issir vis de la fontaine, **issir: sortir.
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Qui est tant agréable et saine,
Sept ruisseaux que vu je n'avais,
M'étant couché en cette voie,
Lesquels m'avaient si fort mouillé
Que j'en étais tout souillé.
Là s'épandait l'eau à foison.
Adonc priais dame Raison,
Qui était avec Connaissance,
Me dire la signifiance
De la fontaine et des ruisseaux
Qui sont si plantureux et beaux,
et à qui était le *pourpris, **pourpris: enclos, enceinte.
De tous cotés bien entrepris,
D'arbres et de fleurs odorantes
Arrosés des eaux courantes,
En sorte que pareils jamais
Ne me semblait avoir vu. -- Mais
Elle me dit très doucement:
« Mon ami, tu sauras comment
« Va de ce qu'as si grand désir:
« Ecoute moi tout à loisir.
« En la Fontaine a une chose,
« Qui est moult noblement enclose.
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« Celui qui bien la connaîtrait,
« Sur toutes autres l'aimerait.
« Qui la voudrait chercher et *querre, **querre: quérir.
« Et puis trouvée mettre en terre
« Et sécher en menue poudre
« Puis arrière en son eau résoudre,
« Mais que fussent avant les parties,
« Puis assemblées les parties, ???
« Qui la terre mettrait pourrir
« En l'eau qui la doit nourrir,
« Il en naîtrait une pucelle
« Portant fruit à double mamelle,
« Mais qu'on ôtât la pourriture,
« Dont elle ni son fruit n'a cure.
« La pucelle dont je devise
« Si *poingt et ard en mainte guise: **poingt et ard: pique et brûle.
« Car en l'air monte, en haut volant,
« Puis descend bas, à val coulant;
« Et en s'en descendant, *faonne **faonne: met bas.
« Faon que nature lui donne.
« C'est un Dragon qui a trois goules **goules: gueules.
« *Famineuses et jamais saoules. **famineuses: affamées, *saoules: rassasiées.
« Tout entour de lui chacun rue,
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« L'environnant ainsi qu'en rue,
« Mais avant par chaleur on chasse
« Graisse qui lui couvre la face,
« Qui le noircit et si l'englue.
« Puis le compresse et le *mengue. **mengue: mange voracement.
« Elle r'enfante mêmement
« (Ce se fait amoureusement)
« Plus puissant que devant grand somme;
« Puis le boit comme jus de pomme.
« Ainsi l'enfant à sa manière,
« Souvent boit et r'enfante arrière,
« Tant que plus clair est que cristal.
« Pour vrai le fait en est *ytal. **ytal: égal, semblable.
« Et quand il est ainsi luisant,
« En eau moult fort et puissant,
« Il pense dévorer sa mère,
« Qui a mangé son frère et père.
« Ainsi comme l'allaite et couve
« Le Dragon, fière de sa *couve. **couve: couvée.
« Sa mère en deux parties *part, **part: divise.
« Qui lui aide après ce *depart, **depart: partage.
« Et puis la délivre a trois *goules **goules: gueules.
« Qui l'ont plutôt pris que *gargoules. **gargoules: gargouilles.
« Alors est le plus fort du monde;
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« Jamais n'est rien qui le confonde;
« Merveilleux il est et puissant;
« Une once en vaut cent d'or pesant.
« C'est un feu de telle nature
« Qu'il passe toute pourriture,
« Et transmue en autre substance,
« Quand qu'il atteint à sa semblance;
« Et guérit maladie toute,
« *Apostume, lèpre, et goutte; **apostume: apostème: abcès.
« Et es vieux corps donne jeunesse,
« Et es jeunes, sens et liesse;
« C'est ainsi que de Dieu miracle.
« Ce ne peut faire le *triacle, **triacle: thériaque.
« Ni rien qui soit sous ciel trouvé,
« Fors ceci, qui est éprouvé
« Par les Prophètes anciens
« Et par docteurs Physiciens.
« Mais on ne l'ose plus *enquerre, **enquerre: chercher.
« Par peur des seigneurs de la terre;
« Oncques mais n'advint tel *meschié, **meschié: mésaventure, dommage.
« Car ce faire on peut sans péché.
« Moult de Sages si l'ont aimé;
« Maudit soit qui l'a diffamé.
« L'on ne le doit onc révéler
« Qu'à ceux qui veulent Dieu aimer.
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« Et qui bien aiment, ont victoire
« Pour servir Dieu, aimer, ou croire:
« Car ceux à qui Dieu donne espace
« De vivre tant qu'en quelque place
« Il ait cette oeuvre labourée,
« A de Dieu la grâce impétrée
« En soi; sache certainement:
« Dont prier doit dévotement
« Pour les saints hommes qui l'ont mise
« En écrit selon leur devise;
« Philosophes et saints prud'hommes,
« Dont je ne sais dire les sommes;
« Mais Dieu leur fasse à tous merci,
« Qui ont ouvré jusques ici;
« Et ceux qui aiment la science
« Dieu leur doit bien et patience.
« Savoir dois que celui Serpent
« Que je t'ai dit premièrement,
« Est gouverné de sept Ruisseaux,
« Qui tant sont amoureux et beaux.
« Ainsi l'ai voulu figurer;
« Mais autrement le veux nommer:
« C'est une pierre noble et digne,
« Faite par science divine,
« En laquelle vertu abonde
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« Plus qu'en nulle qui soit au monde;
« Trouvée est par Astronomie
« Et par vraie Philosophie.
« Elle provient en la montagne
« Où ne croît nulle chose étrange.
