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Réfer. : 0202 .
Auteur : Avgvrel, Iean Avrelle.
Titre : Les trois Livres de la Chrysopée.
S/titre : c'est à dire de l'Art de faire de l'Or.
Editeur : Charles Hvlpeau. Paris.
Date éd. : 1626 .
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1
E P I T R E DE J E A N A U R E L L E
Augurel, au Pape Léon X.
'Invention, L'art, manière & usage
De faire l'Or, par moi d'ardent
courage
Longtemps cherché, j'ai su finalement,
Et rédigé en vers nouvellement,
Eclaircissant d'intelligence entière
(Comme j'ai pu) si obscure matière,
Avec l'honneur, & louanges diffuses
Qui à cet art se donne par mes Muses
Ce que jamais aucun n'a entrepris
Des Anciens, en grand nombre compris:
Or ayant mis la fin à ce mien oeuvre
Qui l'art au vif, de faire l'Or découvre,
Bien longuement je fus en pensement*
Au nom de qui je pourrais dignement
Approprier, & dédier ces choses
Qui de plaisir lui sembleraient encloses,
Afin que l'art & livre de l'auteur
Fut publié sous un bon protecteur:
Et quand j'avais une telle pensée
Droit à mes yeux soudain s'est avancée
Ta dignité, & ton nom précieux
Qui comme étant descendu des hauts Cieux
A
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2 E P I T R E
Pour secourir d'allégeance certaine
A tant d'ennuis de cette vie humaine
Fais reposer dessous le cruel Mars,
Quand il te plaît, voulgues* & braquemarts,
En éteignant les torches allumées
De tant d'erreurs & de crimes armées,
Et en donnant au peuple débonnaire
Repos d'esprit, plaisir, & salutaire,
De paix aussi un repos honoré
Parmi le cours de cet âge doré:
Voilà pourquoi (si comparer il faut
Chose petite à celle qui mieux vaut)
De faire l'Or l'invention présente
A tes saints pieds humblement se présente,
A cette fin qu'étant près de ta face,
Non néanmoins d'honneur toujours elle te fasse
Que le troupeau de la Chrétienne foi,
Et que ton nom elle adore pour moi:
Te suppliant si n'a totalement,
De maint affaire étroit empêchement,
Tant de faveur, & grâce lui permettre
Qu'elle se puisse en évidence mettre,
Et comme ôtant le voile de sa vue,
D'une rougeur virginale pourvue,
De noble sang, belle, aussi blonde qu'Or
Représenter elle te puisse encore
La grand valeur de sa beauté cachée,
Comme une vierge encore non touchée,
Car au lecteur si elle n'apparaît
De premier front, néanmoins telle elle est,
Que peu à peu en ses secrets ouverte
A l'oeil sera sa grâce découverte,
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E P I T R E 3
Et le lecteur merveilles y lira
Dont toutefois son oeil s'éjouira*,
Si cependant (Révérend père & saint),
Des dons de Dieu par la foi vive ceint)
Tu vois ici que les faux Dieux j'invoque
Des anciens dont, le Chrétien se moque,
Je te supplie ne t'en offenser point,
Mais, m'excusant, entendre sur ce point
Que j'ai suivi en mes vers poétiques
Les propres dits des Poètes antiques:
Cette matière est sujette en cela,
Et à bon droit, cette coutume elle a
De requérir de la Lune & Soleil,
L'aide & secours, & par un cas pareil
Du Dieu Vulcain les armes & puissance,
Mots inventés en cet art pour plaisance,
Dont je devais implorer leur secours
Te suppliant qu'en ce même discours
Cela me soit permis par ta clémence,
Comme à celui qui connaît son offense:
Une autrefois, ô noble & très saint père
Oeuvre plus saint te dédier j'espère,
Ou chanterai le céleste Sauveur
(Si j'ai du Ciel tant de grâce & faveur)
Que les Chrétiens par louable manière
Appellent seul en leur humble prière:
Ou (s'il te plaît) Moïse exalterai,
Et en beaux vers ses hauts faits chanterai,
Ou bien celui qui par nos pères vieux,
A été vu jadis parmi les Cieux
Dessus un char flamboyant, dont ces pères
Fort ébahis de tant divins mystères
A ij
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4 E P I T R E
Par le pur Air virent les Cieux ouverts
Et la lueur des Astres découverts,
Ou j'écrirai de peine non amère
Celui qui ja* au ventre de la mère
Prophète était, & qui divinement
Montra du doigt l'agneau certainement
Venu du Ciel, pour notre délivrance,
Et qui étant encore en enfance
Le plus souvent les déserts habitait.
Et qui d'un feu divin qui l'incitait,
Baptisa Cil au grand fleuve Jourdain
Qui de son sang notre sexe mondain
Tant nettoya, qu'il laissa sans ordure
Sa bien-aimée & simple créature:
Au nom duquel céleste Rédempteur
(Qui de ses dons t'a été donateur)
Tu es élu d'affluence céleste
Seul directeur de ce monde moleste
Pour refréner sous la Papale main
Les fols désirs de tant de peuple humain,
Bien ressemblant de tes vertus sublimes
Aux précédents Léons très magnanimes,
D'honneur Papal divinement ornés,
Et des faveurs du Ciel environnés,
Que l'Italie, & autre région,
Qui du vrai Christ suit la Religion
N'a point trouvés sinon très favorables,
Et en fortunes adverses secourables,
D'écrire ainsi quand j'aurai le pouvoir
O père saint, par très humble devoir
J'accomplirai ta volonté très sainte
Pour t'obéir d'humilité non feinte,
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E P I T R E 5
Non ignorant qu'en ce temps où nous sommes
En tout te sont redevables les hommes.
Or ce pendant prend ici la notice
Comment on peut par humain artifice
Tant faire l'Or, que muer les métaux,
Puis vois le but que ma Muse met aux
Secrets de l'art, montrant par grande droiture
Que faire on peut l'art égal à Nature.
Puis tu verras quelle fin imposer
Convient à l'art, & ordre disposer
A ses labeurs, & docte diligence,
Finalement où tend l'expérience:
Ce qui assez évident te sera
Lors que ton oeil prudent s'amusera
A voir le tout par ordre, & comme ensemble
Distinctement l'un à l'autre s'assemble:
Dont j'ai espoir que ce petit présent
Que je te fais de mon labeur présent
Ne te sera pour ce moins acceptable,
Mais jugeras l'art grand, & délectable.
Fin de l'Epître de Jean Aurelle Augurel.
A iij
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7
L E P R E M I E R
LIVRE DE LA CHRYSOPEE*,
ou de l'Art de faire l'or
par Jean Aurelle
Augurel.
Esir m'a pris d'enseigner, & apprendre, |
|
A ceux qui ont vouloir de le comprendre, |
|
Que la vertu en imitant les choses |
|
Qui en l'effet de nature sont closes, |
|
Peut faire l'Or, & quelle invention |
|
Sert, pour la mettre à exécution, |
|
Mettant le pied, de curieuse envie, |
|
Où les majeurs ne mirent en leur vie: |
|
O Dieux, à qui déplaisante n'est pas |
|
Expérience, ici dressés mes pas, |
|
Toi le Soleil sur tous premièrement |
|
Sois invoqué à mon commencement, |
|
Vu que pour toi l'Or semé tient en serre |
|
En plusieurs lieux & conduits de la Terre, |
|
Qui va cachant sous son grand corps les veines, |
|
Qui de ce beau Métal sont toutes pleines, |
|
A iiij |
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8 Le premier livre
| Métal sur tous les autres précieux
|
| Aussi luisant que les Astres des Cieux:
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| Et avec toi par faveur opportune
|
| A mon secours vienne ta soeur la Lune,
|
| Qui nourrissante & utile en son cours,
|
| Plus vivement que toi fait son discours,
|
| Et pour laquelle aussi la Terre s'ouvre
|
| Pleine d'Argent, & ses bras lui découvre
|
| Qui de couleur du blanc ciel décorés
|
| Aux regardants sont beaux & désirés.
|
| Et toi aussi je t'invoque, Mercure
|
| En si haut oeuvre où gît mon soin & cure,
|
| Car sans cesser d'une source & pure eau,
|
| En ta faveur distille un clair ruisseau
|
| Que nous voyons l'Argent vif te produire
|
| Très suffisant de souder & conduire,
|
| Le fondement de cet art de grand pris:
|
| Finalement ô Vulcain soit compris
|
| En mon souhait, donnant faveur propice
|
| A ton Poète, & à son artifice,
|
| Auquel il veut mettre en avant les faits
|
| Qui en cet art sont très grands & parfaits:
|
| Tu est celui qui les flammes gouvernes,
|
| Prenant plaisir aux ardentes Cavernes
|
| Où sont soufflets, Fournaises, & Enclumes,
|
| Et par plaisir à ce tu t'accoutumes,
|
| Fort, invincible, en voyant à ton aise
|
| Billons d'Airain passés par la fournaise,
|
| Billons aussi d'Electre & Or, recuits
|
| Dans les fourneaux ardents par toi conduits.
|
| Sans toi cet Art subtil ne peut bien prendre
|
| Son fondement, ni rien bien entreprendre.
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de la Chrysopée. 9
Amène aussi ô puissant Vulcanus |
|
Le Saint secours de ta femme Vénus, |
|
Car j'ai en moi parfaite connaissance |
|
Que d'engendrer elle a toute puissance, |
|
Elle fera que je ne me fourvoie |
|
Du vrai effet de Nature, & sa voie, |
|
Me montrera de combien de matières |
|
L'on rend par art les choses bien entières, |
|
Me montrera par ses enseignements |
|
De chaque point les vrais commencements, |
|
M'enseignera comme il faut procéder |
|
En la matière, & un point n'excéder, |
|
A cette fin que par telle assurance |
|
L'humide, & chaud reçoivent tempérance, |
|
Et par vertu de tempérance telle |
|
Chacune chose à jamais renouvelle, |
|
En engendrant son semblable à jamais. |
|
Et toi Vulcain, te levant désormais |
|
D'avec Venus ta femme bien aimée, |
|
Par une même invention nommée |
|
Imiteras ce feu propre & duisant*, |
|
De sa chaleur les choses produisant. |
|
Par toi en l'air les métaux on voit prendre |
|
Dedans un pot, & soudain mis en cendre |
|
Au fond du pot, puis par toi réchauffés, |
|
Liquides sont, de matières étoffés, |
|
Toi donc Vulcain, seul père nourrissant |
|
Me donneras du feu resplendissant |
|
Aucune fois la chaleur véhémente, |
|
Aucune fois plus tempérée & lente: |
|
D'oeuvre si grand soit le Prince & Auteur, |
|
Et de mes vers le premier directeur, |
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10 Le premier livre
| Rends mon esprit ardent, & que ma bouche
|
| Aucun propos fors savoureux ne touche,
|
| Et que par toi mes dits couchés en vers
|
| Soient épandus par le monde univers:
|
| Cette entreprise aussi soit inspirée
|
| Par ta faveur, Princesse Cythérée,
|
| Qui es l'honneur, & los* des siècles vieux,
|
| Autour de toi les Nymphes aux beaux yeux
|
| De Mincius, fleuve tant honorable,
|
| Jouent en rangs plaisant & délectable,
|
| Et en tout lieu de Phoebus la mesgnie*,
|
| Te suit, &, sert de belle compagnie,
|
| Où doucement Manto Nymphe très digne
|
| En son giron te tient sous l'herbe Andine.
|
| Te comprenant avec telles douceurs
|
| Comme sa nièce au rang de ses trois soeurs:
|
| Ainsi croîtra de degré, en degré
|
| Heureusement l'entreprise à mon gré,
|
| Et désormais d'une abondance haute,
|
| En mes écrits je n'aurai point de faute,
|
| En dépeignant de leur propre couleur
|
| Choses, qui sont de si grande valeur.
|
| En premier lieu ceci soit écouté;
|
| Tout corps étant sous le grand Ciel voûté
|
| (Soit le corps simple en sa vertu entière,
|
| Ou composé de diverse matière)
|
Toute | Tant longuement qu'il peut s'évertuer,
|
chose en- | Il tend à croître & à perpétuer
|
gendre & | Son successeur, par conservation
|
multiplie | De son espèce, & génération:
|
son sem- | Car quand le feu, quelque chose vient prendre,
|
blable. | Ne cessera de çà & là s'épandre
|
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de la Chrysopée. 11
Jusques à tant qu'il soit victorieux, |
|
Ayant le feu le tout mis à nos yeux, |
|
L'eau rend humide aussi ce qu'elle atteint, |
|
Et si son cours n'est par grand force éteint |
|
Ce qu'elle touche enfin sera par elle |
|
Réduit en eau, par vertu naturelle: |
|
La Terre ainsi, & l'Air semblablement |
|
Sont intentifs* de curieusement |
|
Muer, & joindre à eux toutes les choses |
|
Qui sont par temps sous leur pouvoir encloses, |
|
Mais de tous corps à vie disposés, |
|
Et de plusieurs matières composés, |
|
Les uns voyons de leur propre substance |
|
Produire fruit en naïve semence, |
|
Comme le blé, ou le germe amoureux, |
|
Du vin croissant fertile, & plantureux: |
|
Les autres corps engendrent leurs semblables |
|
Comme animaux qui sont irraisonnables, |
|
Le belliqueux cheval qui saute & rue, |
|
Le boeuf duisant* au fait de la charrue, |
|
Et l'homme aussi raisonnable, entendu, |
|
Et noblement des hauts Cieux descendu, |
|
Entre ces corps de nature diverse |
|
Il y en a d'autre sorte & espèce |
|
Qui sans semence ont leur commencement, |
|
Et qu'avoir vie on nie évidemment, |
|
C'est à savoir les Métaux, qui enserre |
|
Sont au milieu de cette ronde Terre, |
|
Pareillement les pierres reluisantes, |
|
De grand valeur, propices & duisantes*: |
|
Ces choses-là n'ont réputation |
|
D'avoir l'effet de procréation, |
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12 Le premier livre
| Mais en tous temps ont les pense stériles,
|
| Et à créer leur semblable inutiles:
|
| Mais un chacun croira finalement
|
| Que ces métaux vivent secrètement,
|
| Et que de vie ils ont la force & lieu
|
| Divinement, comme d'un don de Dieu,
|
| En contemplant leur naissance & leur être,
|
| Et le pouvoir de s'augmenter & croître:
|
| Comme on pourra, de plus clair jugement,
|
| Voir ci-après par maint enseignement.
|
| Et ce qui fait que ces métaux valables
|
| Ne semblent pas engendrer leurs semblables,
|
| Encore moins être si vertueux
|
| De convertir autre chose en eux,
|
| C'est que l'esprit, qui donne vie entière,
|
| Est empêché de trop lourde matière,
|
| Et n'a pouvoir de montrer la vertu
|
| Dont richement Nature l'a vêtu,
|
| Si l'industrie humaine, & vertu vive
|
| Ne lui fait voie, à telle fin qu'il vive,
|
| Et si l'ouvrier à l'extraire ne tâche
|
| De la matière épaisse qui le cache.
|
| Voire l'ont dit que l'Air, Terre, les Cieux,
|
| Et de la Mer le grand tour spacieux
|
| Sont excités intérieurement
|
| D'une âme vive, & généralement
|
| Que par cette âme a vie toute chose
|
| Que nous voyons dessous le Ciel enclose:
|
| Et (qui plus est) que par une âme telle
|
| Le Monde vit, & sa vigueur tient d'elle.
|
| Puis que c'est donc chose bien assurée
|
| Que toute âme est au Monde incorporée,
|
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de la Chrysopée. 13
Et que le monde en semblables accords, |
|
Du monde aussi les parties ont corps, |
|
Croire convient qu'au milieu de ces deux |
|
Gît un esprit puissant, & vigoureux |
|
Qui ne se doit ni corps ni âme dire: |
|
Mais qui des deux participe, & réduire |
|
Seul peut en un ces deux extrémités, |
|
Par ses effets en tout bien limités, |
|
Cet esprit-là désire tous les jours |
|
Que Terre, Mer, l'Air; & le Feu toujours |
|
Vivent, & soient enclins incessamment |
|
De s'augmenter, & prendre accroissement, |
|
Que toute chose ils tirent & remuent |
|
Joignent à eux, & à leur gré transmuent: |
|
Il veut aussi que tous les arbrisseaux, |
|
Racines, Plants, produisent fruits nouveaux, |
|
Et qu'en semence ample, & continuelle |
|
Des animaux l'espèce renouvelle. |
|
Semblablement cet esprit cher tenu |
|
Dedans l'Or blond, comme serf détenu, |
|
Requiert la main de l'ouvrier bien polie, |
|
Qui des liens, où il est le délié, |
|
A telle fin qu'il le rende puissant |
|
Et du pouvoir naturel jouissant, |
|
Et si aucun par art subtil s'avance |
|
De délier, & mettre à délivrance |
|
Cet esprit-là, le sachant échauffer, |
|
Et par long temps recuire & réchauffer, |
|
Il connaîtra (chose fort admirable) |
|
Qu'à l'Or viendra la vie désirable |
|
Avec l'effet de semence, & encore |
|
Que de l'Or même il pourra faire l'Or. |
|
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14 Le premier livre
| Donc si voyez cette chose certaine,
|
| Ores ne soit votre espérance vaine,
|
| O bons Ouvriers, mais attentivement
|
| Persévérez, & croyez fermement
|
| A mes propos, ayant bonne assurance
|
| Que vous mettrez fin à votre espérance.
|
| Ja par ces dits il appert clairement
|
| Que par nature on ne voit seulement
|
| Sous les conduits des montagnes l'Or naître
|
| Mais par l'engin d'un bon Ouvrier, & maître.
|
| Et par quel art & moyen il se fait
|
| Par ci-après j'en montrerai le fait,
|
| Or cependant enfin qu'en produisant
|
| La vérité de cet art tant duisant*,
|
| Rien ne me soit nuisant, pour ne suffire
|
| Qu'ajouter foi vous puissiez à mon dire,
|
| Ores je veux dissoudre & réfuter
|
| Tout ce qu'on peut à l'encontre objecter,
|
| Et si après plus forte expérience
|
| Assez mettra mon dire en évidence,
|
| Semblablement l'opinion de ceux
|
| Qui en cet art n'ont été paresseux
|
| En récitant les choses merveilleuses
|
| A quoi touché ont leurs mains bienheureuses,
|
| Et ce qu'ils ont contemplé de leurs yeux
|
| Pour le savoir, & le connaître mieux.
|
| Je dirai donc d'ordre ce que peut dire
|
Les obje- | Celui qui trouve en cet art à redire,
|
ctions con- | Premièrement que toute nation
|
tre l'art | Doit recevoir grand admiration
|
de faire | Si l'art pouvait en un moment parfaire
|
l'Or. | Ce que Nature a commencé de faire
|
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de la Chrysopée. 15
Par un long temps: & si l'art d'aventure |
|
Pouvait le cours surmonter de Nature |
|
Lequel elle a gardé si longuement |
|
Dessous la terre, & si soigneusement |
|
Ordre suivi du bas centre, & infime, |
|
Jusqu'au conduit apparent & sublime, |
|
Outre plus grand merveille ce serait |
|
Quand de savoir aucun s'efforcerait |
|
De tous métaux la première racine, |
|
Et les raisons de leur propre origine, |
|
Et si tâchant par art subtil & cure, |
|
A faire l'Or d'une même mesure |
|
Poids, & valeur il rendait les métaux |
|
Comme on les voit par nature être égaux. |
|
Que dira-t-on aussi du lieu exquis |
|
Où sont naissants ces métaux tant requis? |
|
Qui est celui qui tant d'esprit s'égare |
|
Que la chaleur de fournaise il compare |
|
A la chaleur qui sous Terre est menée |
|
Qui tout ainsi que d'une cheminée |
|
Sort des conduits de Terre, & fait son tour |
|
Ores dessus, ores tout à l'entour, |
|
Puis tôt par elle au centre descendue |
|
En son entier toute chose est rendue. |
|
Qui est celui qui pourrait entreprendre |
|
De tant de dons de Nature comprendre |
|
Qui tout produit, qui maternellement |
|
De toute chose est le nourrissement? |
|
Onc telle force eurent hommes mortels? |
|
Non pas Géants, qui les Dieux immortels |
|
Jadis voulaient chasser des lieux célestes |
|
Par grands efforts, violents & molestes. |
|
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16 Le premier livre
| Qui ayant pu la racine arracher
|
| De maint puissant & sublime rocher
|
| N'oseraient pas commettre ce massacre
|
| De pénétrer le fonds de Terre sacre,
|
| Ni de chercher des secrets l'ouverture
|
| Que veut celer notre mère Nature,
|
| Et ne permet par ces raisons conformes
|
| Que corps mués soient en diverses formes,
|
| Car un lourd boeuf à ce ne peut venir
|
| Que cheval prompt il puisse devenir.
|
| De Parnassus, mont odoriférant
|
| Le vert laurier aux chênes différent
|
| Garde n'aura son espèce finie
|
| D'être un dur chêne au bois de Chaonie.
|
| Autre raison ne peut donc satisfaire
|
| A ce que l'Or d'Airain on puisse faire
|
| Ni que tout corps soit si fort & puissant
|
| Pour voir de lui son semblable naissant.
|
| Voilà les points & arguments sans force
|
Réponse | Desquels en vain l'on travaille & s'efforce
|
aux obje- | D'atténuer ce bel art précieux
|
ctions pré- | Qui est transmis des hauts Astres des Cieux.
|
cédentes. | Mais toutefois il n'est ja de besoin
|
| De se vexer par un extrême soin
|
| A s'enquérir des premiers mouvements
|
| De toute chose, & de commencements,
|
| Bien que ce soit moyen d'éjouissance*
|
| D'en recevoir parfaite connaissance.