« Sachez de vérité prouvée,
« Plusieurs sages l'y ont trouvée.
« Encore la peut-on trouver
« Par peine de bien labourer;
« Des Philosoph's est la *pierrière **pierrière: carrière de pierre, ici la source.
« Qui tant est amoureuse et chère.
« Aisément on la peut avoir,
« Et si vaut mieux que nul avoir.
« Mais peine auras moult endurée
« Devant que tu l'aies trouvée;
« L'ayant, n'auras faute de rien
« Qu'on trouve en ce monde terrien.
« Or' revenons à la fontaine
« Pour en savoir chose certaine.
« Cette fontaine de valeur
« Laquelle est Nature appelée,
« Qui doit être moult honorée:
« Car par ell' toute chose est faite,
« Et *s'elle y faut, tôt est défaite. **s'elle y faut: si elle y manque.
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« Longtemps a que fut établie
« Cette Dame, je vous *affie: **affie: assure.
« Car aussitôt que Dieu eut fait
« Les Eléments qui sont parfaits,
« L'Eau, l'Air, la Terre et le Feu,
« Nature en tout parfaite fut.
« Sans Nature, ne peut plus croître
« Dedans la mer la petite huître;
« Car Nature est mère à la ronde
« De toutes les choses du monde.
« Noble chose est que de Nature.
« Moult y bien appert à figure
« De l'homme, que Nature a faite;
« En quoi de rien ne s'est *meffaicte. **meffaicte: de meffaire: mal faire.
« Aussi fait-il en plusieurs choses
« Qui par Nature sont *descloses: **descloses: ouvertes, écloses.
« Oiseaux, arbres, bêtes, fleurettes,
« Du tout par Nature sont faites;
« Et ainsi est-il des métaux,
« Qui ne sont pareils ni égaux;
« Car par elle même se font
« Dedans la terre bien profond:
« Desquels plus à plein conterai
« Quand Nature te montrerai,
« Laquelle je veux que tu voies,
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« Afin que mieux suive sa voie
« Et son sentier en la tienne oeuvre:
« Car il faut que te la découvre. »
Ainsi que tels propos tenait,
Je vis Nature qui venait.
Et alors, sans faire délai,
Droit *encontre elle m'en allai **encontre: à l'encontre, vers.
Pour la saluer humblement.
Mais certes tout premièrement
Vers moi fait inclination,
Me donnant salutation.
Lors Raison dit: « Voici Nature;
« A l'aimer mets toute ta cure.
« C'est elle que te fera être
« De son ouvrage prudent maître. »
Je l'écoutai diligemment:
Et elle se prit sagement
A me demander d'où j'étais
Et qu'en ce lieu-là je *queroye, **queroye: cherchais.
Car il était beaucoup sauvage,
Et pour les non clercs plein d'ombrage.
« Dame, dis-je, par Dieu de cieux,
« Je suis venu ci, comme ceux
« Qui ne sait en *quell' part aller **quelle part: quelle partie, quel lieu.
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« Pour bonne aventure trouver.
« Mais je vous dirai sans attente
« Et en bref propos mon entente.
« Un moult grand Prélat vis jadis
« Savant, clerc, prudent et subtil,
« Qui parlait en commun langage,
« Ainsi que fait maint homme sage,
« Du savoir de la médecine
« Qu'il faisait très haute et très digne,
« En démontrant ses excellences
« Par moult grandes expériences;
« Des Philosophes et leur science.
« Devisait en grand révérence;
« Bien avait été à l'école.
« Alors fus mis en une *colle **colle: humeur, disposition.
« Ardente d'apprendre et savoir
« Chose meilleure que tout avoir,
« Et de lui demander m'advint
« D'où premier la science vint;
« *S'on écrit où la rencontra, **s'on: ?
« Et qui fut *cil qui la montra. **cil: celui.
« Il me répondit sans délai
« Par ces propos que vous dirai.
« Science si est de Dieu don,
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« Qui vient par inspiration.
« Ainsi est science donnée
« De Dieu, et en l'homme inspirée;
« Mais avec ce apprend-on bien
« A l'école par son *engien. **engien: moyen.
« Mais avant qu'onc lettre fut vue
« Si était la science sue
« Par gens non clercs, mais inspirés,
« Qui doivent bien être honorés:
« Car plusieurs ont trouvé science
« Par la divine sapience.
« Et encor est Dieu tout puissant
« Pour donner à son vrai servant
« Science telle qu'il lui plaît:
« De quoi à plusieurs clercs déplaît,
« Disant qu'aucun n'est suffisant
« S'il n'a été étudiant;
« Qui n'est maître es arts, ou docteur,
« Entre clercs reçoit peu d'honneur
« Et de ce les doit-on blâmer
« Quand autrui ne savent louer.
« Mais qui bien punir les voudrait,
« Les livres ôter leur faudrait.
« Là serait science faillie
« En plusieurs clercs, n'en doutez *mie; **mie: pas.
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« Et pas ne le serait es *laiz **laiz: poèmes, ici par extension: poètes.
« Qui font rondeaux et virelais,
« Et qui savent *metrifier, **metrifier: écrire en vers.
« Et plusieurs choses, que métier
« Font à maintes gens *à delivre, **à delivre: librement.
« Qu'ils ne trouvent pas en leur livre.
« Le charpentier, et le maçon
« N'étudient que bien peu, non;
« Et si font aussi belle usine
« Qu'étudiants en Médecine,
« En Lois, et en Théologie,
« Pour avoir pratiqué leur vie.