|
| Aussi peu sert cette inquisition
|
| Savoir de quel ordre & proportion
|
| En certain poids, & nombre sont reçues
|
| Choses, qui sont sous le Ciel aperçues:
|
| Car
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de la Chrysopée. 17
Car si ta main d'aventure commence |
|
A gouverner le blé, & sa semence |
|
Enquérir lors point il ne te convient |
|
Que c'est du blé de quelle chose il vient, |
|
Ni de quel poids & mesure conforme |
|
Son origine à ce blé se conforme: |
|
Mais sèmera le blé diligemment |
|
En terre grasse, & puis notoirement |
|
Verras du blé la grand vertu latente |
|
Qui vit, & est de soi-même mouvante, |
|
Et à Nature (en cela t'assurant) |
|
Tu laisseras songer le demeurant. |
|
Et n'est requis de temps un long espace |
|
A cet art-ci, qui de naïve grâce |
|
De faire l'Or, de l'Or est coutumier, |
|
Et ne le fait du principe premier. |
|
Que direz-vous, si en cet exercice |
|
Parfaits ouvriers font par leur artifice |
|
Et par leur main docte & laborieuse |
|
Chose, qui est plus que l'Or précieuse |
|
Et cette chose excellente & plus belle |
|
Que le pur Or, Elixir on appelle, |
|
Et les experts Arabes de renom |
|
Lui ont jadis imposé un tel nom, |
|
Pour ce que c'est un apparent indice |
|
De vérité, & qui d'effet propice |
|
Chacun Métal en un meilleur réduit, |
|
Le purifie, & plus beau le produit: |
|
Et par ainsi il n'est point nécessaire |
|
(Pour réfuter l'argument adversaire) |
|
D'avoir égal à la chaleur qui gît |
|
Dessous la Terre, & ses veines régit, |
|
B |
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18 Le premier livre
| Et qui long temps échauffe la semence
|
| De tous métaux au fonds de Terre immense,
|
| Mais nous devons tous généralement
|
| Entre Nature & l'art également
|
| Prendre un chemin, & suivant ce milieu
|
| Finalement parviendrons à ce lieu,
|
| Auquel ensemble Art & nature tendent,
|
| Et où nos voeux de faire l'Or, prétendent.
|
| Et toutefois penser tu ne dois point
|
| Que des métaux cet Art mue en tout point
|
| L'espèce & forme, alors que de l'Argent
|
| Et de l'Airain verra faire l'Or gent,
|
| Mais pensera que l'Or qui n'a commune
|
| Forme d'Airain, ni de l'Argent aucune
|
| Est fait d'Airain, & de l'Argent, j'açoit
|
| Que leur espèce, espèce d'Or ne soit,
|
| Ainsi qu'on voit croître en un champ fertile
|
| Souvent l'ivraie, ou l'avoine stérile:
|
De la fiente | Ou comme au ventre & aux côtes rompues
|
de boeuf, | D'un boeuf, font bruit mouches à miel repues:
|
naître | Ou comme on voit bien souvent que les filles
|
mou- | A nourrir vers expertes & subtiles
|
ches à | Ont plusieurs oeufs par un soin studieux
|
miel. | Mis en leur sein tendre & délicieux,
|
| Puis de ces oeufs, vers en grand quantité
|
Les vers | Naître, & avoir prompte vivacité,
|
qui font | Qui en après sustentés du feuillage
|
la soie, | De vert Laurier, choisi pour leur usage,
|
engendrent | Envelopper s'en vont quelque saison
|
papillons. | A une fine & subtile toison;
|
| Et à la fin qu'ils ont ja pieds & ailes,
|
| Marchants, volants, ont figures nouvelles,
|
@
de la Chrysopée. 19
Et papillons deviennent promptement |
|
Qui petits vers étaient premièrement. |
|
Que direz-vous si mon dire je forme, |
|
Que tous métaux n'ont qu'une espèce & forme? |
|
Et néanmoins le vulgaire ignorant |
|
Croit tout métal d'espèce différent, |
|
Desquels métaux celui qui plus d'ordure |
|
Aura en lui, issu de Terre impure |
|
Incontinent par subtil artifice |
|
Dépouillera sa terrestre immondice, |
|
Et par cet art ainsi mondifié* |
|
Resplendira comme Or purifié: |
|
Et pour ce est-il utile que tous sachent |
|
Terre & lieux, où les métaux se cachent, |
|
La cause aussi de la création |
|
De ces métaux, dont il est mention, |
|
Et de combien d'espèces différentes |
|
Sont les métaux en formes apparentes. |
|
Pourquoi aussi, dès leur commencement |
|
Tous séparés ils sont distinctement. |
|
Mais qui pourra tant de puissance acquerre* |
|
D'aller aux creux abîmes de la Terre, |
|
Où si l'on peut descendre jusqu'au fond |
|
Qui reviendra des abîmes profonds? |
|
Ou qui pourra au vrai compter les choses |
|
Qu'il aura vu sous ces secrets encloses? |
|
Vous Muses donc, qui en ce droit avez, |
|
Et qui au vrai toutes choses savez, |
|
Et vous aussi ô Nymphes & Déesses, |
|
Révélez-moi par subtiles adresses |
|
Ce qu'à aucun de mes prédécesseurs |
|
Vous n'avez dit, pour les en rendre sûrs, |
|
B ij |
|
@
20 Le premier livre
| Si que premier en ce loyal office
|
| De vaisseaux d'Or je fasse sacrifice
|
| A vos saints noms, par ma voix adorés,
|
| Et qu'à jamais vivent mes vers dorés.
|
| Lynceus fut (comme on va racontant)
|
| De clair regard tout autre surmontant
|
| Car du sommet du haut mont de Sicile
|
| Ce lui était fort commun & facile
|
| De regarder jusqu'au port de Carthage,
|
| Et de nombrer les nefs en ce rivage.
|
| Ce Lynceus oeil si aigu avait
|
| Que pénétrer les rochers il pouvait,
|
| De la plus grand' montagne par lui vue
|
| Jusques au fond il étendait sa vue,
|
| Voyant la terre en sa concavité,
|
| Et les secrets de sa profondité,*
|
| En contemplant ces cavernes profondes
|
| Ni plus ni moins que voyons par les ondes,
|
| Par le pur air, par le cristal aussi
|
| Ou clairement par ces choses ici
|
| De toute chose à nos yeux présentée
|
| La figure est soudain représentée.
|
| Souventefois sur la sommité belle
|
| Du mont Pachin, sa terre naturelle,
|
| Il s'est assis, ayant bien ce pouvoir
|
| Que clairement Trinacre il pouvait voir
|
| Tant par les lieux apparents & sublimes,
|
| Que jusqu'au fond des plus cachés abîmes
|
| Même du mont où il était assis
|
| Il contemplait de son regard rassis
|
| Le mont Etna, que feu ardent enflamme,
|
| Et connaissait la raison de la flamme.
|
@
de la Chrysopée. 21
Ce Lynceus ayant ce jugement |
|
Qu'il pouvait voir de loin si vivement, |
|
Mis à son oeil ces lieux en évidence, |
|
Délibéra par haute providence |
|
D'aller plus loin, laissant ces lieux connus |
|
Pour son regard mettre en lieux inconnus, |
|
Et contempler chose de plus grands prix |
|
En lieux qu'il n'a de fréquenter appris, |
|
En ce désir qui l'incite, & attire |
|
Soudainement il monte en un Navire |
|
Et d'invoquer les Dieux Marins s'avance, |
|
Pour mettre à fin son voeu & espérance: |
|
Mais si tôt n'eut ce clair voyant Lyncée |
|
Au départir Sicile délaissée |
|
Qu'une tourmente horrible s'éleva, |
|
Et Ciel & Mer troubler, tant elle va |
|
Que lui qui droit, au port de Grèce aspire |
|
Fut repoussé à la ville d'Epire: |
|
Et ce qui fit les ondes s'émouvoir, |
|
Et à Lyncée un tel orage avoir, |
|
C'est Arethuse, & les Nymphes marines |
|
Qui s'efforçaient de leurs forces divines |
|
Depuis le fonds flots sur flots assembler |
|
Pour en son cours toute la Mer troubler, |
|
Car de frayeur elles furent pourvues |
|
(Non toutefois sans cause) d'être vues |
|
Par Lynceus jusque dedans leurs lits |
|
En l'eau marine illustres & polis, |
|
Donc tout le Ciel en grand labeur & cure |
|
Par elles fut couvert de nue obscure, |
|
Et aux Nochers semblait ja voir la nuit |
|
Tant l'obscur'té de Ciel & Mer leur nuit. |
|
B iij |
|
@
22 Le premier livre
| Lynceus lors incontinent laissa
|
| Ce lieu d'Epire, & d'aller s'avança
|
| Jusques au faix de Pindus mont sublime
|
| Pour contempler chose haute, & infime.
|
| Et de sa vue aiguë, fine & caute*
|
| Il vit Hemmus montagne grand' & haute,
|
| Puis Rhodopé, & sans que l'oeil s'égare
|
| Il pénétra le haut mont de Tomare,
|
| Non seulement le dehors, mais le fond
|
| De ses obscurs abîmes & profonds,
|
| Et alentour il vit les cent fontaines
|
| Qui ne sont pas de Tomare lointaines,
|
| Il vit aussi de ses yeux clairs & beaux
|
| Le fond de terre avec ces cent tuyaux,
|
| Et davantage au plus près de sa vue
|
| Saillir alors une rivière est vue
|
| Qui du plus creux de Pindus dégouttait,
|
| Achelous cette rivière était
|
| Qui en son cours au mont Taurus est jointe
|
| D'un des côtés de ses cornes en pointe,
|
| Et s'étendant en bas profondément,
|
| Dedans les creux abîmes promptement
|
| Se va cacher, craignant encore la masse
|
| Du vigoureux Hercules plein d'audace.
|
| Ce Lynceus prit soulas* & plaisir
|
| D'environner Ceraunes à loisir
|
| Sublimes monts, pénétrant de ses yeux
|
| Ces monts ardus, & leurs abîmes creux,
|
| Puis tout soudain par diligente adresse
|
| Il se va seoir sur les hauts monts de Grèce,
|
| Desquels il a pu voir facilement
|
| Centres obscurs intérieurement
|
@
de la Chrysopée. 23
Et (dont il a mérité grands louanges) |
|
Il vit premier maintes choses étranges, |
|
Et nous les a apprises & laissées, |
|
Que si par nous elles soient annoncées: |
|
Mais quand ainsi d'expliquer je prétends |
|
Choses, que j'ai apprises de longtemps, |
|
Surtout je veux & grandement désire |
|
Qu'entre tous ceux qui viendront ici lire |
|
Y viennent gens par qui premièrement |
|
Ces miens écrits soient lus bien mûrement, |
|
Au coeur desquels la prudente Minerve |
|
Pour son séjour lieu exprès se réserve, |
|
Remémorant d'ingénieux devoir |
|
Choses, qui sont très dignes de savoir. |
|
En premier lieu la place fortunée |
|
A engendrer les métaux ordonnés; |
|
C'est une grand' Masse de terre ronde |
|
En son endroit immobile & profonde, |
|
Bien ressemblant de dur marbre une tasse, |
|
Prise & coupée en la profondeur basse |
|
D'une montagne, & semble à un lieu clos |
|
Voûté, concave, en forme d'arc enclos, |
|
Et cette place ainsi dite et montrée |
|
Et des rayons du Soleil pénétrée, |
|
Et bien souvent par foudres & tonnerre |
|
Les feux du Ciel y descendent grand erre, |
|
Qui de l'effet de leur vivacité |
|
Cuisent la terre en son humidité, |
|
Puis tôt après remplissent pierres, fentes, |
|
Et tous les lieux de vapeurs véhémentes, |
|
Mais peu à peu quand une vapeur telle |
|
A endurée chaleur continuelle |
|
B iiij |
|
@
24 Le premier livre
| Elle s'arrête, & plus ne se remue
|
| Par les secrets conduits de terre émue.
|
| Finalement quand elle est nuit & jour
|
| Fort endurcie après un long séjour,
|
| C'est un métal sans forme, dans les veines
|
| De Terre sacre abondantes & pleines.
|
| Cette liqueur de feu entremêlée
|
| En tous les lieux de la Terre coulée
|
| Qui par avant courait fort ointe & grasse
|
| Sort du profond de cette grande Tasse
|
| Où bout le soufre avec le vif argent,
|
| Et de là sort en cours fort diligent,
|
| Cet argent vif, duquel la vie est telle
|
| Que toujours dure & est perpétuelle:
|
| Et de ses deux en augmentation
|
| Toute chose a sa génération,
|
| Le vif argent a vertu de femelle,
|
| L'autre du mâle a vertu naturelle
|
| De l'Argent vif l'office & le devoir
|
| C'est de toujours la chaleur recevoir,
|
| Et la chaleur par l'Argent vif reçue
|
| Du don du Soufre & office est issue.
|
| De ces deux vient l'espèce de l'Or roux
|
| Métal exquis, resplendissant sur tous,
|
| De ces deux-là, l'Argent clair est issant,
|
| Et le fer noir, & l'Airain rougissant,
|
| De là provient la veine du plomb pâle,
|
| Et de l'Etain, ayant couleur égale
|
| Au clair Argent, & à son poids réduit
|
| Si ce n'était qu'il crie & mène bruit.
|
| Donc sur tous les cupides mortels,
|
| Vont chercher l'Or en labeurs immortels
|
@
de la Chrysopée. 25
Par grand désir, par une extrême envie, |
|
Et grand danger de cette humaine vie. |
|
Car les Indous qui devers* l'Ourse habitent |
|
Vont dérober comme (les uns récitent) |
|
Les monceaux d'Or en évidence mis |
|
Par une grande légion de fourmis, |
|
Qui toutefois ne sont pas paresseuses |
|
D'y résister, mais comme courageuses |
|
D'ongles & bec déchirent rudement |
|
Ceux, qui cet Or ont pris furtivement, |
|
Combien qu'ils soient dessus chameaux montés, |
|
Et sur iceux légèrement portés: |
|
Italiens ne sont en moindres peines |
|
A chercher l'Or sous la terre & ses veines, |
|
Quand une fois de l'Or tant désiré, |
|
D'une montagne ils ont pris & tiré, |
|
Et me taisant des pièces d'Or qu'on trouve |
|
Au sable roux de Tagus riche fleuve, |
|
Je vous dirai labeurs plus étrangers |
|
Et beaucoup plus pernicieux dangers |
|
Où ils sont mis, en quoi leurs entreprises |
|
Moins que les fols Géants ne sont reprises, |
|
Premièrement de grands forces viriles |
|
Ils vont couper les montagnes stériles, |
|
En pénétrant intérieurement |
|
Lieux, ou chemin n'était premièrement, |
|
En pénétrant avec maintes lanternes |
|
Abîmes creux, & obscures cavernes |
|
De nuit & jour sans clarté de Soleil, |
|
L'un après l'autre en travail nom pareil |
|
Dessus le col portent pierres coupées |
|
Parmi ces grands cavernes étoupées |
|
@
26 Le premier livre
| Jusque à tant que l'un d'eux le jour voie,
|
| Premier issu de cette obscure voie
|
| Qui se décharge (après qu'il est issu)
|
| Du pesant faix de main en main reçu:
|
| Mais si en voie ils trouvent d'aventure
|
| Pierre à couper trop difficile & dure
|
| (Comme jadis Hannibal rencontra,
|
| Quand contre nous les monts il pénétra)
|
| Par feu adonc cette pierre ils cuiront,
|
| Et avec fort vinaigre amolliront:
|
| Mais ce pendant une noire fumée,
|
| Dans la caverne est par tout enfumée,
|
| Vient étouffer ces pauvres malheureux,
|
| Et sous le faix pesant & dangereux
|
| De leur besogne ainsi mal commencée
|
| En un moment leur mort est avancée,
|
| Quoi prévoyant les autres qui travaillent
|
| A même fait, de coups puissants qu'ils baillent,
|
| Rompant le Roc, avec marteaux ferrés
|
| Font ouverture aux conduits enserrés,
|
| Afin que par les ouvertes fissures
|
| Sortent vapeurs des cavernes obscures,
|
| Et ne mettront fin ni repos quelconques
|
| A leur labeur, qu'ils ne fassent adonc
|
| De plusieurs arcs tout le mont soutenir,
|
| Et ayant pu à ce but parvenir,
|
| Par eux des arcs le soutien est défait
|
| Et le dernier appui qu'ils avaient fait:
|
| Puis quand ils voient que l'heure approche fort
|
| Que doit tomber le mont sublime & fort,
|
| Par la fissure ils font un certain signe
|
| De l'éminence, & prochaine ruine.
|
@
de la Chrysopée. 27
Celui qui est dessus la sommité |
|
Connaissant lors le signe limité |
|
Frappe un grand coup, & criant hautement |
|
Fait reculer arrière vivement |
|
Maîtres, valets, lui-même prend la fuite, |
|
Incontinent la montagne détruite |
|
Tombe, & fait bruit qui dure longuement, |
|
Si qu'il n'y a humain entendement |
|
Qui sut narrer cette chose aperçue |
|
Ainsi qu'il a en son esprit conçue, |
|
Encore moins le bruit qui aux oreilles |
|
Est déplaisant, & fâcheux à merveilles, |
|
Ni le grand vent, & rude soufflement |
|
Duquel est l'Air rempli soudainement. |
|
Ainsi ces gens en vain laborieux, |
|
Et de leur fol travail victorieux, |
|
Un grand plaisir ont de voir la jacture,* |
|
La grande ruine, & perte de Nature, |
|
De là pourtant encore n'est tiré, |
|
Par leur labeur, l'Or blond tant désiré. |
|
Et n'ont pas eu la connaissance encore |
|
Si en ce lieu était la mine d'Or, |
|
N'en fossoyant sous ces lieux inconnus |
|
Ni paravant qu'ils y fussent venus: |
|
Mais seulement invincible espérance |
|
En leur désir faisant sa demeurance, |
|
Les a menés par tant de périlleux |
|
Travaux, dangers, & gouffres merveilleux. |
|
Mais à quelle fin m'arrêterai-je ainsi |
|
Sur le récit de ces choses ici, |
|
En me taisant de autres précieuses |
|
Qui ne sont moins que ces ci merveilleuses? |
|
@
28 Le premier livre
| Par ces gens-là de tel souci lassés,
|
| Autre labeurs après sont embrassés
|
| Pour nettoyer cette montagne haute
|
| Qu'ils ont voulu ruiner par leur faute
|
| En inondant la place ruinée
|
| D'abondante eau d'une source amenée,
|
| Et pour tel fait, d'ardeur qui les semond,*
|
| Du haut sommet d'un très sublime mont
|
| (Combien qu'il soit d'une longue distance,
|
| Et de cent rocs séparé, sans doutance)
|
| Feront venir par conduits & canaux
|
| Jusques au lieu ruiné, si grands eaux,
|
| Qu'en grand roideur* par désertes vallées
|
| On voit de grands rivières dévalées,
|
| Semblablement par rocs inaccessibles,
|
| Par eux coupés, & rendus accessibles
|
| A l'eau courant par canaux, qui s'assemble
|
| De toute parts, & une Mer ressemble,
|
| Qui aussitôt que chemin lui est fait,
|
| Sort, & un bruit très impétueux fait,
|
| Attirant tout avec son Torrent:
|
| Et toutefois enfin elle se rend,
|
| Et est reçue aux fosses çà & là
|
| Qui faites sont exprès par ces gens-là.
|
L'arbre | Un arbre y a âpre, mais estimable,
|
nommé | Nommé Ulex, au romarin semblable
|
Ulex, at- | Qui quand il est épandu en maints lieux,
|
tire l'Or | Retient, & tire à lui l'Or précieux,
|
à lui. | Par quoi ces gens s'en vont de toutes parts
|
| Environner ces grands fleuves épars
|
| De tables grands tout alentour fichées,
|
| Puis quand cette eau par les roches tranchées
|
@
de la Chrysopée. 29
Passe, & retourne en la Mer sans demeure, |
|
L'Or aux rameaux de cet Ulex demeure. |
|
Ce labeur-là n'est pas des plus petits, |
|
Vu que par tant curieux appétits |
|
Ils sont sujets en diverses manières |
|
De s'exposer aux dangers des rivières, |
|
Et de passer par les cribles encore |
|
Riches sablons, où l'on ne trouve qu'Or. |
|
Mais pourrait-on encore dire chose |
|
De plus grand peine, & vains travaux enclose, |
|
Qu'après avoir fossoyé Puits profonds, |
|
Pris & tiré ce qui était au fonds, |
|
Il est battu, lavé, brûlé aussi, |
|
Mis en farine, en non pareil souci? |
|
Ceux d'Italie à ces labeurs susdits |
|
Se sont un peu exercités* jadis, |
|
C'est à savoir par conduite des ondes, |
|
Et en faisant puits & fosses profondes, |
|
Et en tâchant de creuser & miner |
|
Rochers, pour mieux les hauts monts ruiner, |
|
Et à ce fut cette gens incitée |
|
Alors qu'était la Terre exercitée* |
|
A un tel fait, & que les Anciens |
|
Libres étaient, pour suivre ces moyens, |
|
Et toutefois depuis cette licence |
|
Par une bien équitable défense |
|
L'on a laissé la coutume ancienne |
|
De fossoyer la terre Italienne, |
|
En reprenant le convoiteux* désir |
|
De l'Or, qui vient les coeurs humains saisir, |
|
Car la prudente & sage autorité |
|
De nos majeurs pleins de maturité |
|
@
30 Le premier livre
| N'a pas permis qu'on tirât hors de Terre
|
| Aucuns Métaux qui sont cachés en serre,
|
| Et croit pour vrai qu'il n'y a terre au monde
|
| Plus abondante en bien ni plus féconde,
|
| Que l'Italie, & où (tout bien prouvé)
|
| De veines d'Or il serait plus trouvé,
|
| (Vu qu'un long temps est déjà expiré
|
| Qu'on en a point ce blond métal tiré)
|
| S'il n'y avait discorde entre les hommes,
|
| Et si la guerre en ce temps où nous sommes
|
| Ne tourmentait de ses cruelles mains
|
| Incessamment les désirs des humains,
|
| Mais si les Rois (au contraire) & les Princes
|
| Etaient unis de toutes les provinces
|
| Pour d'un accord, sans nullement fléchir,
|
| Par ce bel art, tout le monde enrichir,
|
| Et puis avoir sur toute nation
|
| Force, puissance, & domination,
|
| Il régnerait une saison heurée*
|
| D'oeuvre de Paix à chacun désirée,
|
| Par qui les arts, qui en diverses modes
|
| Aux bons esprits sont aptes & commodes,
|
| Sont en vigueur, & mis en évidence,
|
| Entre lesquels cet art par excellence
|
| Doit être mis, qui nous fait éplucher
|
| Ce roux Métal des autres le plus cher:
|
| Jusques au fond de Terre, & ses fissures,
|
| Abîmes creux, & cavernes obscures,
|
| Car par cet art un beau Métal on tire
|
| Qui sur tout autre à grand valeur aspire,
|
| Dont à bon droit il mérite le nom
|
| Sur tous Métaux, & le premier renom.
|
@
de la Chrysopée. 31
Puis la couleur de ce métal aimable, |
|
Est à chacun plaisante & estimable. |
|
Pour ce qu'au vif elle présente aux yeux |
|
Cette couleur des étoiles des Cieux, |
|
Puis on le plie, & met en toute sorte |
|
Dont sa douceur de tous le bruit emporte, |
|
Et (qui le fait encore plus duisant)* |
|
De tous les poids il est le plus pesant, |
|
Et dont priser il le faut en tout point, |
|
Le feu ardent ne le consume point, |
|
Il ne se peut par aucune souillure |
|
Diminuer, ni par vielle rouillure. |
|
Tant bien il est solide & disposé, |
|
Et fermement produit & composé, |
|
Lors que le soufre à la cause laissée |
|
De sa chaleur, & du tout abaissée |
|
Cette vertu de sa fluidité, |
|
Pareillement son onctuosité |
|
Dont il ne peut jeter dorénavant |
|
Vapeurs ainsi qu'il faisait par avant, |
|
Puis étant cuit par long temps & espace |
|
En délaissant toute immondice & crasse, |
|
Adonc verrez ce beau Métal issant, |
|
Etre à vos yeux clair & resplendissant, |
|
Et par ainsi humidité naïve |
|
Avec chaleur qui n'est point excessive, |
|
Donne à cet Or égale tempérance, |
|
Et la couleur de très claire apparence, |
|
A l'Argent vif des ondes écoulées |
|
Pas moins ne sont les parties mêlées |
|
Parmi les lieux & conduits de la Terre, |
|
Sans qu'il y ait répugnance ni guerre. |
|
@
32 Le premier livre
| De là provient que la chaleur du Soufre
|
| Et Argent vif, (d'union qui le souffre)
|
| En petit lieu plusieurs petits corps font,
|
| Clairs & luisants, qui poids & couleur ont,
|
| Et le lien qui les conjoints ensemble
|
| Dure longtemps, sans qu'il se désassemble.
|
| Par ces propos & premier fondement,
|
| D'ordre certain connaîtras clairement
|
| De tous Métaux la vraie différence.
|
| En premier lieu mets là ton assurance,
|
| Que si le Soufre est au commencement
|
| Moite, & le vif Argent semblablement
|
| Ce qu'ils pourront engendrer & atteindre,
|
| De leur couleur commenceront à teindre
|
| De plus en plus, ou d'autant que plus cuits
|
| Sont, & brûlés ces métaux, & recuits,
|
| Ou pour autant que la chaleur donnée
|
| Trop grande ou moindre, en mainte longue année
|
| Evidemment la matière cuira.
|
| De la provient que mainte forme y a
|
| Variété, & espèce des choses,
|
| Qui pour autant qu'ensemble sont encloses
|
| Le plus souvent, des Grecs, métaux nommées
|
| Sont à ce nom toujours accoutumées.
|
| Or un chacun Métal est apparent
|
| En son espèce, ou d'autres différent,
|
| Ou ils sont tous par naturelle essence
|
| Nés, & produits d'une même semence,
|
| Et d'une espèce, & génération:
|
| Fors que les uns par admiration
|
| Riches & beaux sont de leur géniture,
|
| Les autres ont des taches de Nature
|
| Qu'ils
|
@
de la Chrysopée. 33
Qu'ils garderont, sans qu'on doive penser |
|
Que leur ordure ils puissent effacer. |
|
Mais puisque l'un & l'autre avis cité |
|
Plaît aux Auteurs de grand capacité, |
|
Et qu'il n'y a encore jusqu'ici |
|
Juge, qui ait ce scrupule éclairci, |
|
Et que j'açois* qu'il y ait mis grand peine |
|
N'a approché de vérité certaine, |
|
Il faut bien dire & croire que cela |
|
Expressément Nature nous cela, |
|
En se cachant aux entrailles concaves |
|
Des choses fort pondéreuses & graves. |
|
Jusques ici nous avons répondu |
|
A l'argument contraire prétendu |
|
Contre cet art, les raisons réfutées |
|
A si exquis & noble art objectées |
|
Vienne à présent expérience en place |
|
En grave port, avec joyeuse face, |
|
Où l'on ne peut erreur apercevoir, |
|
Et qui n'est point sujette à décevoir. |
|
L'expérience ores manifestée |
|
Jadis (dit-on) vint servir Prométhée |
|
Après les arts que lui non ocieux* |
|
Pour le servir avait tiré des Cieux, |
|
Et par long temps il usa du service |
|
D'expérience, en naïf exercice, |
|
Mais se voyant déjà vieil & chenu |
|
Et sur le point des derniers jours venu |
|
On fait récit qu'à son trépassement |
|
Il la laissa aux sages seulement |
|
Et aux prudents, auxquels sans controverse |
|
Elle obéit, & avec eux converse. |
|
C |
|
@
34 Le premier livre
| Depuis ce temps expérience a mis
|
| Dans le cerveau des hommes, ses amis,
|
| Une facile & évidente preuve
|
| Par qui certain & véritable on trouve
|
| Qu'on peut par art muer heureusement
|
| Aucuns métaux, & que certainement
|
| Par ce même art le vrai Or on peut faire,
|
| L'Argent aussi d'autres métaux extraire.
|
Par la | Certaine pierre en Syrie il y a
|
pierre | Nommée Or-peint que les Peintres de là
|
nommée | Tirent de Terre, & la peut-on dissoudre
|
Or-peint | Rompre menu, & la réduire en poudre,
|
se fait | Ni plus ni moins que la pierre nommée
|
l'Or, par | Specularis, or cette pierre aimée
|
les Grecs | Qu'on dit Or-peint, est de telle valeur
|
appelée | Qu'en terre elle a de l'Or blond la couleur,
|
Obryson. | Il te convient à cela employer
|
| De purement & bien la nettoyer.
|
| Puis en grand feu fais cette pierre cuire,
|
| En même lieu ce feu se vient réduire,
|
| Après que bien longuement à leur aise
|
| Ses flammes ont vagué par la fournaise.
|
| Caïus César ingénieusement
|
| Fit par ce feu l'Or anciennement.
|
| Et cet Or là par bien bonne raison
|
| Est par les Grecs appelé Obryson,
|
| Ainsi reçu d'appellation telle
|
| Comme étant fait de chose naturelle,
|
| Ou pour autant qu'il est mondifié*
|
| Avec grand feu, & tôt purifié,
|
| Ou pour autant qu'il resplendit & dure
|
| En sa lueur, sans macule & ordure.
|
@
de la Chrysopée. 35
Et lors ce n'est plus Or-peint, mais c'est bien |
|
Or pur & fin, sans qu'il s'en faille rien, |
|
Qui seulement lors que pierre il était |
|
L'ombre & couleur de l'Or représentait. |
|
Mais pour ôter à tous cette pensée |
|
Qu'ores ne soit par mes vers avancée |
|
Chose trop vielle, & que cette leçon |
|
Ne semble point trop antique chanson. |
|
Muses soyez toujours continuelles |
|
De raconter les choses plus nouvelles, |
|
Dans les vaisseaux une croûte apparaît |
|
Où le vin blanc a fait un long arrêt |
|
Schola auquel mon amour est donné |
|
L'honneur & choix de la gent Eugannée |
|
Prend cette croûte au fond d'un vieil tonneau |
|
Et puis la met dedans un net vaisseau |
|
De Terre fait, de boue il couvre & serre |
|
Tous les pertuis de ce vaisseau de Terre, |
|
En un fourneau le met, & sans séjour |
|
Le fait bouillir & cuire nuit & jour, |
|
Bien espérant que cette Masse dure |
|
Représenter puisse mainte figure, |
|
Et quand ce pot selon son jugement |
|
Lui semble cuit au feu suffisamment, |
|
Le tire & prend, & en pièce le brise, |
|
Comme requiert une telle entreprise, |
|
Puis il regarde à la terre menue |
|
Si toute blanche elle est point devenue, |
|
Brisant après de ce vin vieil la croûte |
|
Qu'il voit & sent être ja cuite toute. |
|
Alors voit-on (cas merveilleux & gent) |
|
Un nombre grand de scintilles d'Argent |
|
C ij |
|
@
36 Le premier livre
| Clair & luisant, comme au Ciel les étoiles
|
| De couleur d'Or reluisantes & belles.
|
| Mais pourquoi fais-je arrêt & demeurance
|
| Au fait, où gît d'autrui l'expérience?
|
| Ou en cela qu'autrui me fait savoir
|
| Pour seulement le me ramentevoir?*
|
| Pourquoi d'autrui veux-je le chemin suivre;
|
| Ses dits & faits, enseignements ensuivre?
|
| Moi-même ai vu d'un regard diligent
|
| Homme mêlant aux tablettes d'Argent
|
| Grains de sel blanc fort chaud, avec cela
|
| La poudre aussi d'une tuile il mêla,
|
| Semblablement d'Airain écumes vertes,
|
| Le tout mêlé de ses mains très expertes,
|
| En y mettant d'autres poudres aussi
|
| Que l'art défend & la raison ici
|
| De réciter, si que l'art non vulgaire
|
| Ne soit rendu trop vil au populaire,
|
| Et que ne soient les choses révélées
|
| Qui par raison doivent être celées,
|
| Cet homme-là les tablettes petites
|
| Mit lors ensemble, & les poudres susdites
|
| En petit pot, puis il prit ce vaisseau
|
| Et l'alla mettre en un étroit fourneau,
|
| Et l'échauffa d'aussi ardentes flammes
|
| Comme aux Enfers on tourmente les âmes
|
| Des offenseurs, ou du feu dont Etna
|
| Tourmente ceux qu'en sa caverne elle a:
|
| Où sans cesser du Soufre la vigueur
|
| Aux affligés fait modeste rigueur,
|
| Mais quand il vit que les susdites choses
|
| Dans le fourneau étroitement encloses
|
@
de la Chrysopée. 37
Eurent neuf jours & nuits bien à leur aise |
|
Souffert le feu de l'ardente fournaise, |
|
Il prit ce pot bouillant & rougissant |
|
Par le feu vif, d'où il était issant, |
|
Puis quand d'eau froide eut la masse arrosée |
|
Et d'une lime en plusieurs parts brisée |
|
Il la mettait dedans un secret coing |
|
D'une fiole, & par curieux soin, |
|
Jetait dessus de l'eau, dont la puissance |
|
L'Or de l'Argent séparait par distance, |
|
Puis cet Argent naguère assemblé |
|
Avec l'Or ainsi désassemblé |
|
Incontinent se fondait en verte eau, |
|
Et néanmoins au fond de ce vaisseau |
|
De l'Or pesant dévalaient les parties |
|
D'avec l'Argent naguère départies |
|
Tant en cette eau de puissance se fonde, |
|
Tant de vertu en cette poudre abonde. |
|
Et n'est (peut-être) ailleurs tant éclairci |
|
Un tel accord de ces choses ici |
|
Comme en ce lieu qui joint choses ensemble, |
|
Dont le lien très difficile ensemble, |
|
Si par aucun les poudres séparées |
|
En leur usage à l'oeil sont conférées, |
|
Et néanmoins par accord & art gent |
|
En a été produit l'Or & Argent, |
|
Ce qui s'est fait nonobstant que divorce |
|
A chaque chose ôtât sa propre force, |
|
Et nonobstant que le dur on ait vu |
|
Devenir mol, & de liqueur pourvu, |
|
Puis cette chose en un rien consumée |
|
Comme eau liquide être faite & formée |
|
C iij |
|
@
38 Le premier livre
| Mais il ne faut avoir ce pensement*
|
| Qu'espèce d'eau une soit seulement,
|
| Une eau y a qui ait de telles forces
|
| Que si d'icelle arroser tu t'efforces
|
| Tous les métaux qui pris sous terre sont,
|
| Ou que les mains d'hommes endurcis ont,
|
| Subitement (ô merveilleux pouvoir)
|
| Par la vertu de cette eau pourras voir
|
| Les métaux mis en petites parcelles
|
| Et distillés en eaux claires & belles:
|
| Mais entre tous les métaux l'Or persiste
|
| En sa vigueur, & à cette eau résiste
|
| Car il ne peut par elle être brisé,
|
| Diminué, fondu, ni déguisé,
|
| Mais demeurant en sa perfection
|
| Après qu'il a reçu purgation
|
| Par cette eau la très excellente & pure
|
| Il en sort net, purgé de toute ordure.
|
| En cette eau gît autre puissance, voire
|
| Cas merveilleux, s'il le faut ainsi croire:
|
| Car de cette eau si de toucher on tâche
|
| Aucun métal qui soit net, & sans tache
|
| Comme argent vif tremblant il deviendra
|
| Et de métal autre espèce prendra.
|
| Que direz-vous de cette eau qui dégoutte
|
| En distillant d'un vin vieil goutte à goutte?
|
| Prends cette humeur, & pour oeuvre premier
|
| Fais-la bien cuire en un pourri fumier
|
| Jusques à temps qu'avec chaleur lente
|
| Du Ciel luisant la couleur excellente
|
| Elle reçoive, & qu'elle ait pris le nom
|
| Du plus haut corps de céleste renom.
|
@
de la Chrysopée. 39
Par cette eau-là, on dit que les durs corps |
|
Sont amollis avec certains accords, |
|
Je dis les corps du nom de Phoebus dignes |
|
Et de Diane, excellents & insignes |
|
Que des mortels l'opinion reçoit |
|
En plus grand los* qu'autre chose qui soit, |
|
Comme sachant le prix & valeur grande |
|
Qui ces deux corps à jamais recommande. |
|
Et toutefois combien que vérité |
|
Soit au propos ci-devant récité, |
|
Ne pense en l'Or nature si parfaite |
|
Qu'elle ne soit aucunement sujette, |
|
Voire que l'Or ne se puisse briser |
|
Avec humeur qui le peut maîtriser, |
|
La violence & aigreur de l'eau forte |
|
Ronge cet Or, & brise en telle sorte |
|
Que de petit à petit il advient |
|
Que l'Or fluide, & en liqueur devient. |
|
Mais plus à plein ces choses épluchées |
|
De point en point par ci-devant touchées |
|
Te mèneront par le bien droit sentier |
|
Par qui pourra voir l'effet tout entier |
|
De vérité, & son but limité, |
|
Ou Industrie ôtant obscurité |
|
Te poussera par heureuse conduite, |
|
Toute ignorance en vérité réduite. |
|
Il faut chercher une autre sorte d'eaux |
|
En autres cours de sources & ruisseaux, |
|
Par qui l'Or roux de soi-même prendra |
|
Humidité, & en liqueur viendra, |
|
Et sans secours d'autres liqueurs quelconques |
|
Prendra humeur extérieure adonc. |
|
C iiij |
|
@
40 Le premier livre
| Donc en cela montrez-vous vigilants
|
| Gentils ouvriers, divins & excellents,
|
| Cherchez par là d'affection extrême
|
| Le vrai honneur de louange suprême:
|
| Car de cette eau l'effet tant précieux
|
| Divinement est descendu des Cieux.
|
| Par son effet toutes choses consistent
|
| En leur vertu naturelle, & persistent
|
| A engendrer, & faire leur semblable,
|
| Dont la fragile espèce est perdurable,
|
| Ne vois-tu pas comme Nature fait
|
| En toute chose un accord tant parfait?
|
| Et comme elle est très excellente ouvrière
|
| De conserver toujours une manière
|
| De procréer toute chose? & comment
|
| D'une semence elle use seulement
|
| Pour engendrer sur terre toute chose?
|
| Et comme après Nature se repose?
|
| Si de planter la vigne elle a le soin,
|
| D'y semer blé il n'est pas de besoin,
|
| Et s'il lui plaît semer seigle ou froment
|
| Elle n'ira planter imprudemment
|
| Des Oliviers fertiles, que Minerve
|
| A son saint nom consacre & se réserve.
|
| Bref pour le temps en vain ne consumer,
|
| Pour cueillir l'orge, il faut l'orge semer,
|
| Donc afin qu'en peine coutumière
|
| De l'Or la source & semence première
|
| Ne soit par toi cherchée vainement,
|
| Ce point tu dois croire certainement,
|
| Qu'enclose en l'Or de l'Or est la semence,
|
| Combien qu'avec grand' peine & diligence
|
@
de la Chrysopée. 41
Cette semence en ses secrets cachée |
|
S'acquiert par nous quand elle est bien cherchée, |
|
Il ne convient toutefois présumer |
|
Que l'eau de pluie, ou celle de la Mer, |
|
Ou l'eau semblant à l'eau d'une fontaine |
|
Soit cette eau-là exquise & souveraine |
|
Que tu es tant curieux de trouver |
|
Pour en cet art sa puissance éprouver, |
|
Car par ces eaux (à ceci bien regarde) |
|
De pénétrer les métaux, tu n'as garde, |
|
Encore moins de liquide les rendre |
|
Quand tu viendras ces eaux sur eux épandre, |
|
Vu qu'elles n'ont pouvoir de rendre humide |
|
De fondre, ou rendre aucun métal fluide. |
|
L'eau que j'entends extérieurement |
|
D'une poudre a l'espèce proprement, |
|
Mais quand elle est mise dans la partie |
|
De l'Or brisé, en liqueur convertie |
|
Elle apparaît, & en humidité. |
|
Les Anciens par curiosité |
|
Ont navigué dessus ces ondes belles |
|
Et sans avoir orage, ou vents rebelles |
|
Ont amené leur navire à bon port, |
|
En délaissant sans secours & support |
|
Gens, qui en vain de naviguer tâchaient |
|
Par les rochers, qui leur voie empêchaient. |
|
Une Ile y a qui se dit Baléares |
|
Qui par un don céleste, cher & rare |
|
Nous a produit un homme fort savant |
|
Qui a beaucoup mis de cas en avant, |
|
Et la liqueur susdite bien couverte, |
|
D'art merveilleux de sa main très experte |
|
@
42 Le premier livre
| (Comme couleur que tout ce qu'elle prend
|
| Assujettis, & humide le rend)
|
| A suadé* à plusieurs gens de croire
|
| Qu'on doit tenir ce cas pour tout notoire
|
| Que l'humeur claire en blancheur distillante
|
| Du vin, est bien si forte & si puissante,
|
| Que de cet art les principes humides
|
| Elle peut rendre & en liqueurs fluides.
|
| Mais l'homme expert de Baléares issu
|
| N'entend & n'a en son esprit conçu
|
| Ces choses-là, comme de prime face
|
| Il semble avis que récit il en fasse:
|
| Car goutte à goutte alors il ne mêlait
|
| L'humeur du vin, & ne la distillait.
|
| Quand ja dedans Insubre la Cité
|
| Ayant vécu en grand félicité
|
| Trois ans entiers, il fit beaucoup d'or riche,
|
| Dont il ne fut envers ses amis chiche,
|
| Et à chacun d'un vouloir non moleste
|
| Distribua de la poudre céleste,
|
| Dont un petit morceau tant seulement
|
| Pourrait en Or convertir amplement
|
| Tous les métaux s'ils étaient approchés
|
| De cette poudre, & par elle tachés.
|
| De là aussi les Arabes ont pris
|
| Un fondement, & le moyen appris
|
| De dériver une liqueur très pure
|
| D'une fontaine exquise, & sans ordure,
|
| Par les rochers & désertes vallées,
|
| Cachant l'humeur de ces eaux dévalées
|
| Dedans un bois feuillu, & plein d'ombrage
|
| Environné de maint âpre bocage.
|
@
de la Chrysopée. 43
Et toutefois de ces Arabes la |
|
L'expérience assez nous révéla |
|
D'autres ruisseaux les sources & les veines |
|
D'humeur utile abondantes & pleines. |
|
Et cependant que l'Arabe te tient |
|
Fort intensif, & ton esprit retient |
|
A contempler mainte chose incrédible* |
|
Par un chemin grand & inaccessible |
|
Il ne te fait récit des claires eaux, |
|
Ni des coulants très heureux ruisseaux |
|
Lesquels jadis épuiser il soulait,* |
|
Et de ses mains prendre, quand il voulait |
|
Sans rien mêler à ces eaux exposées, |
|
Et les ayant par longs temps composées |
|
Les faisait cuire avec bon jugement |
|
Dans un petit fourneau légèrement, |
|
Dont bien souvent il a eu soin & cure |
|
De découvrir les secrets de Nature, |
|
Et bien souvent en exercices tels |
|
Grâces à su rendre aux Dieux immortels. |
|
Ainsi plusieurs ont traité cette affaire, |
|
Auxquels pour vrai il était nécessaire |
|
L'expérience en grand labeur tenter |
|
Pour grand cas voir, & expérimenter: |
|
Et posé or que cela poursuivant, |
|
Un chemin fort étroit fussent suivant, |
|
Ils n'ont jamais laissé la droite voie |
|
Par qui jamais l'homme ne se fourvoie, |
|
Et n'ont cessé de suivre cette sente, |
|
Jusques à tant que prospère descente |
|
Les ait menés, par long temps expiré, |
|
A cette fin, & but tant désiré. |
|
@
44 Le premier livre
| Le très saint homme Hermès premièrement
|
| A enseigné cet art divinement,
|
| Ne la voulant cacher aux gens insignes,
|
| Que d'un tel don il savait être dignes,
|
| Donnant à ceux très bon enseignement
|
| Qui ja avait ferme commencement,
|
| Mais ceux qui point n'avaient d'expérience
|
| En cet art-ci, ni aucune science,
|
| Il suadait* de ne vaquer & tendre
|
| Au but, auquel ils ne pouvaient prétendre.