« Dès lors fus grandement épris
« D'employer du tout mes esprits,
« Tant que par vraie expérience
« Avoir puisse la connaissance
« De ce que maint homme désire
« Par grâce du souverain sire. »
Mon conte, Raison et Nature
Bien écoutaient, je vous assure.
Puis à Nature dit: « Madame,
« Hélas, toujours de corps et d'âme
« Suis en travail, voulant apprendre
« Science, où ne puisse méprendre,
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« Pour avoir honneur en ma vie,
« Sans ce que nul y ait envie:
« Car tout mon bien je veux *acquerre, **acquerre: acquérir.
« Comme les laboureurs de terre;
« La terre fouir et houer,
« Et puis la semence semer,
« Comme font les vrais laboureurs,
« Qui sont leurs biens et leurs honneurs.
« Et pour cela prier vous veuille
« Que vous me dites de vos *vueil, **vueil: volonté, désir, voeu.
« Comme on nomme cette fontaine
« Qui tant est amoureuse et saine. »
Elle répond: « Ami, de voir,
« Puisque désirez le savoir;
« Elle s'appelle, pour le mieux,
« La fontaine des amoureux.
« Or te doit-il être notoire
« Que depuis Eve, notre mère,
« J'ai gouverné *tretout le monde, **tretout: tout entier.
« Si grand comme il est à la ronde.
« Sans moi ne peut chose régner,
« Si Dieu ne la veut inspirer.
« Moi, qui suis Nature appelée,
« J'ai la terre environnée,
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« Dehors, dedans, et au milieu;
« En toute chose pris mon lieu,
« Par mandement de Dieu le Père;
« De toutes choses je suis mère;
« A toutes je donne vertu;
« Sans moi n'est rien, ni oncques fut
« Chose qui soit sous ciel trouvée,
« Qui par moi ne soit gouvernée.
« Mais puisque tu entends raison,
« Je te veux donner un beau don,
« Par lequel, si tu veux bien faire,
« Tu pourras Paradis *acquerre, **acquerre: acquérir.
« Et en ce monde grand' richesse,
« Dont te pourra venir noblesse,
« Honneur et grande seigneurie,
« Et toute puissance, en ta vie.
« Car en joie tu l'useras,
« Et moult de nobles faits verras
« Par cette fontaine et caverne
« Qui tous les sept métaux gouverne.
« Ils en viennent, c'est chose claire.
« Mais de la Fontaine suis mère,
« Laquelle est douce comme miel,
« Et aux sept Planètes du ciel
« Comparée est: savoir, Saturne,
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« Jupiter, et Mars, et la Lune,
« Le Soleil, Mercure et Vénus:
« Entends bien, tu y es tenu.
« Les sept Planètes que j'ai dit,
« *Accomparons sans contredit **accomparons: comparons.
« Aux sept métaux venant de terre,
« Qui tous sont faits d'une matière.
« L'
or entendons par le Soleil,
« Qui est un métal sans pareil;
« Et puis entendons pour l'
argent
« Luna, le métal noble et gent.
« Vénus pour le
cuivre entendons,
« Et aussi c'est moult bien son nom.
« Mars pour le
fer, et pour l'
étain
« Entendons Jupiter le sain;
« Et le
plomb pour Saturne en bel
« Que nous appelons *or mesel. **or mesel: or lépreux.
« Mercurius est
vif argent,
« Qui a tout le gouvernement
« Des sept métaux: car c'est leur mère,
« Tout ainsi que si les compare,
« Qui les imparfaits peut parfaire.
« Après te le veux *remetraire. **remetraire: rappeler?
« Or entends bien que je dirai,
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« Et comme je déclarerai
« La fontaine à dame Nature,
« Que tu vois ci près en figure.
« Si tu sais bien Mercure mettre
« En oeuvre, comme dit la lettre,
« Médecine tu en feras,
« Dont paradis puis acquerras,
« Avec l'honneur de ce monde,
« Ou grand *planté de bien abonde. **planté: quantité (de plantureux).
« Savoir dois par Astronomie
« Et par vraie Philosophie,
« Que Mercure est des sept métaux
« La matière, et le principaux:
« Car par sa pesanteur plombasse,
« Se tient sous terre en une masse,
« (Nonobstant qu'elle est volatile
« Et es autres moult convertible)
« Et est sous la terre trouvée,
« Tout ainsi comme est la rosée.
« Et puis en l'air du Ciel s'en monte,
« (Moi, Nature, te le raconte)
« Et si après peux concevoir
« Qui en veut médecine avoir
« Mercuriale en son vaisseau,
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« Le mettra dedans le fourneau
« Pour faire sublimation,
« Qui est de Dieu un noble don,
« Laquelle je te veux montrer
« A mon pouvoir, et figurer.
« Car si ne fais purs corps et âme,
« *Ia ne feras bonne amalgame, **Ia ne: jamais ne.
« *N'aussi bon parachèvement. **n'aussi: ni aussi.
« Mets-y donc ton entendement.
« Or entends si tu veux savoir
« (Mieux vaut bon sens que nul avoir):
« Prends ton corps et en fais essai;
« Comme autres ont fait, bien le sais.
« Ton esprit te faut bien monder,
« Mais que puisses incorporer.
« Si faire veux bonne bataille,
« Vingt contre sept convient sans faille. **encontre: à l'encontre, contre.
« Et si ton corps ne peut détruire
« Vingt, à ce pas il faut qu'il meure.
« Si est la bataille première
« De Mercure très forte et fière;
« Après rendre lui convient faire,
« Mais qu'on n'en puis rien *attraire. **attraire: attirer.