|
| Finalement Hermès cet homme sage
|
| Pour allumer, & mouvoir le courage
|
| Des bons ouvriers à l'inquisition
|
| De cet art-ci, où gît perfection,
|
| Pour acquérir une fois en leur âge
|
| Ce qu'il avait acquis par long usage,
|
| Leur enseigna & montra par effet
|
| Qu'un bon ouvrier en cet art & parfait
|
| Doit cheminer content de peu de choses
|
| Qui au secret de Nature sont closes,
|
| En ensuivant Nature pas à pas
|
| Sur Terre ferme en bon & vrai compas,
|
| Cet Hermès-là à bien fait davantage
|
| Comme enseignant par un certain présage
|
| De guérison donner au corps humain,
|
| Administrant de son experte main
|
| Ce très puissant & vrai médicament
|
| Aux langoureux donnant allégement;
|
| Montra aussi comme par longue adresse
|
| On peut garder florissante jeunesse,
|
| Et conserver vieillesse par longs ans
|
| Pleins de soulas*, & de tristesse exempts.
|
@
de la Chrysopée. 45
L'usage aussi de cette médecine |
|
Est si puissant, noble, saint & insigne, |
|
Qu'il ne permet que la foi soit faussée |
|
Ni tromperie à aucun pourchassée, |
|
Mais qui pourra par la faveur des Dieux |
|
User d'un tel exquis & précieux |
|
Médicament, & qui en pourra faire |
|
Toutes les fois qu'il en aura affaire, |
|
Par ce moyen il tiendra à mépris |
|
Beaucoup de cas en ce monde compris, |
|
Sera constant, d'équité revêtu |
|
A fols désirs résistant par vertu, |
|
Et surmontant des riches l'abondance |
|
Se feindra pauvre avec réjouissance, |
|
Et néanmoins bénin se montrera |
|
Aux indigents, & du bien leur fera |
|
Secrètement & sans faire nuisance |
|
A nul vivant, il aura jouissance |
|
De ses amis, & d'une heureuse vie |
|
De vrai soulas* en tout temps assouvie. |
|
|
|
Fin du premier livre de la Chrysopée |
|
de Jean Aurelle Augurel. |
|
@
46
| L E S E C O N D L I V R E
|
| DE LA CHRYSOPEE;
|
| c'est à dire l'art de faire l'Or.
|
|
|
| Xpérience, & raison bien notoire
|
| Jusques ici nous ont contraint de croire
|
| Que ce bel art qui apporte à nos yeux
|
| L'or dessus tous les métaux précieux
|
| Fut inventé jadis certainement
|
| Par la vertu d'humain entendement:
|
| Ores quel est de cet art le pouvoir
|
| Et où il tend, vous veux faire savoir,
|
| En invoquant premier que je commence
|
| Du Dieu Phoebus la déité immense
|
| Pour expliquer, sous sa faveur facile,
|
| Cet art, en dits & en faits difficile:
|
| En ajoutant aux choses dignité,
|
| Et aux propos honneur & gravité.
|
| A mon secours aussi je te souhaite
|
| Des Anciens le plus divin Poète
|
| Qui a en toi divinement infuses
|
| Les grands faveurs d'Apollon & des Muses,
|
| A telle fin que par ta grâce & don
|
| Je sois conduit comme d'un sûr guidon
|
| Par ce secret chemin, & cependant
|
| Que le haut mont Pimple suis regardant,
|
| Sois moi si sûr conducteur de ma voie
|
| Qu'en cheminant point je ne me fourvoie,
|
| Car c'est le lieu excellent & hautain
|
| Où je prétends sous un espoir certain
|
@
de la Chrysopée. 47
Monter un jour en honneur florissant |
|
Par les degrés de mon renom croissant, |
|
Où je n'ai peur que long âge tant fasse |
|
Que d'icelui la mémoire il efface. |
|
Sur toute chose en cet art excellent |
|
Tu veux chercher d'un labeur vigilant |
|
Certaine pierre exquise & emparée |
|
D'une blancheur aux neiges comparée, |
|
Où de chercher la poudre tu prétends, |
|
En grand labeur brisée de longtemps, |
|
Qui sa blancheur sur la neige éminente |
|
A transmuée en rougeur pertinente. |
|
Quand de la poudre ores mentionnée |
|
La moindre part aura mixtionnée |
|
Avec aucun des métaux quel qu'il soit, |
|
Incontinent (ô merveille) il reçoit |
|
De vrai Argent le poids, l'espèce & forme; |
|
Et si tu veux par un oeuvre conforme |
|
La même poudre à l'argent vif mêler |
|
Il perd sa vie & vertu de trembler: |
|
Car le pouvoir de sa liqueur perdu |
|
Tu le verras immobile rendu. |
|
Et (qui plus est) cette poudre honorée |
|
De la couleur de pourpre décorée, |
|
Plus précieuse & excellente qu'Or |
|
En elle a bien cette vertu encore |
|
De promptement en Masse d'Or réduire |
|
Tout le métal qu'au feu aura fait cuire |
|
Et pour autant estimer il convient |
|
Que chose plus difficile il n'advient. |
|
A un ouvrier de ce bel art ici |
|
Que de connaître en curieux souci |
|
@
48 Le second livre
| A quels premiers commencements se prendre.
|
| Il est requis, pour cet oeuvre entreprendre,
|
| Et ce qu'il doit prendre premièrement
|
| Pour travailler continuellement,
|
| Puis tôt après à bonne conjecture
|
| Il se verra ministre de Nature,
|
| Quand de la terre & des fosses d'icelle
|
| Il tirera cette semence belle,
|
| Et en lumière adonc la produira,
|
| Et derechef aux fosses la rendra
|
| } pot enclose,
|
| Puis quand après avoir fait telle chose
|
| Nourrissement humide il donnera
|
| A cette masse, où il imitera
|
| Le laboureur, qui pour profit acquerre
|
| Ayant jadis semé dedans la terre
|
| Arrosera les seuls champs cultivés
|
| Qu'il voit avoir besoin d'être abreuvés,
|
| Et non rien moins tout ouvrier prétendant
|
| A cet art-ci, donnera cependant
|
| Un feu moyen, dont nourrir il s'efforce
|
| L'intérieure & génitale force
|
| Comme souvent chaleur intérieure
|
| Aide & vertu prend par l'extérieure,
|
| Ou comme on voit la main d'une personne
|
| Sur l'estomac, qui lors vigueur lui donne,
|
| Et tout ainsi qu'un chaud médicament
|
| Sur le malade extérieurement
|
| Est appliqué, par qui le corps avoir
|
| Peut allégeance, & force recevoir.
|
| Et n'est besoin que notre Ouvrier s'adresse
|
| D'entremêler mainte espèce diverse,
|
| Mais
|
@
de la Chrysopée. 49
Mais s'il a bonne & claire connaissance |
|
De ce qui est conjoint, porte nuisance |
|
Il doit pourvoir ingénieusement |
|
Que ce qui nuit soit ôté promptement. |
|
O lourds esprits, ô tardives pensées |
|
D'aucuns ouvriers d'ignorance offensées |
|
Qui en traitant ces choses vainement |
|
Tous abusés êtes communément? |
|
Répondez-moi, Maîtres trop curieux, |
|
Que font les vins mols & délicieux |
|
Mêlés avec Métaux pleins de dur'té? |
|
Les vins ont bien cette propriété |
|
D'êtres recens* aux banquets amiables |
|
Et sont pour boire à l'homme convenables, |
|
Ou tend aussi vôtre inexperte main |
|
D'user du sang tiré d'un corps humain? |
|
A quelle fin votre désir se fonde |
|
D'user des crins d'une perruque blonde? |
|
Que servent oeufs, & les herbes aussi |
|
Sur les hauts monts prises en grand souci? |
|
Ont-elles rien commun à l'Or caché |
|
Dessous les Monts, d'où il est arraché? |
|
Et toutefois aucuns sont exercés |
|
De raisins prendre, après qu'ils sont pressés |
|
En un pressoir, mettent ces raisins-là |
|
Au fond d'un pot ou fiole, qui a |
|
Un bec pointu par son extrémité: |
|
Par eux est mis ce vaisseau récité |
|
Sur les charbons quand de chaleur ardente |
|
La fournaise a couleur très évidente, |
|
Ou bien par eux sera mis ce vaisseau |
|
Dans un chaudron duquel bouillante est l'eau: |
|
D |
|
@
50 Le second livre
| Adonc verras une vapeur subtile
|
| Qui va dedans ce vaisseau & distille,
|
| Et pénétrant la plus haute partie
|
| De ce vaisseau, en eau est convertie
|
| Qui a pour eux ce nom très évident
|
| De l'eau de vie, ou bien de l'eau ardent,
|
| Et cette eau-là, eau de vie appelée,
|
| Est goutte à goutte en long cours distillée
|
| Par un petit tuyau & instrument
|
| Qui pour ce est fait de verre proprement.
|
| Donc après que cette liqueur belle
|
| Par plusieurs fois en ce pot ou chapelle
|
| A distillé, & que ja temps il semble
|
| De la réduire, & amasser ensemble,
|
| Elle est utile & digne de garder
|
| Pour à beaucoup de cas l'accommoder.
|
| Mais cette eau la soit principalement
|
| Faite avec feu moyen, & lentement,
|
| Ou cuite soit avec chaleur propice
|
| Dans un fumier par subtil artifice,
|
| Et par le temps à ce propre & duisant:*
|
| On fait un pot de verre reluisant,
|
| Ayant long col, dont deux bras creux dépendent
|
| Qui jusqu'au fond de ce vaisseau descendent,
|
| Quand la liqueur en ce lieu détenue
|
| Jusqu'au sommet du vaisseau est venue,
|
| Par ces deux bras concaves & profonds,
|
| Incontinent elle descend au fond
|
| De ce vaisseau, entre & retourne encore
|
| Au fond de l'eau, où elle a laissé ores
|
| L'eau qui bouillait, & jusqu'au plus haut chef
|
| De ce vaisseau retourne derechef.
|
@
de la Chrysopée. 51
Et cette humeur légère entre autre chose, |
|
Et qui jamais en un lieu ne repose, |
|
Va & retourne en grand mobilité |
|
Par un chemin tant de fois répété, |
|
Qu'en distillant en soi incessamment |
|
Par le chemin qu'il prit premièrement, |
|
Vient peu à peu en une épaisse Masse |
|
Qui la blancheur de la Neige outrepasse, |
|
Finalement cette Masse produite |
|
De lames d'Or est composée & cuite |
|
Non pas avec chaleur trop véhémente |
|
Mais avec feu de chaleur longue & lente. |
|
Mais comme ceux, qui de cela se mêlent, |
|
Ces choses-là, mettent & entremêlent, |
|
Il n'est besoin de ce notice avoir; |
|
Et toutefois je vous fais à savoir |
|
Qu'en tous ces faits, & travaux récités |
|
Ils se sont tous en vain exercités: |
|
Car quand ils vont par envie apparente |
|
Choses mêler d'espèce différente, |
|
Ils font que par son premier mouvement |
|
L'une fera à l'autre empêchement, |
|
Dont ils ne font onc chose qui puisse être |
|
Une, & durer en son naturel être. |
|
Or il te faut pour le commencement |
|
De cet art-ci, croire certainement |
|
Qu'à ce labeur toutes choses requises |
|
Soient seulement dessous une comprises, |
|
A telle fin qu'il ne te soit besoin |
|
De les chercher dehors ni plus loin, |
|
Et cette chose est principalement |
|
L'humeur, qui s'offre assiduellement,* |
|
D ij |
|
@
52 Le second livre
| Et se contient là-dedans jusqu'à ce
|
| Qu'apparent soit & produit à ta face
|
| Ce que tu quiers*, & que tant à ton gré
|
| Tu as désir de ja voir engendré.
|
| Estime aussi mes dits être évidents,
|
| Que deux vertus il y a là-dedans,
|
| Dont la première est la vertu active,
|
| Et la seconde et la vertu passive,
|
| A telle fin qu'en force mutuelle,
|
| Le mâle engendre avec la femelle,
|
| Ni plus ni moins que par l'émotion
|
| De cette active & passive action,
|
| Le poulet prend en l'oeuf nourrissement,
|
| Et reçoit vie extérieurement,
|
| Par le secours de chaleur amiable,
|
| Et n'est exemple à ce plus convenable
|
| Que celui-ci, ou par mon jugement
|
| Tu dois viser plus attentivement,
|
| Auquel aussi toutes choses réduire,
|
| Il t'est besoin pour ton oeuvre conduire.
|
| Mais il y a d'autres gens qui extraire
|
| Vont le pur sang, & maintes parts en faire,
|
| Auquel tôt le nom ils donneront,
|
| Et Eléments icelles nommeront,
|
| Comme si voir ces simples Eléments
|
| Permis était à leurs entendements,
|
| Ou si leurs mains avaient cette puissance
|
| De les toucher sans aucune doutance,
|
| Ou si par eux séparés pouvaient être
|
| Ces Eléments en leur naturel être,
|
| Ou être enclos en quelque lieu par eux:
|
| Mais (au contraire) ils sont tant vigoureux
|
@
de la Chrysopée. 53
Que tout vaisseau pénètre vivement |
|
Et fût-il fait d'épais & dur Aimant, |
|
Car un corps simple en aucune partie |
|
Du monde grand, par force assujettie, |
|
Etre ne peut, mais naturellement |
|
En son lieu propre il gît paisiblement. |
|
Ainsi souvent ces gens mal entendus |
|
Quatre Eléments font de cheveux tondus, |
|
Mais non ainsi Nature forte & rare, |
|
Ces choses-là en aucun temps sépare, |
|
Mais bien plutôt expédient lui semble |
|
De les confondre & mêler tout ensemble |
|
Du chaud & froid faisant mutation, |
|
D'humide & sec par semblable action, |
|
Ainsi Nature avec un effet prompt |
|
La chose ferme & solide corrompt: |
|
Et toutefois ne la divise point, |
|
Lui réservant néanmoins sur ce point |
|
Cette vertu, & génitale force |
|
Par qui après elle tâche & s'efforce |
|
D'un corps qui est corrompu, faire un corps |
|
En l'engendrant par merveilleux accords; |
|
Car toute chose avant qu'elle conçoive, |
|
Faut que premier corruption reçoive. |
|
Que peut servir ce grand labeur & soin |
|
D'avoir cherché le jus d'une herbe loin |
|
Pour arrêter le vif argent ainsi? |
|
Celui qui a ce curieux souci |
|
Peut endurcir assez le vif argent. |
|
Mais il ne peut être tant diligent |
|
De l'arrêter, ni ferme & stable rendre |
|
Par aucun art, où il puisse prétendre, |
|
D iij |
|
@
54 Le second livre
| Encore moins en jouir aisément
|
| Pour le mener & frapper doucement.
|
| Mais il n'est pas seulement nécessaire
|
| De requérir chose qui puisse faire
|
| Ce vif argent, dur, solide, & traitable,
|
| Mais de chercher ce qui sera capable
|
| De lui ôter la forme entièrement
|
| Que par nature elle eut premièrement,
|
| Et lui donner une forme nouvelle,
|
| Puis de Métal l'espèce pure & belle.
|
| A quelle fin mettrai-je en évidence
|
| Le soufre net par longue providence,
|
| Le sel, le Nitre, & croûtes de vin vieux
|
| Qui cuites sont par soin laborieux?
|
| Ou comme au pot l'ancre bouillir ils font
|
| Qui goutte à goutte après distille & fond?
|
| Après ils vont le tout souvent dissoudre,
|
| Et bien souvent le réduire & résoudre,
|
| Après cela ils le lavent & brisent,
|
| Encore un coup, & le moyen avisent
|
| S'efforceront de le réduire en chaux:
|
| De l'endurcir, & par mêmes travaux:
|
| Et quand il est de ses vapeurs privé,
|
| Lors au plus haut est par eux élevé
|
| L'esprit du corps sec & réduit en cendre,
|
| Adonc verras (pour leur folie entendre)
|
| Plusieurs fourneaux là mis, & apposés,
|
| Et de beaucoup de sortes composés,
|
| Autant de pots de verre trouveras,
|
| Lesquels bouchés de fange tu verras,
|
| Tu y verras (je te dis davantage)
|
| Ce qu'un Orfèvre applique à son usage,
|
@
de la Chrysopée. 55
Et un chacun instrument mécanique |
|
Dont l'artisan différemment fabrique: |
|
De tout cela en labeurs infinis |
|
Nos sots ouvriers en vain se sont munis: |
|
Et par ainsi toujours le Soufre sentent |
|
Et à leur face hideuse ils représentent |
|
Des bas enfers les très horribles ombres, |
|
Tant leurs regards sont enfumés & sombres. |
|
Dont à bon droit tu ne peux affirmer |
|
Que plus vil art tu puisses estimer |
|
Que celui-là qu'on appelle Alchimie, |
|
Science (au vrai) de clarté ennemie, |
|
Qui se cachant du voile d'obscurité |
|
De ça & là chemine sans sûr'té, |
|
Et promenant ses culteurs* misérables |
|
Puis ça puis là par chemins dévoyables, |
|
Finalement les pauvres dévoyés |
|
Elle délaisse en gouffre obscur noyés. |
|
Dont nous voyons souvent par son moyen |
|
Qu'un débonnaire & riche citoyen |
|
Pour parvenir à cet art mal idoine, |
|
Vendra maisons, granges, & patrimoine. |
|
Et abusé d'incertaine entreprise |
|
S'éloignera du train de marchandise, |
|
Pour aux fourneaux & soufflets sans cesser |
|
Etre intensif, & cuidant* amasser |
|
Par son labeur richesses incertaines |
|
Il voit enfin ses espérances vaines, |
|
Et que ses biens naguère apparents, |
|
A lui échus par mort de ses parents, |
|
Sont convertis en légère fumée: |
|
Et cependant sa femme consumée |
|
D iiij |
|
@
56 Le second livre
| De triste deuil vit en très grand langueur
|
| Par pauvreté qui lui fait la rigueur,
|
| Et ses enfants pleurants à l'entour d'elle
|
| La font pleurer par pitié maternelle,
|
| Et lui qui fût honnête & bien vêtu,
|
| Ord* & vilain demeure, & sans vertu,
|
| Et désormais le pauvre misérable,
|
| Au peuple sert de risée & de fable:
|
| Par quoi mortels laissez erreur arrière,
|
| Et contemplez cette claire lumière
|
| Qui exempte est de toute obscurité,
|
| Ne cheminez par la profondité*
|
| Des lieux obscurs, & ne vous fourvoyez,
|
| Chassez ce mal, un tel venin fuyez,
|
| Dont infecté le vulgaire ignorant
|
| Est en erreur, & songe demeurant
|
| De présumer que les mains il peut mettre
|
| A l'art divin par moi écrit en mettre,
|
| Auquel art gît la notice des choses
|
| Profondément latentes & encloses.
|
| Il ne convient qu'un avaricieux
|
| Vaques à cet art tant noble & précieux,
|
| Ni que lui plein de fraudes & usures
|
| Touche cet art de ses mains très impures,
|
| Encore moins l'homme mol, & perdu,
|
| Prodigue, ayant tout son bien dépendu,
|
| Semblablement celui qui nous appert
|
| Etre en quel art subtil très expert,
|
| Ni gens qui sont d'une vie ocieuse,*
|
| D'oisiveté salle & pernicieuse.
|
| Encore moins idoine est le Marchand,
|
| Pour trafiquer deçà & là marchant,
|
@
de la Chrysopée. 57
Ou citoyen ayant charge civile, |
|
Et adonné aux négoces de ville, |
|
Ni ceux aussi qui ont tout leur courage |
|
A l'entretien du rural labourage: |
|
Ni qui sans cesse entreprend hautement |
|
Choses trop grand pour son entendement, |
|
Ni plusieurs gens semblables à ceux-ci, |
|
Cherchant cet art par un commun souci, |
|
Tant seulement par fraude & tromperie, |
|
Et d'un désir qui leur sens seigneurie. |
|
Par une extrême & grand cupidité, |
|
Dont leur coeur est pris & suppédité.* |
|
Mais l'homme sage ayant en premier lieu |
|
L'affection d'adorer un seul Dieu, |
|
Qui prend plaisir d'asseoir son jugement |
|
Pour les raisons connaître pleinement, |
|
Vienne à cet art, & de toute sa force |
|
De l'embrasser, & ensuivre s'efforce, |
|
Pour compagnie & consolation |
|
Il aura lors grand' inquisition |
|
Qui pas à pas par bonne conjecture |
|
En ses secrets observera Nature, |
|
Puis s'ensuivra un tempéré discours, |
|
Donnant arrêt au continuel cours, |
|
Puis patience assurée & constante |
|
Pour espérer la fin de son attente, |
|
Labeur aussi point ne s'éloignera |
|
De ses désirs, & l'accompagnera. |
|
Puis industrie en belle & noble suite, |
|
En tous ses pas il aura pour conduite |
|
Qui un vaisseau de verre apportera |
|
Un oeuvre aussi elle présentera |
|
@
58 Le second livre
| Finalement industrie la belle
|
| Amènera une chose avec elle.
|
| Ce sage donc ayant la compagnie
|
| De si grand suite, & si grande mesgnie*
|
| Assurément un long chemin fera,
|
| Et lentement tous les lieux passera,
|
| Et à ses yeux sans cesse apparaîtront,
|
| Cas merveilleux qui ses yeux repaîtront,
|
| Et le regard du plaisir & étude
|
| Vaincra la peine & la sollicitude,
|
| Jusques à temps qu'un trésor riche & gent
|
| D'infini prix & poids d'or & d'argent
|
| Il tirera de la terre, & du fond
|
| De ses secrets occultes & profonds.
|
| Expliquerai-je en plus expert langage
|
| Ce qui ne fut déclaré de tout âge?
|
| Ou le premier dirai-je par mes vers,
|
| Cas au vulgaire encore non découverts;
|
| Je n'avais pas une telle pensée
|
| Quand l'entreprise a été commencée;
|
| Mais l'ordre entier m'astreint & me commande
|
| De révéler chose encore plus grande
|
| Que je n'ai fait à mon commencement.
|
| Donc celui qui raisonnablement
|
| Procédera plus outre à l'entreprise
|
| De cet art-ci, où louange est comprise,
|
| Il trouvera les secrets fort reclus
|
| Et très profond, où se délecte plus
|
| Dame Nature, après qu'ils sont parfaits,
|
| Puis il fera en semblables effets
|
| Diverse gemme & pierre précieuse
|
| Par art subtil, & main laborieuse.
|
@
de la Chrysopée. 59
Et si n'était que j'ai encore matière |
|
Sur les métaux copieuse & entière |
|
Par moi seraient les causes épluchées |
|
De pierres tant requises & cherchées, |
|
Je vous dirais les secrets & les lieux |
|
Où elles sont en trésor précieux, |
|
Je vous dirais les cavernes heureuses |
|
Où sont plutôt ces pierres plantureuses, |
|
Et où Nature a plus ardent désir |
|
De se jouer, & de prendre plaisir, |
|
Et où elle est plus riche & admirable |
|
En un endroit, qu'autre moins délectable, |
|
En nous faisant choses diverses voir |
|
Ou elle étend sa grand force & pouvoir: |
|
Je vous ferais aussi claire ouverture |
|
Comme il advient que terre nette & pure |
|
De gouttes d'eau doucement arrosée, |
|
Est d'engendrer ces pierres disposées, |
|
Je chanterais aussi distinctement |
|
Comme du Ciel le cours & mouvement, |
|
Et la chaleur des astres & planètes |
|
Ont assigné d'influences célestes |
|
Un certain lieu, auquel prennent naissance |
|
Ces pierres là de riche éjouissances.* |
|
Et quand ainsi cela je décrirais, |
|
Pareillement je ne vous cèlerai |
|
D'où vient la grand resplendeur dont reluisent |
|
Ces pierres-là qui tant aux hommes duisent,* |
|
Et dont avec leurs exquises valeurs |
|
Nous les voyons de diverses couleurs, |
|
Et vous dirais comment il est possible |
|
Que la dur'té d'icelles n'est vincible,* |
|
@
60 Le second livre
| Qui ne se peut par flamme ardente rompre,
|
| Ni par le fer amollir & corrompre:
|
| Et d'où leur vient la splendeur séparée,
|
| De mainte tache admirable parée,
|
| Représentant d'une figure belle,
|
| Comme la pierre Agate qu'on appelle,
|
| Laquelle un jour Pyrrhus tant guerdonna*
|
| Que d'Apollon & des Muses l'orna.
|
| Dame Nature, ô très nobles Déesses,
|
| Considérant vos titres & hautesses
|
| De son bon gré & naturel office
|
| Vous a voulu sans aucun artifice
|
| Toutes neuf mettre en pierre précieuse,
|
| Qui n'était pas grande ni spacieuse,
|
| En ordonnant à toutes son enseigne,
|
| Qui proprement vos qualités enseigne,
|
| Et a voulu que Phoebus noble Dieu
|
| Avec vous fut assis au milieu,
|
| Laissant son arc de corne, & chassant ire
|
| Pour doucement faire donner sa Lyre,
|
| A telle fin qu'en voyant signes tels
|
| Il fût assez manifeste aux mortels,
|
| De quel honneur & renom en tout âge
|
| Dessus autrui vous avez l'avantage.
|
| O bien heureux Pyrrhus d'avoir été
|
| Digne du don ci-dessus récité?
|
| O bienheureux ceux qui ont mis leur vue
|
| Sur cette chose en plusieurs lieux non vue?
|
| Je dusse avoir récité la vertu
|
La vertu | Dont richement l'Aimant est revêtu,
|
de l'Ai- | Duquel Aimant, & de sa grand puissance
|
mant. | Jadis les Rois avaient la connaissance
|
@
de la Chrysopée. 61
Tant seulement, & sa vertu prouvée |
|
Etait en l'or tant seulement trouvée. |
|
Besoin serait aussi de réciter |
|
Comme l'Aimant peut le fer dépiter, |
|
Et les marteaux en vain s'efforceraient |
|
Dessus l'enclume, & ne le casseraient, |
|
Mais sauteraient enclumes ça & là, |
|
Et les marteaux de fer par ces coups-là. |
|
Et néanmoins cette vertu très dure |
|
Par son sang de bouc corruption endure, |
|
Alors qu'avec ce sang qui a bouilli |
|
De gros marteaux l'Aimant est assailli |
|
Souventefois, & par cette entreprise |
|
Tant seulement on le corrompt & brise. |
|
C'est chose aussi par aucun maintenue | # La vertu
|
Car le Magnes à l'accès & venue | # de la Pier-
|
Du dur Aimant, fait divertir la voie | # re
|
Au puissant fer, & ça & là l'envoie, | # Magnes.
|
Et quand il est avec lui conjoint, |
|
Il le déchasse & de lui se disjoint: |
|
Finalement il peut venin détruire, |
|
En lui ôtant la puissance de nuire, |
|
Telle est aussi la vertu de l'Aimant |
|
D'ôter la peur de tout entendement. |
|
Et tout cela crédule antiquité |
|
Dit avoir vu, & très bien limité |
|
Car en cela aux anciens (peut être) |
|
L'expérience a voulu apparaître, |
|
Qui ne s'est pu à nous montrer encore, |
|
Ou pour autant qu'il est clair qu'avec Or |
|
Ces pierres-là engendrées ne sont, |
|
Ou pour autant que maints comptes se font |
|
@
62 Le second livre
| Qui ne sont pas certains, ni véritables.
|
| Par quoi usant de mensonges semblables
|
| Plusieurs ouvriers de peu d'autorité,
|
| Sont près d'erreur, & loin de vérité:
|
| Dont les ouvriers suivant cet art ici
|
| Aux anciens qui ont écrit ceci
|
| N'ajoutent foi, & ne sont confessées
|
| Ces choses-là, qu'ils leur ont délaissées;
|
| Mais vont disant apertement entre eux
|
| Que tous leur dits sont obscurs & douteux.
|
La vertu | Si ne faut-il ici mettre en silence
|
de l'Eme- | Cette Emeraude, où gît tant d'excellence,
|
raude. | Dont le regard en sa verte couleur
|
| Est bien aux yeux d'une telle valeur,
|
| Et d'un plaisir si grand & estimable,
|
| Qu'il n'est couleur qui soit plus délectable,
|
| Que celle-là dont la Terre se vêt
|
| Sur le Printemps, où sa face apparaît
|
| Plus saine, & plus à soulas* préparée
|
| Pour ce qu'elle est de son teint vert parée:
|
| Mais il n'y a chose plus verdissante
|
| Que l'Emeraude en beauté florissante
|
| Qui donne plus de plaisir, & qui mieux
|
| Fait recevoir contentement aux yeux,
|
| Voire qui moins puisse fâcher la vue,
|
| Et si est bien de tel effet pourvue
|
| Que si les yeux de longs regards fâchés
|
| Sont du travail troubles & empêchés
|
| Claire lueur sera tôt recouverte,
|
| Par le regard de l'Emeraude verte.
|
| Je chanterais aussi d'accord plaisant
|
| Comme l'exquis Escarboucle est luisant
|
@
de la Chrysopée. 63
Ni plus ni moins que le feu en peinture |
|
Qui resplendit d'une rouge teinture. |
|
Je vous dirais aussi sans controverse |
|
Comme le Jaspe ayant couleur diverse |
|
Est reluisant, & comme le Topaze |
|
Qui de couleur à l'Or blond se compasse |
|
Est de lueur claire & resplendissante: |
|
Mainte autre pierre exquise & différente |
|
D'espèce, & nom je vous raconterais |
|
Par même écrit, quand loisir j'en aurais. |
|
Mais c'est assez, & bien me doit suffire |
|
D'avoir ainsi légèrement pu dire |
|
De ces vertus, & aux autres appris |
|
Le vrai chemin, lequel bien entrepris, |
|
La ils viendront, s'ils veulent d'aventure |
|
Prendre plaisir aux secrets de Nature, |
|
Ou en beaux vers les chanter doucement |
|
Prenants exemple à mon commencement. |
|
Or sus je veux d'intelligence entière |
|
Vous déclarer à présent la matière |
|
Qui par nature a été ordonnée |
|
A cet art-ci, de haute destinée, |
|
A telle fin qu'aucun ne se tourmente |
|
De prendre en vain peine si véhémente, |
|
Mais qu'il évite un si grand détriment |
|
Que nous voyons venir communément |
|
Aux fols ouvriers, & remplis d'imprudence |
|
Qui leur erreur mettent en évidence, |
|
Et s'éloignant des principes premiers, |
|
Lesquels pourtant comme très singuliers |
|
Seule observer était nécessité. |
|
Un bois s'y a dessus la sommité |
|
@
64 Le second livre
| D'un mont secret, auquel une fontaine
|
| Court, comme Argent liquide & souveraine.
|
| Une caverne ouverte en ce lieu est,
|
| Ou une vierge habite & fait arrêt,
|
| Très excellente, & à qui l'on assigne
|
| Le los & droit de puissance divine,
|
| Les Laboureurs la nommèrent Glaura,
|
| Et ce nom vieil depuis lui demeura,
|
| Par un chemin étroit, aspre & moleste
|
| D'épais buissons cette vierge céleste
|
| Non à son aise à la caverne vient,
|
| Ou en montant aller il lui convient,
|
| Tout au devant de l'entrée d'icelle
|
| Une plaine est non ample, mais bien telle,
|
| Que circuite* elle est d'obscurs ombrages,
|
| Semblablement d'aquatiques rivages,
|
| Environnée elle est aussi de Trophes*
|
| Qui pierres sont, & par autres étoffes,
|
| De mousse verte elle est environnée,
|
| Et de plusieurs Corymbes exornée,*
|
| Et si aucun entre prospèrement
|
| En ce lieu-là, il laisse promptement
|
| Toute macule humaine détestable:
|
| Et (ce qui est encore plus admirable)
|
| Il se dépouille en cette place belle
|
| De toute charge, & pesanteur mortelle,
|
| Et d'un esprit agile est revêtu
|
| Pur & léger, ayant cette vertu
|
| Qu'il est porté par les pertuis grand erre
|
| Et par les creux conduits de cette Terre
|
| Par le milieu desquels est honorée,
|
| Et là se sied cette Nymphe dorée
|
| D'or
|
@
de la Chrysopée. 65
D'Or reluisant son lit est décoré |
|
Dessus, dessous, & alentour doré, |
|
Dessous les pieds tables d'or sont foulées |
|
Par ceux qui vont en ces riches allées. |
|
Et ce qui est plus admirable encore |
|
De sa vaisselle exquise ce n'est qu'Or. |
|
Donc toi qui vas les principes cherchant |
|
D'oeuvres si grands, pour n'être trébuchant, |
|
Soigneusement il faut que tu t'avises |
|
De t'en aller aux montagnes Tarvises |
|
Pour rencontrer ce lieu délicieux, |
|
Et ce que là verras plus précieux, |
|
Prends, & n'épargne aucunement ton bien, |
|
Ni ton labeur, & le tout ira bien: |
|
Et toutefois ne consens & ne souffre |
|
D'y être mis Argent vif, ni du Soufre: |
|
Et de la veine infecte nullement |
|
Tu n'y mettras, qui est premièrement |
|
De leur vapeur ondoyante sortie; |
|
Mais tu prendras, (toute ordure amortie) |
|
Du pur métal, duquel secrètement |
|
L'esprit se cache, & vit tacitement, |
|
D'un pesant faix, & d'un corps lourd chargé, |
|
Dont il s'attend être un jour déchargé, |
|
Et d'être en l'air mis en liberté pure, |
|
En échappant de sa prison obscure. |
|
Et ce fardeau & masse corporelle, |
|
Qui ores eut pesanteur naturelle, |
|
Devint légère; & pour vrai te conter, |
|
Aux régions suprêmes peut monter, |
|
Et s'amollit (combien qu'elle soit dure) |
|
Par ce bel Art qui imite Nature, |
|
K |
|
@
66 Le second livre
| Et qui contraint cette masse hébétée
|
| De retourner par sa voie usitée,
|
| A telle fin que la semence enclose
|
| En végétant s'excite & se dispose,
|
| Et la prison crainte plus ne lui fasse
|
| De cette épaisse & pondéreuse masse.
|
| Et pour t'ôter cet avis & pensée
|
| Que par mes vers chose soit avancée,
|
| Qui trop étrange & merveilleuse soit,
|
| Aucune fois l'or pullule, & reçoit
|
| Par sa vigueur une augmentation
|
| En sa semence & génération
|
| Perpétuelle, & icelle semence
|
| Apertement de s'élever commence:
|
| Ni plus ni moins qu'un arbre fort petit
|
| Qui sort de terre, & petit à petit
|
| Croît, & commence à s'élever en haut
|
| Par sa vertu qui jamais ne lui faut.*
|
| Et comme celui que l'on voit habiter
|
| A l'environ du riche fleuve Ister,
|
| Trouve de l'or en mode de fléaux,
|
| Environnant le tronc des arbrisseaux,
|
| Et que par lui l'or précieux s'amasse,
|
| Qui aux Rochers tous rouges s'entrelace:
|
| Ou tout ainsi que le léger Lierre
|
| En s'épandant aux murs brisés se serre,
|
| Outrepassant ces murailles ouvertes
|
| De sa racine, & de ses feuilles vertes,
|
| Pareillement en forme très naïve
|
| D'Or pur & fin croît une branche vive
|
| Avec Tophus, dans cette pierre épars,
|
| Sont les scions de l'or de toutes parts.
|
@
de la Chrysopée. 67
Après du creux de cette pierre ils sortent, |
|
Et au plus haut s'élèvent & transportent. |
|
Bref cette branche exquise & de grand prix |
|
Par le chemin & conduit qu'elle a pris, |
|
Abondamment couvre la pierre Trophe* |
|
Du roux Métal de précieuse étoffe. |
|
Dessus ce point deux choses en avant |
|
Mettre je veux, que l'ouvrier bien savant |
|
Doit observer par soigneux artifice: |
|
C'est à savoir, d'avoir claire notice |
|
De ce qu'il doit choisir premièrement, |
|
Par quel moyen il doit secondement |
|
Se modérer, que d'opportun loisir |
|
Il a voulu prendre, élire & choisir, |
|
Pour le résoudre avec chaleur lente, |
|
Bien modérée, & non point violente. |
|
Les Anciens les deux choses nommées |
|
Ont d'obscurité incréable* enfermées, |
|
Et ne doutant d'ajouter mots barbares |
|
Aux choses tant occultes & tant rares, |
|
Ils ont forgé cent noms, dont un chacun |
|
Certain moyen ne signifie aucun, |
|
Encore moins chose qui soit certaine: |
|
Et ont usé par entreprise vaine, |
|
De plusieurs noms que les Poètes graves |
|
Jadis ont feints de leurs vers beaux & braves, |
|
De ceux aussi dont les Divinateurs |
|
Jadis usaient, & comme Interpréteurs |
|
De ces noms-là, les ont su exposer, |
|
D'iceux aussi en leurs livres user, |
|
Cuidans* ouvrir par ces vocables-là, |
|
Cet art si grand qui jadis se cela. |
|
E ij |
|
@
68 Le second livre
| C'est trop en vain, vu qu'en leurs vers affables
|
| Poètes n'ont sinon que vaines fables,
|
| Pour de leurs dits & doux blandissemens*
|
| Envelopper oisifs entendements,
|
| Et vu qu'on voit bien différentes choses
|
| Pour cet Art-ci en leurs écrits encloses.
|
| Mais ces Devins, qui par voix véritable
|
| Nous ont prédit que ce don délectable,
|
| Haut & divin de génération,
|
| Viendrait sur Terre en admiration:
|
| N'ont estimé ces choses être infimes,
|
| Vu que ces grands Prophètes magnanimes
|
| Ne prédisaient que grands & hauts mystères.
|
| Ces mots pourtant m'ont semblé trop austères
|
| Pour en user, vu qu'à tel jugement
|
| Persuadé n'était aucunement
|
| Par les latins, ou pour ce qu'il faut croire
|
| L'opinion en cela illusoire
|
| Des anciens trop superstitieux,
|
| Ou bien qu'ils ont été fort curieux
|
| D'ainsi cacher leurs doctrines obscures
|
| Sous le secret de diverses figures.
|
| Et qui plus est, ces majeurs de renom
|
| De toute chose ont imposé le nom
|
| A cet Art-ci, par lequel sans faillir
|
| Ils se disaient les Métaux amollir:
|
| Pour ce qu'au vrai cette vertu & force,
|
| Qui d'amollir ces durs Métaux s'efforce,
|
| En toute chose est naturellement
|
| En lui donnant fin & commencement.
|
| Et ont ces gens tant caché tout ceci
|
| A l'oeil de ceux qui cherchent cet Art-ci,
|
@
de la Chrysopée. 69
Que bien souvent ils ont perverti l'ordre |
|
De la matière, & par exprès désordre |
|
Entrelacé maint discours inutile. |
|
Or cherche donc d'entendement subtil |
|
Cette matière, & icelle trouvée |
|
Par lieux obscurs, soit par toi éprouvée: |
|
Car en un lieu tant seulement trouver |
|
Ne la pourras, pour icelle éprouver. |
|
Mais il y a sur les montagnes hautes |
|
Nymphes plusieurs, & Oréades cautes,* |
|
Qui ont la garde, en vigilantes cures |
|
Des lieux secrets & cavernes obscures, |
|
Où sont cachés grands trésors & richesses, |
|
Le tout gardé par ces nobles Déesses: |
|
Desquels trésors elles font part à ceux |
|
Qui d'y aller ne sont point paresseux, |
|
Avec un coeur toutefois sans ordure, |
|
Et en ayant l'une & l'autre main pure. |
|
Et en ce lieu les Nymphes très heureuses |
|
Par ces trésors riches & plantureuses, |
|
Vont démêlant d'un beau peigne d'ivoire |
|
La toison d'or; où pour acquérir gloire, |
|
Premier par nef fut le prince Jason |
|
Avec les siens ravir cette toison: |
|
Et n'a point craint cette noble jeunesse |
|
Sous Hercule & Jason, sûre adresse, |
|
Par tant de flots marins le chemin prendre, |
|
Pour à Colchos, Ile riche, se rendre; |
|
Dont l'un des deux dessus la sommité |
|
D'un mont connu, te montre en vérité |
|
La toison d'or, comme un commencement |
|
Que tu dois prendre affectueusement. |
|
E iij |
|
@
70 Le second livre
| L'autre te peut enseigner & apprendre
|
| Combien tu dois de labeur entreprendre,
|
| Combien de peine & de sollicitude
|
| Sur cette masse épaisse, & poids si rude:
|
| Car ce n'est pas grand-chose de savoir
|
| Quelle matière il te faut recevoir:
|
| Mais de la rendre habile & convenable,
|
| C'est un grand fait, excellent & louable.
|
| Voilà l'ouvrage & le labeur aussi,
|
| Où les ouvriers mauvais en grand souci,
|
| A un trop vain exercice adonnés,
|
| Sont de plusieurs abus environnés,
|
| Et autre maint ignare ouvrier se plonge
|
| En même erreur, ignorance & mensonge:
|
| Car maintenant par cure vigilante
|
| Ils mêleront de l'eau chaude & bouillante,
|
| Et maintenant de l'Eau, ils entremêlent,
|
| Puis Eau d'odeur, Menstrua qu'ils appellent,
|
| Comme les fleurs des femmes, ja remplies
|
| Le terme, auquel au ventre est accompli
|
| Parfaitement le petit enfant tendre.
|
| Lors ces ouvriers cuidant* à bon but tendre,
|
| Font tout cela cuire bien longuement
|
| A petit feu, & intentivement*
|
| Sent travailler: mais tel travail & peine
|
| N'apporte rien qu'une espérance vaine;
|
| Et pour en vain à cela s'employer,
|
| De leur labeur ils perdent le loyer,
|
| Pour ce qu'ils ont mêlé diverses formes
|
| A la matière, en ce si mal conformes,
|
| Qu'on voit à l'oeil par bonne conjecture
|
| Ces choses-là répugner à nature,
|
@
de la Chrysopée. 71
Et dessus tout à cet ouvrage exquis, |
|
Et auquel rien, n'est plus cher & requis, |
|
Que ce qui est simple, & sans controverse |
|
De mixtion d'autre chose diverse; |
|
Et ne requiers sinon le soufflement |
|
Du Soufre pur, avec l'attouchement |
|
De l'Argent vif son compagnon, qui vient |
|
A son secours, dont le pur Or provient. |
|
Maint autre y a qui par autre manière |
|
Préparatif donne à cette matière, |
|
Et se pourrait, peut être, bien trouver |
|
Autre moyen pour ceci éprouver, |
|
Pourvu que même & très pure substance |
|
Liquidement soit mise en évidence, |
|
Et qu'elle soit seule en soi délaissée. |
|
Ayant de près Nature pourchassée, |
|
L'Art doit ici vaquer soigneusement; |
|
Et en cela nature constamment |
|
Doit conserver sa puissance bien née, |
|
Par main d'Ouvrier excellent gouvernée: |
|
Car quand par Art auras désassemblé |
|
Ce qui était conjoint & assemblé, |
|
Et qu'à l'ouvrage extérieurement |
|
Une vertu viendra soudainement; |
|
Et que verras une semence croître, |
|
Et à tes yeux copieuse apparaître, |
|
En lieu secret cela te convient mettre, |
|
Et avec feu sans cesser te soumettre |
|
A l'exercer: Puis peu à peu ta cure |
|
Lui doit donner sa propre nourriture. |
|
Et ne convient que le temps spacieux |
|
Te soit par trop moleste & ennuyeux: |
|
E iiij |
|
@
72 Le second livre
| Car tout cela qui s'engendre & produit,
|
| En certain temps à nos yeux est produit,
|
| Quand son vrai cours naturel il a fait,
|
| Dont il a vie, & se montre parfait,
|
| Et tout ainsi que l'enfant né sans forme
|
| Au maternel ventre croît, & se forme,
|
| Jusques à temps que de masse imparfaite
|
| Soit accomplie une chose parfaite.
|
| Aussi le lieu propre à cet artifice
|
| Où tu mets d'Or la semence propice,
|
| Incessamment par sa vertu immense
|
| Augmentera cette riche semence,
|
| Jusques à temps que plus apertement
|
| Les fruits viendront à mûr accroissement,
|
| Et à ces fruits croissants en façon lente,
|
| Premièrement chaleur non violente
|
| Appliqueras: puis humeur modérée
|
| Est grandement aux choses désirée,
|
| Lesquelles ja se corrompre verras,
|
| Puis un moyen tempéré trouveras
|
| Entre l'humeur & chaleur naturelle,
|
| Et ce les bains de Marie on appelle.