« Quant à ton vouloir entrepris
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« Rendu sera, lors étant pris,
« Si tu en veux avoir raison,
« L'enfermeras dans la prison
« D'où il ne se puisse bouger.
« Mais d'un don le dois soulager,
« Ou pour toi rien ne voudra faire
« Tant que lui feras le contraire;
« Et si faire lui veux plaisir,
« Il te le convient élargir,
« Et remettre en son premier être,
« Et pour ce seras-tu son maître:
« Autrement savoir bien ne peux
« Ce que tu *quiers et que tu veux. **quiers: cherches.
« Mais par ce point tu le sauras,
« Et à tout ton plaisir viendras,
« Mais que tu fasses de ton corps
« Ce dont te fais *cy le recors. **cy le recors: ici le récit.
« Faire dois donc, sans contredit,
« Premier de ton corps un esprit,
« Et l'esprit réincorporer
« En son corps sans point séparer.
« Et si tout ce tu ne sais faire,
« *Si ne commence point l'affaire. **si: alors.
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« Après cette conjonction,
« Se commence opération,
« De laquelle, si tu poursuis,
« Tu auras la gloire des cieux.
« Mais tu dois savoir, par ce livre,
« Que moi Nature te délivre,
« Que le Mercure du Soleil
« N'est pas à la Lune pareil:
« Car toujours doit demeurer blanche
« Pour faire chose à sa semblance;
« Et celui qui au Soleil sert
« Le doit ressembler en appert;
« Car on le doit rubifier:
« Et ce est le labeur premier.
« Et puis assembler les peut-on,
« Comme j'ai dit, en la façon
« Ci-devant que tu as ouïe,
« Qui te doit trouver en l'ouïe.
« Et si ce ne savais entendre,
« En ton labeur pourrais méprendre,
« Et à l'aventure perdrais
« Longtemps, et en vain l'userais:
« *Et s'à mon dict sçais labourer, **et si tu sais labourer comme je l'ai dit.
« Sûrement y peux procéder.
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« Or as-tu un point de cette oeuvre
« Que moi Nature te découvre.
« Si te faut, par bonne raison,
« Faire après congélation
« Et de corps et d'esprit ensemble,
« Tant que l'un à l'autre ressemble;
« Et puis te convient, par bon sens,
« Séparer les quatre éléments,
« Lesquels tous nouveaux tu feras,
« Et puis en oeuvre tu mettras.
« Premier tu dois le feu extraire
« Et l'air aussi pour cette affaire,
« Et les composer en après:
« Ce te dis ci par mots exprès
« La terre et l'eau, d'autre part,
« Servent moult bien à celui art,
« Et ainsi fait la quintessence;
« Car c'est de notre fait la *cence. **cence: science?
« Quand tu as les quatre trouvés
« Et l'un de l'autre séparés,
« Ainsi comme ai dit par dessus,
« Ton fait sera demi conclu.
« Or peux procéder; moyennant
« Que tu fasses ce que devant
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« Je t'ai en ce chapitre dit.
« Tu le mettras au four petit:
« Cela s'appelle mariage
« Quand il est fait par homme sage;
« Et aussi c'est moult bien son nom.
« Or entendez bien la raison:
« Car masculin est fort liable
« Avec féminin amiable.
« Et quand purs et nets sont trouvés,
« Et l'un avec l'autre assemblés,
« Génération est certaine,
« Si que c'est une oeuvre hautaine
« Et qui est de grande substance.
« Ainsi est-il, d'autre semblance,
« De maint homme et de mainte femme
« Qui ont bon *loz et bonne *fame, **loz et fame: louanges et réputation;
« Par leurs enfants qu'ils savent faire,
« Dont chacun doit priser l'affaire;
« D'oiseaux, de bêtes et de fruits.
« Autrement prouver je le puis:
« Mettez d'un arbre la semence
« En terre pour bonne science;
« Après la putréfaction,
« En viendra génération.
« Par le froment le peux savoir,
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« (Qui vaut mieux que nul autre avoir):
« Semant un grain, en auras mille.
« Là ne faut être moult habile.
« Ni oncques ne fut créature
« Qui dire peut à moi, Nature:
« Naissance ai pris sans te chercher,
« Et ne dois rien me reprocher.
« Et ainsi des métaux est-il,
« Dont Mercure est le plus subtil.
« Quand il est mis dedans son corps,
« Que je t'ai dit en mes *records, **records: récits.
« Et de ce faire il est moult prêt,
« Ainsi que verras ci après.
« Il le convient enamourer
« De son pareil, puis labourer.
« Mais pour qu'à fin puisse venir,
« D'ensemble les faut départir.
« Mais après cette départie,
« Se rassemblent, je vous *affie. **affie: assure.
« La fois premier est fiançailles,
« Et la seconde l'épousailles;
« A la tierce fois par droiture
« Assemblés en une nature,
« C'est le mariage parfait,
« Auquel gît *trestout notre fait. **trestout: tout entier.
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« Or entends bien comme j'ai dit,
« Car pour vrai en rien n'ai médit:
« Quand tu les auras séparés,
« Et peu à peu bien réparés,
« En après les rassembleras,
« Et l'un avec l'autre mettras.
« Mais te souvienne en ta leçon
« Du proverbe que dit Caton:
« L'homme qui lit, et rien n'entend,
« Semble au chasseur qui rien ne prend.
« Si apprends donc à bien entendre,
« Afin que ne puisses reprendre
« Les livres, ni les bons facteurs,
« Lesquels sont parfaits entendeurs:
« Car tous ceux qui notre oeuvre blâment
« Ne la connaissent, mais diffament;
« Celui qui bien nous entendrait
« Moult tôt à notre oeuvre viendrait;
« Plusieurs fois a été ouvrée
« Et par philosoph's éprouvée.