|
| Or avisant à tout bien sagement,
|
| Tu souffleras un feu tant seulement,
|
| Non véhément, & qui puisse suffire
|
Les bains | Pour engendrer les choses, & produire
|
de Marie. | Ce que fumier & bains communément
|
| Nomment aucuns, mais mal & faussement:
|
| Car la chaleur maintenant défaillante,
|
| Et maintenant trop aspre & véhémente,
|
| Et qui certain moyen n'a en tout point,
|
| En aucun temps profitable n'est point
|
@
de la Chrysopée. 73
A ce qui a déjà sa forme & être |
|
Ni à cela qui par temps devait naître, |
|
En un petit vaisseau conséquemment |
|
Trop de matière enclore étroitement |
|
Il ne convient, car icelle matière |
|
Ne pourrait pas montrer sa force entière |
|
Par petit feu, après qu'elle serait |
|
Disjointe, & lors sa vertu cesserait. |
|
Et sans mentir cela n'est nécessaire, |
|
Car si tu peux une fois satisfaire |
|
A ton désir, & être, pour le sûr, |
|
De cette poudre heureuse possesseur: |
|
Il ne faut pas en cela te résoudre |
|
De désirer beaucoup de cette poudre, |
|
Ni derechef la composer & faire, |
|
Car toutefois que d'elle auras affaire |
|
A ton plaisir assez l'augmenteras: |
|
Aussi beaucoup ceci tu priseras |
|
Quand cette poudre excellente & céleste |
|
Te donnera maint signe manifeste, |
|
Et qu'à tes yeux se représentera, |
|
Et que couleurs diverses montrera: |
|
Mais quoi que plus on prise la valeur |
|
De cette poudre ayant rouge couleur, |
|
Ce néanmoins il est besoin de croire |
|
Que beaucoup vaut la poudre blanche, & noire. |
|
En premier lieu la noire te découvre |
|
Comment tu dois commencer ce grand oeuvre, |
|
Et du chemin secret t'ouvre la porte |
|
Où le vulgaire ignare se transporte, |
|
Mais trop en vain, car par diverse voie |
|
Il se détourne, & toujours se fourvoie, |
|
@
74 Le second livre
| La poudre blanche a bien telle puissance
|
| Qu'elle nous donne entière connaissance,
|
| Que le chemin jadis bien commencé
|
| Est à demi parfait & avancé.
|
| Nous montre aussi par un désiré soin
|
| Que la rougeur n'est ja plus guères loin,
|
| Lors que nos yeux de leur espoir jouissent
|
| Et du prochain ouvrage s'éjouissent:*
|
| Ouvrage grand, que tout autre art louable
|
| Vaincre ne peut, ni faire son semblable,
|
| Avec trésors & richesses quelconques:
|
| Combien qu'il faut bien confesser adonc
|
| Qu'il n'y a rien qu'art humain florissant
|
| Ne mette à fin par un engin puissant.
|
| Cet art humain contemple les étoiles
|
| Qui sont au ciel reluisantes & belles,
|
| Contemple aussi le temps où en son Règne
|
| Est chacun Astre, & quand point il ne règne,
|
| Et en marchant avec port glorieux
|
| Il a pouvoir de monter jusqu'aux Cieux.
|
| Et (qui plus est) d'une égale mesure
|
| De Terre & Mer le grand tour il mesure,
|
| Et les sablons d'innumérables* nombre
|
| Facilement il comprend & les nombre.
|
| Par art aussi on peut de voix humaine
|
| Suivre les chants du céleste domaine,
|
| Et imiter les sept célestes sons
|
| Par instruments & humaines chansons.
|
| Par art aussi sont inventés les droits,
|
| Lois & édits, & statuts bons & droits.
|
| Par art on voit être faites les villes,
|
| Les parlements & dignités civiles.
|
@
de la Chrysopée. 75
Par art les Rois universellement |
|
Du populaire ont le gouvernement, |
|
Par art un camp se conduit & chemine, |
|
Par art un grand capitaine domine, |
|
Par art aux corps las & passionnés |
|
Médicaments utiles sont donnés |
|
Par le secours desquels le corps s'efforce |
|
En retournant en sa vigueur & force. |
|
Le labourage aussi en terre grasse |
|
Sans art ne peut avoir aucune grâce, |
|
Vu que par l'art d'agriculture utile |
|
Un champ stérile on peut rendre fertile. |
|
Par art aussi dessus petits ormeaux |
|
La vigne croît & épand ses rameaux. |
|
Donc cet art traite certainement |
|
De ce qu'on voit par tout notoirement, |
|
Art ose aussi par contemplation |
|
Chercher avec grande inquisition |
|
Ce qui était par bien longue distance |
|
Fort éloigné de notre connaissance. |
|
Outre cela (si tu regardes bien) |
|
Au monde bas (peu s'en faut) il n'est rien |
|
Qui à cet art ne soit totalement |
|
Attribué par humain jugement. |
|
Et sans cet art (où n'y a que redire) |
|
L'homme prudent rien ne veut faire ou dire. |
|
Dieu te garde art, qui es sollicitude |
|
Des graves gens, & délectable étude |
|
Quiconque soit, ou fille de Minerve |
|
Ou s'il convient plutôt qu'on te réserve |
|
Le premier lieu de fidèle servante, |
|
Dessous Pallas sur toute autre savante. |
|
@
76 Le second livre
| Car on maintient cette Déesse belle
|
| Avoir gardé toujours perpétuelle
|
| Virginité, bien que de sa beauté
|
| Le Dieu Vulcain amoureux ait été,
|
| Dont il rompit la tête de son père
|
| D'une cognée, & de ce coup prospère
|
| Pallas fut né en renom éternel
|
| Tenant du sens & engin maternel.
|
| Je te salue ô noble Art derechef
|
| Qui de tout oeuvre est la mère & le chef,
|
| Et de qui vient si grand nombre de gens
|
| A embrasser prudence diligents,
|
| De tant de saints poètes & sacrés,
|
| (Qui aux ruisseaux à ton nom consacrés
|
| Devaient venir) seul je prendrai l'audace
|
| D'eau d'Hélicon aussi froide que glace
|
| Diligemment les causes arroser
|
| De tant de cas, & d'iceux exposer,
|
| En leur ôtant toutes noires ordures
|
| Pour à vos yeux rendre les choses pures.
|
| Dont quand auras par cet art de haut prix,
|
| De ces couleurs l'ordre & signe compris,
|
| Il est besoin que certaine espérance
|
| Dedans ton coeur fasse sa demeurance,
|
| En attendant du travail le loyer
|
| Où si longtemps t'es voulu employer,
|
| Car tu auras sous espérance telle,
|
| Comme d'un don & grâce supernelle,*
|
| La poudre exquise, où gît tant de pouvoir
|
| Qu'elle produit l'Or si plaisant à voir,
|
| Voire la moindre apparence ou scintille*
|
| De cette poudre excellente & subtile
|
@
de la Chrysopée. 77
Peut convertir de son vrai mouvement, |
|
Tous les métaux en pur Or promptement. |
|
Et tout ainsi que le caillé fromage |
|
Est détrempé par le commun usage |
|
Avec eau tiède, & qu'il rend le vaisseau |
|
Abondamment plein de lait clair & beau |
|
Et fait le lait par puissance conforme |
|
D'un autre lait prendre l'espèce & forme, |
|
La poudre sacre aussi par son argent |
|
Arrêtera le prompt & vif Argent, |
|
En lui donnant de l'or l'espèce heurée* |
|
De la couleur des étoiles parée, |
|
Si que ce vif Argent par tel effet, |
|
De cette poudre, est plus que l'Or parfait. |
|
Et n'y a Or (pour le vrai vous compter) |
|
Qui de valeur le puisse surmonter. |
|
Et outre afin que tu ne te déçoives |
|
Et qu'un nouveau travail tu ne reçoives |
|
De retourner à l'ouvrage en effet, |
|
Qui a été ja une fois parfait, |
|
Tu dois savoir, par vigueur véhémente |
|
Que cette poudre admirable s'augmente, |
|
Et est requis à tout entendement |
|
De besogner laborieusement |
|
A telle fin qu'une bien grand' partie |
|
Soit d'Argent-vif en pur Or convertie, |
|
Voire en prenant un petit seulement |
|
De cette poudre, & non pas largement: |
|
Car où l'esprit prompt, subtil & habile |
|
Entre en ce corps épais & immobile |
|
En se mêlant aux entrailles sans cesse |
|
De ce corps-là, ou Masse très épaisse, |
|
@
78 Le second livre
| Ou par long temps (plutôt) la poudre cuite
|
| Souvent pressée, en soi souvent réduite
|
| Peut sa vigueur & vertu endurcie,
|
| Réduire ensemble, & icelle épaissie.
|
| Et comme un brin de safran mis en l'onde
|
| Sa couleur vive épand en cette eau monde*
|
| Avec odeur très suave & agréable,
|
| Aussi la grand' vertu incomparable
|
| En si petit de poudre est excitée,
|
| Et en courant vivement agitée
|
| Elle entre & va par un chacun conduit
|
| De ce métal en liqueur ja réduit
|
| Et pour certain l'homme ne peut comprendre
|
| Raison aucune, & la cause ici rendre
|
| Pourquoi si grand vertu & force habite
|
| Dedans semence & poudre si petite
|
| Car la raison tu ne trouveras point
|
| (Si le désir de la savoir te point)*
|
| Pourquoi magnes à si grand force aspire
|
| Qu'à lui le fer parmi l'air il attire,
|
| Encore moins pourquoi de sûre adresse
|
| Les Nautoniers il régit & adresse
|
| Droit devers* l'Ourse, en contemplant aux cieux
|
| L'étoile enclose en char non spacieux:
|
| Nature cache, & tient beaucoup de choses
|
| En ses secrets divinement encloses,
|
| Et n'est besoin à l'homme de savoir
|
| Tout, & de tout la connaissance avoir,
|
| Mais seulement il faut qu'on s'émerveille
|
| De plusieurs cas que nature appareille,
|
| Et en faisant telle admiration
|
| Les révérer en leur perfection,
|
@
de la Chrysopée. 79
Et n'est requis que tu cherches nouvelle |
|
Des grands secrets que nature te cèle; |
|
Car il convient présumer aux humains |
|
Que ce qu'ils ont commun & entre mains |
|
Connaître & voir ils ne peuvent qu'à peine |
|
Tant de nos yeux vérité est lointaine, |
|
Et toutefois afin que ton espoir, |
|
Ne s'atténue, & change en désespoir |
|
De ne pouvoir par un moyen facile |
|
Mener à fin, cet art tant difficile |
|
Et qui est l'art des autres le plus grave, |
|
Ores mon dire en ta mémoire grave. |
|
En premier lieu reçoit ce pensement* |
|
Qu'il te convient connaître seulement |
|
Ce qui se peut retenir & apprendre |
|
Pour le surplus après par ordre entendre. |
|
De toute choses il faut premièrement |
|
Chercher la cause & raison prudemment: |
|
Car bien souvent la raison est présente |
|
En la cherchant, & à ceux se présente |
|
Qui sans cesser suivant la droite voie |
|
Point ne s'arrête, & jamais ne fourvoie |
|
Jusques à temps qu'il se puisse enfermer |
|
Dedans la chambre où (pour vrai affirmer) |
|
Fait son arrêt vérité honorable |
|
En majesté illustre & vénérable. |
|
Là peut-on voir la première semence |
|
Dont tout Métal à végéter commence; |
|
Là peut-on voir la coction dernière |
|
D'invention exquise & singulière |
|
Qui des métaux joint la forme diverse. |
|
Et non rien moins appert raison expresse |
|
@
80 Le second livre
| Par qui l'on voit les métaux transmués
|
| De l'un en l'autre, & si bien remués
|
| Que l'un de l'autre a la force & vertu,
|
| Et du pouvoir d'engendrer est vêtu
|
| Si aucun art leur aide d'aventure
|
| Mettant la main au secours de Nature.
|
| Et d'avantage il n'appert pas comment
|
| Sont les Métaux rendus naïvement
|
| Mols, & comment peu à peu sont liquides
|
| En demeurant tempérés & humides,
|
| Oeuvre (pour vrai) très difficile & grand
|
| Et de labeur tout autre dénigrant,
|
| Et dont cet art ne peut rien éventer
|
| En quoi plus fort il se puisse venter.
|
| Or en ceci à peine tu faudras*
|
| Et le surplus de toi-même apprendras,
|
| Car tu verras à l'oeil que tous les points
|
| Sont d'un lien concaténés & joints,
|
| De là dépend la certaine manière
|
| Du feu, du lieu en façon singulière
|
| Pareillement la mesure arrêtée
|
| De cette pierre aimable & souhaitée:
|
| De là dépend la couleur épandue
|
| Dessus la poudre exquise prétendue,
|
| Et le moyen qu'il faut pour te résoudre
|
| A augmenter cette divine poudre,
|
| Si d'aventure elle se diminue
|
| Et qu'elle soit petite devenue
|
| D'avoir durée par long temps & espace:
|
| Et ça & là ces choses à ta face
|
| Apparaîtront, si tu veux regarder
|
| D'usage long, à l'ordre bien garder.
|
| Et quel-
|
@
de la Chrysopée. 81
Et quelquefois ta mémoire, peut-être, |
|
Pourra de moi si grand bien reconnaître; |
|
Vu que bien sûr de n'être point moqué |
|
Du peuple ignare à rire provoqué, |
|
En ce tu prends mon conseil pour conduite; |
|
Dont sûrement ta personne est conduite |
|
Par un chemin tant étroit à le voir, |
|
Que peu de gens il daigne recevoir, |
|
Et d'où tout homme à peine est exempté |
|
D'en retourner joyeux, & en santé: |
|
Mais bien plutôt les pauvres misérables |
|
En retournant par ces lieux dévoyables, |
|
Par épineux buissons sont déchirés, |
|
Et bien frustrés des profits désirés. |
|
A autres maints autre malheur est proche, |
|
Qui délaissés sous une creuse roche, |
|
Sont vagabonds par les concavités |
|
De Terre obscure, & ses profondités.* |
|
Et de ce lieu obscur & détestable |
|
Ni par la main d'autre homme secourable, |
|
Ni par leur force (en danger d'expirer) |
|
Ils ne pourront jamais se retirer. |
|
Mais toi ne crains avec plus de sûr'té |
|
De cheminer par les lieux d'obscur'té, |
|
Te conduisant par cette voie obscure |
|
Avec un fil, ainsi que l'ouverture |
|
Je t'en ai fait, afin que sans danger |
|
A ce chemin tu te pusses ranger, |
|
Et que de là aussi tu retournasses |
|
Sans que péril & encombre trouvasses. |
|
Et si tant bien conduisais ton étude |
|
De parvenir à la béatitude, |
|
@
82 Le second livre
| Menant à fin tout désir prétendu,
|
| Premièrement par toi serait rendu
|
| L'honneur aux Dieux: puis à moi à bon droit
|
| Qui t'ai donné conseil en cet endroit.
|
| Mais si les Dieux ne te voulaient permettre
|
| A tel effet ton espérance mettre
|
| Mais que contraint tu fusses & forcé
|
| De délaisser l'ouvrage commencé,
|
| (Comme voyons qu'une telle fortune
|
| Souventes fois les humains importune)
|
| A tout le moins voyant mainte mensonge
|
| Où le vulgaire ignare & faux se plonge
|
| Tu pourras voir des autres l'ignorance,
|
| Et les erreurs où ils font demeurance.
|
| Sur toute chose encore je te dirai,
|
| Et derechef de ce t'avertirai,
|
| Que si du ciel tel' faveur t'est donnée,
|
| (Car elle n'est d'ailleurs point ordonnée)
|
| Voire à celui qui te sera fidèle,
|
| Cet art-ici à peine ne révèle,
|
| Encore moins à tous autres qui mis*
|
| Ne furent onc au rang de tes amis.
|
| Et ne convient cela mettre en ventance*
|
| Que notice as de cet art d'importance:
|
| Mais en gardant cet heur secrètement
|
| En ton esprit, pense tacitement
|
| A ces secrets, & d'un tel artifice
|
| A toi tout seul réserve la notice:
|
| Car cet art-ci à plusieurs gens de bien,
|
| Comme suspect, semble ne valoir rien,
|
| Et ses culteurs* savants, & de haut prix
|
| Sont odieux, & tenus à mépris:
|
@
de la Chrysopée. 83
Pour ce que tant d'ouvriers, en qui abonde |
|
Mensonge & dols, vont errants par le monde, |
|
Qui par un vain & curieux devoir |
|
Se vanteront plusieurs choses savoir, |
|
Que de leur vie ils ne purent entendre, |
|
Et ne sont pas aptes de les apprendre: |
|
Mais éloignés, sont de la droite voie, |
|
Où nous tendons, sans que rien nous dévoie. |
|
Outre j'ai vu maint homme bien savant |
|
Traiter, louer, & produire en avant |
|
Beaucoup de cas que l'ignorant vulgaire |
|
Approuve, & tient à cet art nécessaire. |
|
Quoi? que dirai-je aussi de plusieurs gens, |
|
Qui de blâmer sont prompts & diligents |
|
Tous les ouvriers de cet art d'apparence, |
|
En ne mettant aucune différence |
|
Entre les bons ouvriers & bien appris, |
|
Et entre ceux qui sont d'erreur surpris? |
|
Et plusieurs gens il y a toutefois, |
|
Qui la raison demandent mainte fois, |
|
Pourquoi parmi le grand nombre de ceux |
|
Qui en cet art ne sont point paresseux |
|
Il n'en appert un seul, tant soit parfait, |
|
Qui mette tels miracles à effet; |
|
Et pour autant que cela ne se prouve, |
|
Disent que l'art de nul effet se trouve, |
|
Et que ce n'est que folle invention, |
|
Pleine de songe; & de déception. |
|
Mais qui est cil d'estomac tant débile, |
|
Et de courage inconstant & fragile, |
|
Qui n'ait pouvoir d'avoir la bouche close |
|
Pour n'éventer à autrui cette chose |
|
F ij |
|
@
84 Le second livre
| Dont le secret ne se doit révéler?
|
| Qui ne se doit contenir de parler
|
| (S'il est prudent) sachant que son langage
|
| Incontinent lui portera dommage?
|
| Celui qui est en grand' tranquillité,
|
| Loin de danger, & en félicité,
|
| Par quel moyen se pourrait-il défendre,
|
| S'il se vantait, & donnait à entendre
|
| Qu'il a de grands richesses enfermées,
|
| Que nous voyons être tant estimées,
|
| Que des grands Rois le règne en est acquis,
|
| Richesses grands & hauts honneurs conquis?
|
| Si qu'à bon droit toute autre chose cède
|
| A cet avoir désiré qu'on possède,
|
| Pour ce que plus grand valeur est comprise
|
| En cet avoir & richesses qu'on prise.
|
| Donc si aucun a été bien appris
|
| De composer ces trésors de grand prix,
|
| Il tient couvert ce savoir d'excellence
|
| Du voile obscur d'amiable silence.
|
| En quoi tu dois le semblable imiter,
|
| Et ne te faut cependant désister
|
| De l'entreprise en cet art commencée,
|
| Pour la parole au vulgaire avancée,
|
| Qui va disant n'être point advenu
|
| Que riche aucun ainsi soit devenu,
|
| Ni qui se soit vanté publiquement
|
| D'être enrichi tant magnifiquement.
|
| Ne perds aussi bon espoir & courage
|
| Par ce temps-ci & nubileux* orage,
|
| Que ci devant nous, pauvres malheureux,
|
| N'espérions pas de voir si dangereux,
|
@
de la Chrysopée. 85
Et ne pensions que l'ennemi barbare |
|
Vint assaillir cette Terre tant rare, |
|
Riche, amiable, & pleine de douceur: |
|
Ni que lui faux, inique & offenseur |
|
Rompit la paix par si long temps gardée, |
|
Troublant raison par lui mal regardée. |
|
Ores voit-on, humanité faillie, |
|
Par gens armés, maintes villes assaillie, |
|
Et eux à sang & fureur suscités: |
|
Deçà & là saccager les cités, |
|
On peut ouïr larrecins* exécrables, |
|
Pollutions par trop abominables, |
|
Honteusement les femmes violées, |
|
Et par les champs riches maisons brûlées, |
|
Dont à bon droit la Muse pâle & triste |
|
De Bononus Poète se contriste, |
|
En déplorant Narvise, son pays, |
|
Où sont des Dieux les temples envahis |
|
Par déloyaux gendarmes, pleins de vices, |
|
En violant tous les divins services, |
|
Et en mettant, par un crime odieux, |
|
Le feu par tous les saints temples des Dieux: |
|
Si que par tel crime grand & diffus, |
|
Les droits humains & divins sont confus, |
|
Tant d'insolence & de malheur accorde |
|
De tous péchés la grand-mère Discorde |
|
N'a pas longtemps ainsi pouvait-on voir |
|
Les coeurs humains de crainte s'émouvoir, |
|
Et assaillis de passions amères, |
|
Comme agités des fléaux des Chimères |
|
Des bas enfers, si qu'en telle souffrance |
|
Chacun cherchait nouvelle demeurance, |
|
F iij |
|
@
86 Le second livre
| Et se chargeant de cette portion
|
| Qui lors était en sa possession,
|
| Il délaissait sa terre naturelle
|
| Pour la cité qui Régine s'appelle,
|
| Et que la Mer de ses flots environne,
|
| Là demeurant en tranquillité bonne:
|
| Où nombre grand jadis des plus notables
|
| Gens d'Italie, & des plus recevables,
|
| Se retira, s'assurant de la Mer,
|
| Alors qu'on vit Barbares allumer
|
| Un feu, qui ja commençait à s'épandre,
|
| Pour l'Italie entière mettre en cendre:
|
| Ce qui dura l'espace de long temps,
|
| Sans que fussions de ce danger exempts.
|
| Par quoi d'autant que tu connais ces choses
|
| De grand péril & de fortune encloses,
|
| (Dont faussement les mortelles personnes
|
| Les nomment biens, & les appellent bonnes)
|
| Il te convient munir de cette poudre,
|
| Pour résister aux coups de cette foudre;
|
| Afin que si cette peur derechef
|
| Nous pourchassait, un semblable meschef*
|
| (Duquel plutôt Dieu tout puisant & juste
|
| Veuille punir notre adversaire injuste)
|
| Sois secourable à toi & tes amis,
|
| Qui lors seront en adversité mis.