« Mais plusieurs gens tenus pour sages
« La blâment, (dont ils sont *folages), **folages: fous
« Et chacun les en doit blâmer,
« Qui a sens en soi sans *amer. **amer: amertume.
« Mais louer doit-on bien et bel
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« Tous ceux qui aiment tel joyau,
« Et qui le pensent à trouver
« Par peine de bien labourer,
« Et doit-on dire: c'est bien fait;
« *Los mérite leur bel effet. **los: louanges.
« Or avons-nous dit une chose
« Qu'il faut que brièvement *desclose: **descloses: découvre, révèle.
« C'est que, si bien procéder veux,
« Tu fasses l'union des deux,
« Tant que fiancés puissent être
« Ou vaisseau qui en sait bien l'être;
« Et puis pour ton fait séparer
« *Le te convient bien ordonner. **le: cela.
« Et pour t'en dire la façon,
« Ce n'est que résolution
« Laquelle te fait grand métier,
« Si poursuivre veux le métier;
« Elle doit le compost défaire,
« Ainsi que tu en as affaire.
« Quand tu verras la terre sèche,
« Eau du ciel fait qu'elle lèche,
« Car ils sont de même nature.
« Laboure donc par droiture.
« C'est raison qu'ell' soit abreuvée;
« Et de moi sera gouvernée.
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« Or t'ai-je dit, sans rien *mesprendre, **mesprendre: cacher
« Comme ton corps peut âme prendre,
« Et comme les faut *despartir, **despartir: séparer.
« Et l'un d'avec l'autre *partir. **partir: partager.
« Mais la départie, sans doute,
« Est la clé de notre oeuvre toute.
« Par le feu elle se parfait;
« Sans lui l'art serait imparfait.
« Aucuns disent que feu n'engendre
« De sa nature, *fors que cendre; **fors: hors, à part, excepté.
« Mais, leur révérence sauvée,
« Nature est dans le feu entée:
« Car si Nature n'y était,
« Jamais le feu chaleur n'aurait;
« Et si prouver je le voulais
« Le Sel en témoin je prendrais.
« Mais quoi!.. Nous *lairrons ce propos, **lairrons: laisserons.
« Et autre dire voulons *loz. » **loz: louanges.
Et quand ce parler entendis,
Le mot en mon coeur écrivis,
Et dis: « Noble Dame d'arroi,
« Veuillez un peu entendre à moi;
« Et revenons à ces métaux,
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« Dont Mercure est le principaux,
« Et me faites, vous et Raison,
« Aucune déclaration,
« Ou de votre fait suis *abus **abus: abusé?
« Pour ce que dit avez dessus:
« Car vous voulez que je défasse
« Ce que j'ai fait de prime face,
« Et expressément vous le dites;
« Je ne sais si ce sont redites,
« Ou si parlez par paraboles;
« Car je n'entends point vos écoles. »
« Ami, ce répondit Nature,
« Dis, comme entends-tu le Mercure
« Que je t'ai ci devant nommé?
« Je t'ai dit qu'il est enfermé,
« Encore que souvent advient
« Qu'en plusieurs mains il va et vient.
« Le Mercure que je te *lo, **lo: loue.
« Surnommé de Mercurio,
« C'est le Mercure des Mercures;
« Et maintes gens mettent leurs cures
« De le trouver pour leur affaire:
« Car ce n'est Mercure vulgaire.
« Sans moi tu ne le peux trouver;
« Mais quand tu en voudras ouvrer,
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@
« Moult te faudra être authentique
« Pour parvenir à la pratique,
« Par laquelle pourras avoir
« De nos faits un très grand savoir.
« Les métaux te faudra connaître
« Ou ton fait ne vaudra une huître.
« Or, pour entendre mieux la guise,
« Je te dirai où l'oeuvre est mise;
« Mêmement où elle commence,
« Si tu es fils de la science.
« Et *cil qui y veut parvenir, **cil: celui.
« Faut qu'à ce point sache venir,
« Ou rien ne vaudra son affaire,
« Pour labeur qu'il y sache faire.
« Pour ce nommé-je la fontaine,
« Qui tant est amoureuse et saine,
« Mercure, celui vrai *surgeon, **surgeon: reprise sur une souche.
« Qui cause est de perfection.
« Or entends bien que te dirai.
« Car pour vrai rien ne médirai:
« Celui Mercure sans pareil
« Peux-tu trouver ou le Soleil,
« Quand il est en sa grand'chaleur
« Et qu'il fait venir mainte fleur:
33
@
« Car après fleurs viennent les fruits.
« Par ce point prouver je le puis,
« Et encore par cent manières
« Qui sont à ce fait moult légères;
« Mais celui-ci est le principe
« Et pour cela te le récite.
« Certes je ne t'ai abusé:
« Car pour voir il y est trouvé.
« Et *s'en Luna veux labourer **s'en luna: si en lune.
« Autant bien l'y pourras trouver,
« En Saturne, et en Jupiter,
« Et en Mars, que je nomme Fer.
« Dedans Vénus et en Mercure
« On peut bien trouver la plus sûre;
« Mais, quant à moi, je l'ai trouvé
« Au Soleil, et puis labouré;
« Et pour ce t'en ai fait ce livre
« Que tu m'entendes *à deliure. **à deliure: librement.
« Dedans Luna sache de voir,
« Ai-je pris mon premier avoir.