|
| Car quand ce don divin tu obtiendras,
|
| Riche sur tous les riches te tiendras,
|
| Ayant sur eux béatitude, pour ce
|
| Que sans labeur toujours dedans ta bourse
|
| Tu porteras ce trésor non pareil,
|
| Qui de la vie est le sûr appareil,
|
@
de la Chrysopée. 87
Et avec toi porteras sans envie |
|
Tout le secours de cette humaine vie: |
|
Mais si la paix encore nous vient voir, |
|
Pour du soulas* désiré nous pourvoir, |
|
(Ce qui du ciel adviendra brièvement, |
|
Si deviner peut notre entendement.) |
|
Par quel moyen plus sûr & plus facile |
|
Jouirais-tu des dons de paix tranquille, |
|
Que par celui dont tu peux, sans méprendre, |
|
Affaires grands & graves entreprendre? |
|
Et par lequel sans dommage outrageux |
|
Tu peux vaquer à mille ébats & jeux, |
|
Et t'adonner à tous plaisirs honnêtes? |
|
Car ni le soin avare & déshonnête, |
|
Ni des honneurs convoitise insensée |
|
Ne se viendra loger en ta pensée; |
|
Encore moins tous autres désirs tels, |
|
Dont tourmentés sont les coeurs des mortels, |
|
Te pourront nuire, ou inciter à vices |
|
D'aucun instincts de mondaines délices: |
|
Pour ce que lors bien armé tu seras, |
|
Et ton appui & confort causeras |
|
Sur cette poudre, en pensée accomplie, |
|
Secrètement de tout plaisir remplie. |
|
Mais ne soit mu ni par guerre importune, |
|
Ni du repos de la paix opportune |
|
A éplucher les causes de ces choses |
|
Qui au secret de Nature sont closes, |
|
Encore moins pour la commodité |
|
De ces trésors & grand utilité |
|
Qui en tous lieux assez te donneront |
|
D'éjouissance, & t'accompagneront: |
|
F iiij |
|
@
88 Le second livre
| Mais ce qui plus doit ton coeur émouvoir
|
| A cet art-ci, pour l'apprendre & savoir:
|
| C'est pour autant que tu es rendu digne
|
| De ce grand don, excellent & insigne,
|
| Par qui tu peux les principes connaître
|
| Des choses grands, que Nature fait naître
|
| A bien grand peine, & non facilement,
|
| S'on ne lui vient extérieurement
|
| Donner secours par ce bel artifice,
|
| Duquel celui qui acquiert la notice,
|
| Riche se doit & heureux réputer,
|
| Sans autre bien jamais plus appéter,
|
| Et sans que chose autre soit approuvée
|
| Valoir la poudre heureusement trouvée:
|
| Car le meilleur de nous, l'entendement,
|
| Ayant trouvé entier contentement,
|
| Pour ce qu'il a des secrets l'ouverture,
|
| De demander plus rien n'a soin, ni cure;
|
| Vu que joyeux de sa prospérité,
|
| Il fait séjour avec vérité.
|
|
|
| Fin du second Livre de la Chrysopée, par
|
| Jean Aurelle Augurel.
|
@
89
L E T R O I S I E'M E L I V R E
De La Chrysopée, c'est
à dire, de l'art de faire l'Or
par Jean Aurelle
Augurel.
Erme vouloir m'a pris présentement |
|
De poursuivre continuellement |
|
La désirée & illustre origine |
|
De cette poudre opulente & insigne. |
|
Ouvriers experts recevez ce parti, |
|
Et sur cette offre à vos yeux départi, |
|
Examinez longuement vos pensées: |
|
Ores par moi vous seront avancées |
|
Choses bien grandes, & d'entreprise haute, |
|
Puis tôt, sans faire à l'ordre aucune faute, |
|
J'expliquerai de cet art tant exquis |
|
Espaces, feux, nombres, & poids exquis. |
|
Aux choses grands être joint on doit croire |
|
Un grand labeur, mais semblable est la gloire, |
|
Si à aucun vient la faveur des Dieux |
|
D'un doux regard procédant de leurs yeux, |
|
Ou bien s'il a, mu de divinité, |
|
A cet art-ci le courage incité, |
|
A telle fin que par expérience |
|
Trop difficile, & de grand conséquence |
|
Vos sens troublés ne soient en aucun point, |
|
Et qu'en cela ne te retarde point |
|
@
90 Le troisième livre
| Mon entreprise en cet art estimable
|
| Par nouveauté de parler non aimable.
|
| Nymphe d'honneur environnée & ceinte,
|
| Nymphe gardant cette fontaine sainte,
|
| Et par mes vers si souvent invoquée,
|
| Si as été à m'ouïr provoqué
|
| Par ci-devant, si par humble devoir
|
| En t'invoquant j'ai pu ton coeur mouvoir
|
| Ne me délaisse en ma dernière cure
|
| D'oeuvre si grands, qu'écrire je procure:
|
| Te suppliant si en contentement
|
| Tu tiens sur terre embrassé doucement
|
| Ce que jadis en vers a proféré,
|
| Ton grand Poète aux autres préféré,
|
| Que pour cela ta naïve pensée
|
| De mes écrits ne soit point offensé
|
| Auxquels tu vois qu'ensuivre te souhaite
|
| Les pas du tien tant excellent Poète,
|
| En spéculant la terre jusqu'au fonds
|
| De ses secrets, & abîmes profonds
|
| Où je te prie ta faveur me permettre
|
| Pour si grands faits écrire en petit mettre:
|
| A ton plaisir ainsi coulent les ondes
|
| De Mincius, toujours claires & mondes*
|
| Et que le bort de ses liquides eaux
|
| Environné soit de tendres roseaux.
|
| En premier lieu celui qui entreprendre
|
| Veut cet art-ci & ses secrets apprendre
|
| Il faut qu'il soit loin de cure & souci,
|
| Et qu'en menant tranquille vie aussi
|
| En se cachant, pacifique, & secret
|
| Il ne soit prompt de dire son secret,
|
@
de la Chrysopée. 91
Qu'il ait maison non ample, mais propice |
|
Pour exercer ce présent artifice, |
|
Et qu'elle soit du peuple fort distraite, |
|
Où il y ait mainte chambre secrète |
|
Dont à aucun ne soit faite ouverture: |
|
Si aux servants le maître d'aventure |
|
Ne commandait quelques choses porter |
|
Sans leur apprendre & leur interpréter |
|
A quoi servir peuvent toutes ces choses |
|
Qu'ils vont portant dedans ces chambres closes. |
|
Il faut aussi qu'il ait en sa maison |
|
Un petit lieu pour la chaude saison |
|
Où il se puisse à son gré promener. |
|
Et en hiver lui faudra séjourner |
|
En la maison, & pour tel séjour faire |
|
Un jardinet lui est très nécessaire, |
|
Où par loisir sa personne adonnée |
|
S'exercera tout le long de l'année |
|
En y faisant continuation |
|
Comme n'ayant autre vocation: |
|
Ores cueillant d'ongle prompt & habile |
|
Graines qui sont en son jardin fertile, |
|
Ores semant (la saison arrivée) |
|
Graines, dedans la terre cultivée, |
|
Puis son esprit bien fort s'éjouira* |
|
Et de soulas*, son regard jouira |
|
Voyant fleurir de couleurs différentes |
|
Herbes & fleurs très odoriférantes, |
|
Et en ce lieu de mener ses amis |
|
Aucune fois il lui sera permis. |
|
Les amusant, sous accueil recevable, |
|
A quelque jeu plaisant & délectable. |
|
@
92 Le troisième livre
| Mais le secret il dissimulera
|
| De la maison, & point n'en parlera.
|
| Et cependant que point il ne permette
|
| Que la chaleur occulte s'intermette,*
|
| Si d'aventure il a mis la semence
|
| Qui produit l'Or par sa vertu immense,
|
| Ayant fini par limitation,
|
| Son propre cours & révolution,
|
| Ou bien s'il veut par feu continuel
|
| Et par labeur grand & assiduel*
|
| Chercher cet Or aux veines de l'Or même?
|
| Et pour autant cet art grand & suprême
|
| De grand travail, & longue expérience
|
| Mérite bien qu'avec diligence
|
| On cherche ami & compagnon fidèle
|
| Qui la moitié de cette charge belle
|
| Entreprenant, en lieu secret se cache
|
| De la maison, & de sa part qu'il tâche
|
| D'administrer tout cela qui convient
|
| A l'art, duquel un si grand profit vient.
|
| Il est besoin aussi, & raisonnable
|
| Au bon ouvrier de cet art honorable
|
| Qu'aux dieux puissants d'une affection grande
|
| Son oeuvre & lui toujours il recommande.
|
| Car sans la grâce & faveur des hauts Dieux
|
| Rien ne se fait qui soit dessous les Cieux,
|
| Et à ce don trop en vain il aspire
|
| Qui vers les Dieux humblement ne soupire.
|
| Moi-même ayant désir que par mes vers
|
| Ces secrets-ci vous fussent découverts
|
| Trois fois ai fait mes humbles voeux aux Muses
|
| A jointes mains, & prières diffuses,
|
@
de la Chrysopée. 93
Qui précédaient d'un coeur plein de bon zèle: |
|
Dont je connais qu'une faveur nouvelle |
|
Me vient du ciel, & peu à peu je sens |
|
Qu'en écrivant me croît vigueur & sens, |
|
Et m'est avis que par la sommité |
|
Des monts très hauts ores je fus porté, |
|
Et incertain par les bois ombrageux. |
|
Et néanmoins d'un coeur fort courageux |
|
Je suis mené par la voie opportune |
|
Où me conduit le cours de ma fortune; |
|
Afin qu'au mont Hélicon me transporte |
|
Et que de là le premier je rapporte |
|
Le beau chapeau de vert laurier sacré. |
|
Et que par moi premier soit consacré |
|
De ce laurier, qui reverdit sans cesse, |
|
Le saint autel, que j'ai dès ma jeunesse |
|
Fait ériger en mémoire infinie |
|
Du Dieu Phoebus, & de sa compagnie, |
|
Et en l'honneur de Genius puissant. |
|
Et cet autel exquis & florissant |
|
Est érigé en façon authentique |
|
Dessus le bord de mer Adriatique, |
|
Où doucement cours le fleuve Arimine; |
|
Puis d'un Torrent violent qui domine |
|
Passe dessous un beau pont ancien |
|
Et roidement* avançant le cours sien |
|
Tombe en la Mer, où tout soudain mêlées |
|
Ses douces eaux sont aux ondes salées. |
|
Je poursuivrai donc l'art commencé |
|
Et le labeur non encore avancé |
|
Qui est requis à ce présent ouvrage |
|
Où je serai porté d'ardent courage |
|
@
94 Le troisième livre
| Par les maisons fumantes des grands Dieux,
|
| Dont les soufflets font un vent gracieux
|
| Dans les fourneaux, auxquels est épandu
|
| Bien doucement l'Airain clair & fondu;
|
| Et ja me semble ouïr le grand tonnerre
|
| Fait par les grands Cyclopes sur la terre,
|
| Et que le ciel du bruit de mainte enclume
|
| Retentit plus qu'il n'avait de coutume,
|
| Et du long cri des marteaux agités,
|
| Etna résonne en sons inusités.
|
| Si aucun veut savoir parfaitement
|
| De faire l'Or le vrai commencement,
|
| Ou si l'Argent premier il requiert faire.
|
| Premièrement il lui est nécessaire
|
| Savoir des feux la grand diversité,
|
| Auxquels il faut qu'il soit exercité:*
|
| Car il y a en cet art plusieurs feux,
|
| Dont y en a principalement deux:
|
| L'un d'iceux est de nature tranquille
|
| Imitateur, l'autre à l'art difficile
|
| Et violent, est apte & convenable,
|
| Qui par labeur & force inestimable
|
| Tache à pousser la semence, qui est
|
| Liée à l'Or d'un merveilleux arrêt.
|
| Après que l'or par toi sera fondu,
|
| Humide aussi & traitable rendu,
|
| A telle fin que plus facilement
|
| L'Or soit enflé par le feu véhément,
|
| Et qu'en rendant vapeurs en abondance,
|
| Soit élevé en haut par grand puissance.
|
| Le premier feu qui imite Nature,
|
| Nourrit de l'Or cette semence pure;
|
@
de la Chrysopée. 95
Après qu'elle est des liens déliée |
|
Où elle était étroitement liée, |
|
Et par la force & vigueur en tout point |
|
Aucunement l'oeuvre il ne brûle point, |
|
Et ne permet refroidir cet ouvrage |
|
Jusques à temps que d'un jugement sage |
|
Il puisse voir le tout bien disposé |
|
Et d'un engin merveilleux composé, |
|
Et jusqu'à temps que naturellement |
|
De son bon gré & propre mouvement |
|
Il puisse voir toute cette matière |
|
Prendre & avoir perfection entière. |
|
Or maintenant se produise en avant |
|
Pour m'écouter maint ouvrier bien savant. |
|
Car j'ai désir de réciter grands choses, |
|
Bien qu'elles soient d'obscurité encloses, |
|
Qui par les vieux Barbares trop celées |
|
N'ont point été par iceux révélées, |
|
Et crois pour vrai qu'ils ont eu le désir |
|
De les celer, ou qu'ils n'ont eu loisir |
|
Ni le pouvoir de nous les faire entendre |
|
Ni par effet de paroles comprendre: |
|
Et pour autant j'ai bien pris cette audace |
|
De les tourner d'une naïve grâce |
|
En notre langue, & les interpréter, |
|
Nombres certains voulant y ajouter. |
|
Pour être plus agréable tenues |
|
Quand des savants elles seront connues. |
|
En premier lieu pour mettre l'oeuvre à fin, |
|
Prendras plusieurs pièces d'Or pur & fin. |
|
A divers coups il convient que tu brises |
|
Ces lames d'Or, faut qu'en poudre soient mises |
|
@
96 Le troisième livre
| Aussi menu que le sablon qu'on trouve
|
| Dans le gravier d'un très liquide fleuve;
|
| Tu briseras cela bien longuement
|
| Jusques à temps qu'intérieurement
|
| De son bon gré il soit rendu fluide
|
| Et par humeur il devienne liquide.
|
| Pareillement faudra commodément
|
| Cette matière arroser amplement
|
| Aucune fois de sa propre semence
|
| A telle fin que par lourde imprudence
|
| (Comme récit je t'ai fait ci-dessus)
|
| En cet endroit tes sens ne soient déçus
|
| En y mêlant différentes espèces,
|
| Ni ce qui peut joindre choses diverses,
|
| Ni ce qui est semé communément
|
| Et épandu aux choses follement,
|
| Car il convient tenir pour véritable
|
| Que toute chose appète* son semblable;
|
| Et que donner l'un à l'autre s'efforce
|
| Aide & secours d'extérieure force,
|
| Car par Nature est Nature appétée,
|
| Et répugnance est d'elle rejetée
|
| Alors qu'elle est conjointe à son pareil
|
| D'embrassement & lien naturel.
|
| La harpe aussi doux instrument à corde
|
| Des doigts touchée, ou de l'archet n'accorde
|
| En telle sorte, & si douce ne semble
|
| Qu'avec plusieurs harpes qui sont ensemble
|
| Tant en tout cas des choses la concorde
|
| Est vertueuse, & jamais ne discorde:
|
| Par quoi tu dois chercher diligemment
|
| Ce qui pareil sera certainement,
|
| Quoi
|
@
de la Chrysopée. 97
Quoi que ce soit, qu'il soit par toi cherché |
|
En quelque lieu qu'il soit mis & caché, |
|
Ou aux profonds abîmes & fissures |
|
Des monts hautains, & cavernes obscures: |
|
Ou bien s'il faut quelque temps consumer |
|
Pour l'arracher des roches de la Mer: |
|
Ou s'il convient en aucunes manières |
|
L'aller quérir aux milieu des rivières, |
|
S'il est produit du Ciel, si en tous lieux |
|
Il t'apparaît manifeste à tes yeux, |
|
S'il est caché en toutes parts du monde, |
|
Ou si au corps d'icelui il abonde. |
|
Cela cherché, bien assuré es-tu |
|
Que par sa force & certaine vertu |
|
Tu pourras tôt résoudre & rendre humides |
|
Choses, qui sont très dures & solides. |
|
Et pour autant quand ces choses connues |
|
Seront ainsi en liqueur devenues |
|
Tu les mettras par ordre bon & droit |
|
Au plus profond d'un vaisseau bien étroit: |
|
Car il convient qu'elles soient étendues |
|
Egalement, & par tout épandues, |
|
Si que chaleur les puisse rencontrer |
|
Egalement, & toutes pénétrer: |
|
Et qu'en ce soit cette chaleur sujette |
|
Que çà & là ses vapeurs elle jette. |
|
Ores je veux montrer apertement |
|
De quoi on peut faire parfaitement |
|
Ce pot, auquel l'Or ainsi on veut faire, |
|
Et dans lequel il est très nécessaire |
|
Que l'or endure une grande chaleur. |
|
Certaine Terre y a de grand valeur |
|
G |
|
@
98 Le troisième livre
| Que l'Espagnol pour l'art de verrerie
|
| Prend, & icelle apporte en Italie,
|
| Et le Verrier la matière du verre
|
| Fond en un pot forgé de cette Terre,
|
| Purifiant à long feu nuit & jour
|
| Cette matière, & sans aucun séjour.
|
| Fait donc le pot à notre art très utile
|
| De cette ferme & excellente argile,
|
| Dont à sa roue un potier ses pots forme,
|
| Et puis leur donne une agréable forme,
|
| Il est aussi d'une autre Terre noire
|
| Dessus les monts Euganiens notoire,
|
| Là un sentier verras qui point ne faut*
|
| De te mener tout droit au fleuve chaud
|
| Dit Aponus, & quand les Puys profonds
|
| Sont fossoyés, une argile est au fond
|
| A demi blanche, & semble Marbre vieux.
|
| Ces Terres-là, faut que sois curieux
|
| De mettre ensemble, & que ta main tant fasse
|
| De les mêler pour en faire une masse,
|
| Puis tu feras de cette Masse-là
|
| Un long vaisseau qui forme & façon a
|
| D'un Alambic, & à ce tâcheras,
|
| Que d'icelui la bouche boucheras,
|
| A telle fin que la vapeur n'échappe,
|
| Et que très bien la couverture & chape
|
| De verre, jointe au pot on puisse voir,
|
| Pour les vapeurs subtiles recevoir.
|
| Il te convient persuader aussi
|
| Que tu ne dois prendre moins de souci
|
| D'avoir, & faire une propre fournaise
|
| Pour en icelle allumer à ton aise
|
@
de la Chrysopée. 99
Un feu puissant, lequel bien longuement |
|
Entretiendras ingénieusement. |
|
Il faut aussi que ton esprit travaille |
|
De renforcer d'une double muraille |
|
Ce fourneau-là, & qu'il soit circuit |
|
Commodément d'argile, & bien enduit: |
|
Le fourneau est encore plus souverain |
|
S'il est lié de forts liens d'Airain, |
|
Et bien couvert d'une grand' pierre dure, |
|
Plus que le fer puissante, & qui plus dure, |
|
Afin que mieux une fournaise telle |
|
Souffre du feu d'ardeur continuelle: |
|
Fait des pertuis continuellement |
|
A cette pierre, afin que proprement |
|
Y puisse mettre une grand' quantité |
|
De pots duisants* à l'oeuvre limité: |
|
Quand tu auras ces choses composées |
|
Comme j'ai dit & par ordre apposées, |
|
Et que le feu tu auras allumé |
|
Dans le fourneau par toi clos & fermé; |
|
Incontinent par flamme violente |
|
Le feu s'épand par la fournaise ardente, |
|
Et frappe tant le fond de ce vaisseau |
|
Que tu as mis naguère au fourneau, |
|
Qu'en peu de temps il l'échauffe & enflamme |
|
Et le réduit totalement en flammes. |
|
Mais qui croirait que l'Or plein de dur'té |
|
Fut lors réduit en propre humidité? |
|
Et toutefois les gens pleins de science |
|
Ont eu du fait certaine expérience, |
|
Voire que l'Or en liqueur se vient rendre, |
|
Et peu à peu droit aux côtés se prendre |
|
G ij |
|
@
100 Le troisième livre
| De ce vaisseau, puis à la couverture
|
| De verre, & lui qui était par nature
|
| Dur & épais, grave, lourd & pesant
|
| Est mol, léger, à pénétrer duisant.
|
| Outre, cet Or premier resplendira
|
| Et aussi blanc que la Neige sera:
|
| Puis tout soudain couleur bleue il reçoit
|
| Telle qu'aux flots Marins on aperçoit,
|
| Et est semé de couleur violette
|
| Ayant le teint de pure violette:
|
| Qui ores fut Or blond & précieux
|
| De la couleur des Etoiles des Cieux.
|
| Et toutefois tous ces signes ensemble
|
| Indice vrai ne feront ce me semble,
|
| Mais il faudra la saveur observer
|
| D'icelui Or, & de bouche éprouver:
|
| Ce qu'accompli pour certain tu verras
|
| Si tôt qu'un goût amer tu sentiras,
|
| Semblablement tu auras bon indice
|
| Lors que de là par certaine notice
|
| Viendra un son obscur bas à merveille
|
| Qu'à peine ouïr on pourra des oreilles:
|
| Indice aussi certain t'avertira
|
| Quand une odeur non forte en sortira.
|
| Le signe aussi te pourra avertir
|
| Quand tu verras du soufre noir sortir.
|
| Quoi? n'est-ce pas autre preuve entendue
|
| Voir en claire eau cette Masse fondue,
|
| Qui maintenant légèrement portée
|
| Etait au faîte de ce vaisseau montée?