« Encore dis-je aux entendeurs
« Que c'est tout un de deux labeurs,
« Excepté rubifiement,
« Qui sert au Soleil noblement.
« Et plus dire ne t'en saurais,
34
@
« Si la pratique ne montrais.
« Et celle ne te puis *retraire **retraire: retirer.
« Sinon que tu le vois faire.
« Mais aies bien en ta mémoire
« Ce que je t'ai dit jusqu'à ire.
« Etant à résolution,
« Faire dois imbibition:
« Mais ne commence point à faire
« Ce que j'ai dit sur tel affaire
« Si n'as probation du fait
« D'avoir bien résous l'imparfait.
« Et si tu peux passer ce pas,
« *Recorpore-le *par compas, **recorpore: remets-le en corps, *par compas:
« En revenant au fait premier; ** d'une manière régulière.
« L'autre ne fut que messager.
« Voir le peux évidemment
« Comme se fait légèrement.
« Par plus bref tu ne peux venir
« Au plus fort de ton avenir;
« Et si tu l'entends, pour certain
« Tu ne laboureras en vain.
« Et après ce labeur-ci fait,
« Te faut refaire le défait.
« Putréfaction est, pour voir,
« Dont il doit naître grand avoir:
35
@
« En ce point ci gît la maîtrise
« Auquel tout notre fait s'attise;
« Et quoi que t'ai dit devant,
« Ici gît tout le convenant.
« Dans le four est mis l'appareil;
« Tu en dois avoir un pareil,
« Car germe faut premier pourrir,
« Qu'il puisse dehors terre *issir. **issir: sortir.
« Même la semence de l'homme,
« (Que pour *probation te nomme), **probation: preuve.
« Se pourrit au corps de la femme
« Et devient sang, et puis prend âme.
« Mais en forme de créature,
« Ce secret-ci te dit Nature.
« Car une chose en devra naître,
« Qui saura bien plus que son maître.
« Pour allaiter les quatre enfants
« Qui sont déjà venus tous grands,
« Lesquels Eléments sont nommés
« Et l'un de l'autre séparés.
« Or as-tu cinq choses ensemble
« Et l'une à l'autre bien ressemble;
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@
« Aussi n'est-ce qu'une substance
« Toute d'une même semblance.
« Là doit l'enfant manger sa mère
« Et après détruire son père.
« Fleur et lait et fruit avec sang
« Convient trouver en un étang.
« Or regarde dont le lait vient,
« Et que là sang faire convient.
« Si ce ne sais considérer
« Tu perds ta peine à labourer;
« Et si tu me sais bien entendre,
« Si laboure sans plus attendre;
« Car tu as passé le passage
« Où demeure maint fol et sage;
« Là, te peux un peu reposer,
« Après commence à labourer
« Et poursuit tant que fasse *issir **issir: sortir.
« Fruit parfait, qu'on nomme Elixir;
« Car par oeuvre *sciencieuse **sciencieuse: de science ou consciencieuse?
« Se fait la pierre précieuse,
« Des Philosophes le renon,
« Qui en savent bien la raison;
« Et n'est joyau, ni mal avoir,
« Qui puisse cette pierre valoir.
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@
« Si ses effets veux que je dise,
« Guérir peut toute maladie;
« Aussi par ses très nobles faits,
« Parfait les métaux imparfaits,
« Et ne fait plus chose du monde
« Fors cette où grand vertu abonde.
« A merveilleux faits est encline;
« Pour tant la nommons médecine;
« Et de toutes les autres pierres,
« Que maints princes tiennent pour chères,
« Nulle peut tant réjouir l'homme,
« Que celle-ci que je te nomme.
« Et pour ce je t'en fais mémoire
« Que tu le tiennes pour notoire:
« Car sur toutes pierres du monde,
« Vertu dedans la nôtre abonde;
« Et pour ce doit faire devoir
« De gagner un si noble avoir.
« Si tu me veux bien *ensuiuir **ensuiuir: suivre.
« A ce point pourras advenir.
« Apprends bien, si feras que sage.
« Car je t'ai dit *jà tout l'usage; **jà: déjà.
« Au four tu le pourras bien voir
« Auquel doit être ton avoir:
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@
« Faisant par un certain atour,
« De putréfaction le tour.
« Plus t'ai appris que de ces *pars **pars: divisions, partitions.
« Ton oeuvre demeure en deux parts;
« De ce rien plus ne te dirai
« Jusques en toi vue j'aurai
« Service pourquoi te le dis;
« Car autrement ferait folie.
« Mais quand tu l'auras *deseruy, **deseruy: mérité.
« En brefs mots je te l'aurai dis;
« Pour ce ne m'en demande plus;
« Je n'ai que trop dit du surplus. »
Et quand j'eus entendu Nature
Qui de parler plus n'avait cure
Pour ses ouvrages déclarer,
Moult tendrement pris à pleurer,
Et dis: « Noble dame d'arroi,
« Veuillez avoir pitié de moi
« Ou jamais ne serai *deliure **deliure: délivré.
« De ce qu'ai trouvé en un livre.
« Dites-moi, Dame noble et bonne,
« L'avance, si ferez aumône. »
Lors répondit: « Plus n'en sauras,
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@
« Tant que *desseruy tu l'auras. » **desseruy: mérité.
-- « Hélas, dis-je lors, Dame chère,
« Veuillez me dire la manière
« Comment le pourrais *desseruir; **desseruir: mériter.
« Car à toujours vous veux servir
« Loyal'ment, sans ailleurs penser.
« Je ne vous puis récompenser,
« Ni augmenter votre richesse.
« Service vous ferai sans cesse,
« Si me donnez tant noble avoir
« Que des vôtres me recevoir. »
Adonc Nature répondit:
« Fils, tu sais ce que je t'ai dit;
« Mais si me crois, *d'ore en avant **d'ore: maintenant.
« Pourras bien être plus savant. »
-- « Dame, dis-je, par Dieu des Cieux,
« Je voudrais bien être *cieulx **cieulx: celui, de ceux?
« Qui doit servir pour tel affaire,
« Tout son vivant, sans rien *meffaire: **meffaire: mal faire.
« Veuillez moi donc vos plaisirs dire,
« Car je ne veux rien contredire. »
« Lors dit Nature: « Sans méprendre,
« Beau fils, il te convient apprendre
« A connaître les sept métaux,
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@
« Dont le Mercure est principaux;
« Leurs forces, leurs infirmités
« Et variables qualités.
« Après apprendre te convient
« Dont soufre, sel, et huile vient,
« De quoi nous te faisons mémoire,
« Qui te fera métier encore.
« Moult est le soufre nécessaire,
« Et si te don'ra *prou à faire. **prou: beaucoup.
« Sans sel ne peux mettre en effet
« Utile chose pour ton fait.
« D'huile tu as métier moult grand;
« Sans lui ne feras fait flagrant.
« De ce te dois bien souvenir
« *S'à notre oeuvre veux parvenir. **s'a: si à.
« Un mot te dirai, or l'entend,
« De quoi tu seras bien content:
« Un métal en un seul vaisseau
« Te convient mettre en un fourneau.
« C'est Mercure que je t'expose,
« Et si n'y faut nulle autre chose.
« Mais, pour l'abrégement de l'oeuvre,
« De point en point te le découvre.
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@
« Or te veux-je dire de l'or,
« Qui des métaux est le trésor,
« Il est parfait; nul ne l'est plus
« De ceux que j'ai nommé dessus.
« La Lune l'est, et ne l'est *mie; **mie: pas.
« De vrai je te le certifie.
« Il n'y a qu'un métal au monde,
« En qui notre Mercure abonde,
« Et si est en tous sept trouvé;
« Moult bien ai ceci éprouvé.
« L'or est chaud et sec par droiture;
« La Lune est froide en sa nature;
« Saturnus est pesant et mol;
« En ce peut-il ressembler Sol;
« Plusieurs clercs de parler *ignel, **ignel: légérement, rapidement.
« Le veulent nommer *or mesel. **or mesel: or lépreux.
« Vénus bien la Lune ressemble
« En paix et en *forger ensemble. **forger: fabriquer, façonner.
« Mercure froid et humide est;
« Témoin est Jupin qui en naît.
« Mars est dur, et pesant, et froid;
« Des autres tous c'est le *conroit. **conroit: ordre, disposition, subsistance.
« Soit leur nature dure ou tendre,
« Il les convient tous sept comprendre,
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« Comme les ai nommés dessus,
« Et connaître bien leurs vertus:
« Et par ce point après feras
« De Mercure ce que voudras. »
-- « Las, dis-je, Dame, il sera fait.
« Dites-moi l'avance du fait,
« Et comment pourrai *retraicter **retraicter: me rappeler, se souvenir.
« Ce qu'ai vu en votre verger.
« Car oncques mais puis que fus né,
« Je ne fus tant enamouré
« De *chose nulle de ce monde. **chose nulle: nulle chose.
« Je crois que vertu y abonde:
« Je le tiens pour secret de Dieu,
« Qui révélé soit en ce lieu. »
Lors dit Nature: « Tu dis voir,
« Et c'est du monde tout l'avoir;
« Car de ma fontaine provient
« Grand'richesse, d'où l'honneur vient
« Au monde en diverse manière.
« A plusieurs suis comme minière.
« Et pour ce que tu es venu
« Ici sans aucun revenu,
« Et que tu as volonté bonne
« De labourer comme personne,
« Désirant bonheur rencontrer,
43
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« L'avance je te veux montrer.
« Dit t'ai au chapitre notoire
« (Je ne sais si en as mémoire),
« Qu'en deux parties gît ton oeuvre.
« Moi Nature te le découvre.
« Fais ton soufre attractif;
« Et puis lui fait manger sa mère,
« T'auras accompli notre affaire.
« Mets la mère au ventre à l'enfant,
« Qu'elle a enfanté par devant;
« Puis si sera et père et fils,
« Tout parfait de deux esprits
« Pour vrai il n'en est autre chose,
« Fors ce que ci je t'en expose;
« Et si tu y veux ajouter
« Chose étrange, ou administrer
« Soufre, sel, huile, n'autre rien,
« Pour voir, ton fait ne vaudra rien.
« Car terre si ne peut porter
« Autre fruit qu'on y veut semer.
« Créature fait créature
« Et bête, bête à sa nature;
« Ainsi est de toutes semences
« Tiens ce propos de mes sciences.
« Beau fils, ne dis que ce soit gale:
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« Il faut que tout monte et *auale **auale: descende.
« Par un chemin moult gracieux,
« Moult plaisant et moult amoureux;
« La voie j'ai préordonnée
« Tout *ensement que de rosée.
« En l'air du Ciel la faut monter,
« Et puis doucement *aualer **aualer: descendre.
« Par un très amoureux sentier,
« Lequel on doit bien *retraicter. **retraicter: se souvenir, se rappeler.
« En la descente qu'elle fait,
« Enfante le soufre parfait;
« Et si à ce point peux venir,
« Tu peux bien dire sans mentir
« Que d'or pourras avoir sur terre
« Grande quantité sans *meffaire. **meffaire: mal faire.
« Car si toute la mer était
« De métal, tel qu'on le voudrait,
« Cuivre, Argent vif, Plomb ou Etain,
« Et tu en misses un seul grain
« Dessus, quand serait échauffée,
« Il en *soudroit une fumée **soudroit: (verbe sourdre: sortir de terre)?
« Qui *mentoit merveilleux arroi; **mentoit: mettrai?
« Et après se tiendrait tout coi;
« Et puis quand serait apaisée
« La fumée, et tout *accoisée, **accoisée: calmée.
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« La Mer trouverait plus fin or,
« Que nul roi ait en son trésor.
« Or veux au propos retourner
« Que devant, pour bien gouverner
« Quand ton soufre sera mangé,
« Ton Mercure mortifié,
« Tiens-le en prison quarante jours;
« Et puis tu verras tes amours;
« Et Dieu t'en laisse si bien faire,
« Que Paradis puisses *acquerre. **acquerre: acquérir.
« Tu vois ici bien ordonnée
« La prison que je t'ai nommée;
« Par foi la te baille en figure.
« Or te souvienne de Nature,
« Qui t'a voulu administrer
« Si noble don, et révéler
« La science très admirable
« Et en ce monde vénérable.
« Autrement ne peut être faite
« La pierre que je t'ai *retraicte. **retraicte: racontée.
« Vois donc bien les écritures
« De nos livres, où par figures
« Démontrée est cette science,
« Qui est la fleur de sapience:
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« Vraie chose sans nulle fable,
« Très certaine et très véritable.
« Le dessous si est tout semblable
« A ce qui est dessus *muable, **muable: sujet à changement.
« Pour perpétrer à la fin close
« Miracle d'une seule chose.
« Comme de seule chose furent,
« Et par la pensée d'un crurent
« Toutes les choses qui sont nées,
« Si nos oeuvres sont d'un créées.
« Le beau Soleil en est le père,
« Et la Lune la vraie mère;
« Le vent en son ventre le serre;
« Sa nourrice si est la terre;
« Le père est le trésor du monde;
« Et grand secret ici se fonde:
« Sa force si est toute entière.
« Quand il retourne en terre arrière,
« Sépare la terre du feu
« Par *engin et en propre lieu; **engin: moyen.
« Et doucement le gros *despart **despart: se sépare.
« Du subtil, que tiendras à part.
« Lors montera de terre es cieux,
« Et descendra devant tes yeux,
« Recevant vertu souveraine
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« Avec sa force terrienne.
« Ainsi parviendras à grand'gloire,
« Par tout le monde ayant victoire;
« C'est des forces toute la force.
« Là où maint se peine et efforce
« Les subtiles choses vaincras
« Et les dures transperceras.
« Merveilles sont moult convenables,
« Dont avons les raisons notables. »
Mon nom est Jehan la Fontaine.
Travaillant n'ai perdu ma peine;
Car par le monde multiplie
L'oeuvre d'or que j'ai accomplie
En ma vie, par vérité,
Grâces à Sainte Trinité,
Qui de tous maux est médecine
Vraie, et par effet la plus fine
Qu'on peut en aucune part *querre, **querre: trouver.
Soit en mer, soit en toute terre,
Et du métal impur l'ordure
Chasse, tant qu'en matière pure
La rend: c'est en métal très gent
De l'espèce d'or ou d'argent.
L'oeuvre se fait par ce moyen;
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Et si n'y faut nul autre *engien; **engien: moyen.
Selon mon petit sentiment
Le trouve véritablement.
Pour ce veux-je nommer mon livre,
Qui dit la matière, et délivre
L'artifice tant précieux:
La fontaine des amoureux
De la science très utile,
Décrite par mon petit style.
Fait fut par amoureux servage
Lorsque n'étais jeune d'âge
En l'an mil quatre cent et treize,
Que j'avais d'ans deux fois seize.
*Comply fut au mois de Janvier, **comply: accompli.
En la ville de Montpellier.
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QUELQU'UN AJOUTE
*Ci finit Jean de la Fontaine **ci: ici ou ceci.
Qui, tenant icelle oeuvre hautaine,
Comme un don de Dieu très secret,
Doit faire tout homme discret.
Tout l'art qui est de si grand prix
Peut être en ces deux vers compris:
Si fixum soluas, faciasque volare solutum,
Et volucrem figas, faciet te viuere tutum.
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BALADE
DU SECRET DES PHILOSOPHES
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Qui les deux corps veux animer,
Et leur Mercure hors extraire,
*L'ardant d'iceux bien sublimer, **l'ardant: le brûlant:
L'oiseau volant après *retraire: **retraire: retirer.
L'eau te convient par art *detraire **detraire: tirer.
Des deux unis parfaitement,
Puis le mettre en vase circulaire,
Pour fruit avoir très excellent.
Le Pélican faut *permuer: **permuer: changer.
De son vaisseau ne me puis taire:
N'oublie pas le circuler
Par feu subtil de très bon *aire: **aire: ?
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Lui fuyant te faudra fix'faire,
Et le fixe encore volant,
Dont viendra par temps *luminaire, **luminaire: grands luminaires: or et argent.
Pour fruit avoir très excellent.
Pas ne fais ce sans altérer
Nature, par voie contraire:
Car autrement ne peux muer
La substance, et teinture faire.
Enfin lui faut électuaire
D'autre corps noble et transparent:
Nature est commun exemplaire
Pour fruit avoir très excellent.
Prince, connais de quel agent
Et patient tu as affaire,
Pour fruit avoir très excellent
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