|
| Et ce n'est pas grand-chose toutefois
|
| D'avoir par art mué l'Or une fois,
|
@
de la Chrysopée. 101
Et ne faut pas que pour merveille on compte |
|
Si un lourd poids, & pesant en haut monte; |
|
Mais sa liqueur de louer je prétends, |
|
Car si elle prise par certain temps |
|
Abondamment par sa propre puissance |
|
De deux secrets nous fera connaissance. |
|
Le premier est (pour au vrai l'exposer) |
|
Que quelquefois faudra l'Or arroser |
|
De la liqueur de sa propre semence, |
|
Incontinent qu'en liqueur il commence |
|
De se résoudre, & que l'auras brisé |
|
Par le moyen de l'art ja devisé. |
|
L'autre secret verras secondement |
|
Qu'ayant mêlé cette humeur doctement |
|
Par sa puissance & force coutumière |
|
Il remettra en leur splendeur première. |
|
Pierres qui sont en Inde rencontrées |
|
Qui pâles sont, & en vieillesse entrées: |
|
Où si par art tu as (peut-être) telles |
|
Affections, d'en faire de nouvelles, |
|
Cette humeur claire & pure a ce pouvoir |
|
Duquel pourras l'expérience avoir. |
|
Mais si suivant les choses de haut prix, |
|
Ton désir est aucune fois épris |
|
De méditer, & composer un oeuvre |
|
Où excellence & valeur se découvre |
|
Tu n'en pourras élire en ton cerveau |
|
Un plus exquis, plus admirable & beau |
|
Lequel par art humain tu puisses suivre, |
|
Tant ses plaisirs Nature veut poursuivre |
|
En procréant ces belles Marguerites |
|
De grand valeur, & pierres très élites. |
|
G iij |
|
@
102 Le troisième livre
| Ou quand on voit que du marbre elles sortent
|
| Et que leur fruit produisent & apportent
|
| A certain temps, après avoir reçu
|
La semen- | Le fruit qui est de rosée conçu,
|
se des Per- | Qui tous les ans ainsi conçu s'appelle
|
les. | La reluisante & précieuse Perle.
|
| Ou si tu prends à cette pierre garde
|
| Pourquoi semblable espèce elle ne garde
|
| A la rosée, alors que la rosée
|
| A purement cette pierre arrosée,
|
| Une couleur blanche par tout le corps
|
| De cette pierre est épandue alors;
|
| Mais advenant que la rosée est trouble
|
| Ces pierres-là elle macule & trouble,
|
| Et derechef leur fruit pâle sera
|
| Selon le Ciel qui le disposera,
|
| Car leur semence est du Ciel provenue
|
| Et leur vertu plutôt du Ciel venue
|
| Que de la Mer, qui sont causes expresses
|
| Dont elles sont de couleurs fort diverses,
|
| Le temps couvert, ces pierres de valeur
|
| Des nues ont & gardent la couleur,
|
| Mais par temps clair leur couleur sera claire
|
| Quand Aurora au point du jour éclaire,
|
| Et que du Ciel la rosée descend
|
| Dont le troupeau de ces pierres se sent,
|
| Boit la rosée, en reçoit nourriture,
|
| Et en prenant opportune pâture
|
| Nous voyons lors que véritablement
|
| Ces pierres-là prennent accroissement.
|
| Mais si le temps qui était pur & clair
|
| Est empiré par la foudre & éclair,
|
@
de la Chrysopée. 103
La Conche a peur, & ayant telle crainte |
|
Ne mange rien, & demeure restreinte, |
|
Et s'il advient pareillement qu'il tonne |
|
Elle est restreinte, & grandement s'étonne. |
|
Et une espèce adonc elle produit |
|
Pleine de vent, sans aucun corps ou fruit. |
|
Et cela est que nous interprétons |
|
Le fruit avant le terme ou avortons |
|
Des Conches, car (comme apparent il semble) |
|
Le fruit né sain a plusieurs peaux ensemble, |
|
Et en un corps solide est accompli, |
|
Qui en dur'té de sorte a pris son pli, |
|
Que tu dirais cette chose être alors |
|
Certaine peau endurcie en un corps. |
|
Et ce qui est oeuvre fort souverain |
|
Ces Conches là, demandent l'air serein, |
|
Et en prenant rougeur très pure & franche, |
|
Par le soleil perdent leur couleur blanche, |
|
Si toutefois au profond de la Mer |
|
Ces Conches sont, il convient présumer |
|
Que leur blancheur leur demeure, & se garde, |
|
Car le soleil de les toucher n'a garde, |
|
Et néanmoins jaunes elles deviennent |
|
Par la vieillesse, & ridées se tiennent, |
|
Et la vigueur qu'en elle demandons, |
|
Fors en jeunesse, avoir ne prétendons, |
|
Car le long temps leur nuit & fait dommage |
|
Aucune fois la Perle de vieil âge |
|
Enracinée est en la Conche dure |
|
D'où si tu veux l'arracher par grand'cure, |
|
Tu ne le peux faire en aucune sorte |
|
Sinon avec une lime bien forte |
|
G iiij |
|
@
104 Le troisième livre
| Bien qu'en la Mer la Perle molle soit,
|
| Car hors de là dur'té elle reçoit,
|
| Mais si la Conche aperçoit d'aventure
|
| Que de toucher & prendre on la procure,
|
| Incontinent qu'elle se sent touchée,
|
| Elle se couvre, & sa Perle cachée.
|
| Prévoit qu'on veut lui faire violence
|
| Pour sa richesse où gît tant d'excellence:
|
| Dont obviant à ce grand danger là
|
| Cette vigueur, fraude & astuce elle a
|
| Que de celui qui prendre la désire
|
| La main souvent elle tranche & déchire,
|
| Et est ainsi puni & attrapé
|
| Son ennemi, de son espoir trompé.
|
| Et ce qu'a dit des Abeilles Virgile
|
| Envers leur Roi, même façon subtile
|
| Les Conches ont, savoir que la plus grande
|
| D'âge, soit Roi & aux autres commande.
|
| En les menant paître de çà & là
|
| Par un engin, & astuce qu'elle a,
|
| Et si elle est d'aventure surprise
|
| (Car les nageurs pourchassent cette prise,)
|
| Alors il est facile de surprendre
|
| Tout le surplus, & au filet les prendre,
|
| Et d'autant plus que de sûr'té avaient
|
| Avec leur Roi sauve, qu'elle suivaient.
|
| D'autant alors leur vient plus d'inconstance
|
| Le Roi captif où était leur fiance,
|
| Tant en tout cas est la perte certaine
|
| D'être privé de Chef ou Capitaine.
|
| Mais la plus belle & grand' propriété
|
| Que Conches ont, c'est la rotondité
|
@
de la Chrysopée. 105
De leur coquille unie également, |
|
Et la couleur du Ciel pareillement. |
|
A manier sont douces, & luisantes, |
|
Et justement en leur grand corps pesantes; |
|
Mais de ceci soit assez disputé |
|
A telle fin qu'aux gens d'autorité |
|
Je ne soit vu contendre* & contredire, |
|
Même à ceux desquels on peut bien dire |
|
Qu'ils ont acquis louange en cet endroit |
|
Et un renom hautain, dont à bon droit |
|
En aucun temps ne mourra la mémoire, |
|
Mais fleurira de verdoyante gloire: |
|
Ou ne veux être à discord* incité |
|
Par une vaine & grand' cupidité. |
|
Dont maintenant, quand faire le pourra |
|
Cette liqueur proprement cueilleras, |
|
Pour l'appliquer à ces tant grands usages |
|
Mentionnés, aux précédents passages. |
|
Car si la Perle ayant pâle couleur |
|
De cette humeur de grand prix & valeur, |
|
Est arrosée, elle resplendira |
|
Et (qui plus est) se renouvellera. |
|
Si composer tu veux les autres choses |
|
Qui ne sont pas de grand labeur encloses, |
|
Suivant les dits de ceux qui ont ceci |
|
Mis par écrit, & éprouvé aussi; |
|
Je te pourrais beaucoup de cas narrer |
|
De mains ouvriers venus çà & là errer, |
|
Qui épluchant ces choses répétées |
|
N'ont pas trouvé les choses appétées. |
|
Mais ayant pu cas merveilleux prouver, |
|
Ce néanmoins ils n'ont pas su trouver, |
|
@
106 Le troisième livre
| Ces choses-là auparavant connues,
|
| Et à présent à nos yeux parvenues,
|
| Comme font ceux qui ont premièrement
|
| Fait que le verre ingénieusement
|
| Soit fait semblable aux pierres précieuses.
|
| Ou ceux desquels les mains ingénieuses
|
| Ont su premier conjoindre ensemblement
|
| L'Alun, le Nitre, & Sel semblablement
|
| Avec l'Eau, & qui l'ordre & manière
|
| Ont enseigné par façon singulière
|
| Comme on peut l'Or des métaux séparer.
|
| Ou ceux aussi qui ont su préparer
|
| Tant de couleurs: savoir, couleur vermeille,
|
| Verte, ou couleur aux cieux toute pareille,
|
| Lors qu'on les voit être resplendissants,
|
| Et entre-peints de feux apparaissant:
|
| Ou la couleur à telle bien semblable
|
| Que Galatée au Printemps délectable
|
| Joyeusement épand en l'eau salée,
|
| Lors que des vents s'en est la force allée.
|
| Et si tu veux par quelque art excellent
|
| Etudier, & être vigilant
|
| De faire au vif cette couleur exquise,
|
| Qui par Nature aux rochers est acquise,
|
| Et qui est bleue, & qu'on doit estimer
|
| Etre semblable à celle de la mer:
|
| Cette couleur ne peut être mieux faite
|
| D'aucun engin, ni par art contrefaite,
|
| Que la couleur qui provient, & se fait
|
| De l'Or exquis, sur tous métaux parfait,
|
| Tant ce métal (comme par un chef-d'oeuvre)
|
| De son bon gré cette couleur découvre,
|
@
de la Chrysopée. 107
Couleur d'azur, couleur bleue, excellente, |
|
Quand l'or fleurit, & ses vapeurs évente |
|
Sur le sommet d'un pot mis & pendu, |
|
Auquel y a du vinaigre épandu, |
|
Et ce pot-là, où pend l'or tant prisé, |
|
Est plein de marbre en poudre tout brisé |
|
Premièrement: puis comme l'art permet, |
|
En un fumier pourri ce pot on met, |
|
Ou bien dedans humeur continuelle. |
|
De ces couleurs qu'ores je te révèle, |
|
D'autres aussi longues à réciter, |
|
On voit les bons peintres s'exerciter* |
|
A peindre au vif effigies notables, |
|
Et ce qu'on voit près ou loin dans leurs tables: |
|
Comme on a vu que les peintres antiques |
|
Ont peint jadis choses fort authentiques, |
|
Même de bien & de vivement peindre |
|
Peintres nouveaux ont pu l'honneur atteindre, |
|
Lesquels d'engin & art non endormi |
|
A imités Jules mon cher ami, |
|
Peignant au vif de diverses figures |
|
Ce qu'à nos yeux a exposé Nature. |
|
Ou s'il veut peindre un mont sublime & haut, |
|
Et la vallée au-dessous, sans défaut |
|
Te semblera par sa vive peinture, |
|
Qu'en ce mont-là y a mainte ouverture, |
|
Et qu'il se fend intérieurement. |
|
Si ton voeu est de voir semblablement |
|
En petit lieu champs beaux & spacieux, |
|
Et prés herbus, fleuris, & gracieux. |
|
Si par la terre en un même soulas* |
|
Veux voir courir mers, rivières & lacs, |
|
@
108 Le troisième livre
| Et contempler fontaines sans ordure,
|
| Où l'herbe étant une gaie verdure,
|
| Où le troupeau des Nymphes se retire,
|
| Pour s'assembler avec maint Dieu Satyre;
|
| Et où aussi les Sylvains s'éjouissent,*
|
| Et de leur Air accoutumé jouissent,
|
| En s'ébattant à maints jeux apparents,
|
| Mais toutefois divers & différents.
|
| Mon Jules peint maint autre exquis ouvrage,
|
| Dont le surplus des arts reçoit l'usage,
|
| Comme en mêlant aux métaux quelque chose
|
| De main experte, & qui point ne repose:
|
| Comme jadis Myron faire savait
|
| Que l'Airain tôt voix respirante avait.
|
| Ou comme on voit que Crispus aujourd'hui
|
| A bien cet art & excellence en lui
|
| De vivement donner forme à l'Airain,
|
| Et pour le fondre avec art souverain:
|
| Sait composer plusieurs choses ensemble,
|
| Et les mêler comme bon il lui semble,
|
| Bien assuré qu'il fait un feu duisant*,
|
| Et à cela propice & suffisant.
|
| Et de celui être point je ne pense
|
| Aucunement vaine l'expérience,
|
| Qui en ayant contemplé plusieurs choses
|
| Sous art secret occultement encloses,
|
| A inventé naguère ce tourment
|
| Qui est d'Airain, pour misérablement
|
| Epouvanter les courages des hommes:
|
| Et par lequel, en ce temps où nous sommes,
|
| On voit de loin horriblement battus
|
| Murs érigés, & soudain abattus.
|
@
de la Chrysopée. 109
Et cette grand' machine très horrible, |
|
Avec un bruit merveilleux & terrible |
|
Un poids massif en l'air jette grand erre, |
|
Du bruit duquel faute & tremble la terre: |
|
Et les châteaux qui tout à l'entour sont, |
|
Lors que de loin ouï ce bruit ils ont, |
|
En ont horreur, & sont plus tourmentés |
|
Qu'ils ne seraient de foudre épouvantés. |
|
Ni plus ni moins qu'étonnés nous étions, |
|
Lors qu'à Venise un tel bruit écoutions, |
|
Quand le grand Roi par une ardente envie |
|
De guerroyer, était devant Pavie, |
|
Et que par tous les très spacieux champs |
|
Ses gens étaient en port d'armes marchant. |
|
Mais cependant la gent Vénitienne |
|
Se contenait dedans la ville sienne; |
|
Et en faisant aux ennemis horreur, |
|
Les repoussaient avec grand' terreur. |
|
Mais en parlant de ce bel art ici, |
|
Pourquoi tombés sommes-nous en ceci? |
|
Est-ce d'autant qu'à ce Mars nous incite |
|
Avec son grand & cruel exercite,* |
|
Qui aujourd'hui toutes choses met bas |
|
Par durs assauts, alarmes & combats? |
|
Vous résistez, ô Piérides Muses, |
|
A ces efforts & guerres trop confuses: |
|
Car en nul temps ne serez sans ceux-là |
|
Qui contre vous entreprendront cela. |
|
Mais de ce don qu'ores je vous présente, |
|
J'ai bon espoir que votre oeil se contente: |
|
Pour ce que j'ai en cela seulement |
|
Exécuté votre commandement. |
|
@
110 Le troisième livre
| Ce que je fais de propos volontaire,
|
| Pour humblement à vos voeux satisfaire,
|
| Bien que ceci plus de labeur requiert,
|
| Que de louange & de gloire il n'acquiert.
|
| Or maintenant chaleur continuelle
|
| Secrètement se fera, par laquelle
|
| La semence a, & reçoit vivement
|
| Force & vigueur extérieurement.
|
| Et lors sera le temps joyeux sacré
|
Les | De mariage à Hymen consacré,
|
Amours | Et du mari le lit & noces belles,
|
de Vénus | Où l'on verra durables étincelles:
|
| Et ces feux-là d'amour entretenus
|
| Seront nommés les amours de Venus.
|
| Donc quand de l'or la blancheur tu auras
|
| Du verre ôtée, icelle remettras
|
| En un petit vaisseau de verre fait,
|
| Duquel la bouche étouper en effet
|
| De verre chaud il sera nécessaire.
|
| Lors un fourneau t'efforceras de faire
|
| De pierre ou fange, & un feu continu
|
| Sous ce fourneau doit être entretenu.
|
| Là tu mettras la poudre d'excellence,
|
| Qui de l'or roux conserve la semence.
|
| Et cependant qu'au fond du verre est cuite
|
| Par un long temps la semence susdite,
|
| De prime face elle te montrera
|
| Mainte couleur, qui diverse sera.
|
| Et pour autant qu'il est clair & notoire
|
| Que des couleurs nous choisissons la noire,
|
| Et que par art après quarante & quatre
|
| Jours expirés (sans les nuits en rabattre)
|
@
de la Chrysopée. 111
Blanche couleur de la noire provient. |
|
Conclure donc sur ce point il convient, |
|
Que de ces deux couleurs ainsi parfaites, |
|
Les autres ont leur être, & en sont faites: |
|
Et peu à peu connaître les pourras, |
|
Quand ces couleurs apparaître verras |
|
Entre le blanc & noir: car je t'assure |
|
Que tout cela est requis par Nature, |
|
Afin qu'en tout elle puisse tenir |
|
Certain accord, sans se contrevenir. |
|
Et ne pourra tenir l'extrémité |
|
Sans voir chacun espace limité, |
|
Car tu verras couleurs autant diverses, |
|
(Si en cela ton regard tu adresses) |
|
Comme il s'en voit en cet art spacieux, |
|
Qui, le soleil opposite, est aux cieux: |
|
Ou comme au col des Pans souventefois |
|
Par un petit mouvement tu en vois, |
|
Lesquels Junon (pour en honneur les mettre) |
|
Sur tous oiseaux a bien voulu admettre |
|
Dedans son char, & d'Argus les cent yeux |
|
Joindre à leur beau pennage & précieux. |
|
Mais quand cela te sera pour notoire |
|
Que ja la masse aura pris couleur noire, |
|
Estime alors que par bon artifice |
|
As ministré* une chaleur propice, |
|
Dont la femelle ardeur telle conçoit, |
|
Que doucement son mâle elle reçoit |
|
En son giron, qui peu à peu s'enflamme |
|
A elle joint par réciproque flamme, |
|
Et des deux joints par doux embrassement |
|
Un riche fruit provient finalement. |
|
@
112 Le troisième livre
| Puis peu à peu verras par évidence
|
| Que cette masse à dépouiller commence
|
| Sa robe noire, & bien habilement
|
| Elle se vêt d'un pâle habillement.
|
| Lors jour en jour sa pâleur diminue,
|
| Et cependant son cours se continue
|
| Sans point cesser; & diverse couleur
|
| Représentant, revient en sa pâleur
|
| Par la vertu de si grand' alliance,
|
| Et du lien de si ferme accointance:
|
| Dont cette masse à se résoudre vient,
|
| Et bien pourrie en sa force revient.
|
| Donc alors il faut que tu regardes
|
| Qu'un feu bien chaud continuel tu gardes,
|
| En échauffant la vertu génitale
|
| D'autre vertu, par tempérance égale:
|
| Comme l'oiseau couve ententivement*
|
| Ses tièdes oeufs, & amoureusement
|
| A ses petits, qui tôt naîtront, s'efforce
|
| De ministrer* vigueur, puissance & force.
|
| Tu garderas continuellement
|
| Cette matière, & curieusement:
|
| A telle fin qu'après l'an accompli,
|
| Mainte blancheur vienne prendre son pli
|
| En cette masse, & pour au but tâcher,
|
| Durant ce cours faut la masse toucher.
|
| C'est lors le point, c'est lors l'heure qui vient,
|
| Où délier ton cheval il convient,
|
| Et là prend fin ton souci & étude:
|
| Et la grand' Mer, où en sollicitude
|
| As navigué, pourtant patiemment
|
| Le long labeur, avec contentement
|
| De
|
@
de la Chrysopée. 113
De voir le temps, où en réjouissance |
|
Du dû loyer tu as la jouissance, |
|
Et du salaire heureux & très exquis, |
|
Lequel tu as en si grand' peine acquis. |
|
Et pour autant, ensuivant la coutume, |
|
Il est requis que ta main s'accoutume |
|
De prendre un poids certain de vif-argent |
|
Qui soit dondé*: puis en pas diligent |
|
Tu le mettras en pot triangulaire, |
|
Pour un tel cas propice & nécessaire, |
|
Dans lequel pot tous les métaux rendus |
|
Avec chaleur idoine sont fondus. |
|
Et quand ce pot tu auras colloqué, |
|
Et au milieu du feu bien appliqué, |
|
Et qu'en bouillant ja par chaleur immense |
|
Jeter en haut sa fumée il commence: |
|
Incontinent dessus tu jetteras |
|
De cette poudre, & le feu souffleras. |
|
Lors (dont seras émerveillé rendu) |
|
Cela verras en espèce fondu |
|
De clair argent: cette espèce argentine |
|
Par un canal étroit coule & chemine, |
|
Et est soudain en dur'té devenue, |
|
En la façon d'une verge menue. |
|
Et toutefois pour avoir fait cela |
|
Il ne se faut encore arrêter là. |
|
Sus donc, sus donc, il te faut faire encore |
|
Un long chemin, où tu dois marcher ores |
|
Comme vaillant pour le temps advenir, |
|
Au cours heureux du chemin parvenir, |
|
Et ne me soit point imposé à vice, |
|
Si je suis vu entreprendre l'office |
|
H |
|
@
114 Le troisième livre
| De découvrir les secrets de Nature
|
| Trop clairement: ou si par aventure
|
| Je semble trop dire choses futiles
|
| Au genre humain, & par trop inutiles;
|
| Vu que je veux me montrer vigilant
|
| Que chacun soit par or fait opulent,
|
| En espérant ci-après satisfaire
|
| A enseigner comme l'or on peut faire,
|
| Que sous rochers Nature a tant caché:
|
| Afin qu'il fut par les humains cherché,
|
| En endurant labeur incomparable.
|
| Afin aussi que par l'or estimable
|
| On sût le prix & la somme des choses
|
| Que nous voyons par tout le monde encloses;
|
| Et que par l'or on fit plus justement
|
| De toute chose un certain changement,
|
| Et que trafic on fit sans controverse
|
| Par les pays de nation diverse.
|
| Mais si aucun par certain artifice
|
| Produit cet or en lumière & notice,
|
| Et fait qu'il vienne en usage à chacun
|
| Du populaire, & qu'il n'y ait aucun
|
| Qui ne l'estime autant vil à ses yeux
|
| Comme autrefois il était précieux:
|
| Incontinent tous les arts s'oublieraient,
|
| Et en tous lieux non moins s'aboliraient
|
| Que cet art-ci de faire l'or prisé
|
| Aurait été devant autorisé.
|
| Et adviendrait, peut-être, que le père
|
| Divin, voyant régner tel vitupère
|
| Au genre humain, le permettrait aussi
|
| Vivre sans art, sans peine, & sans souci;
|
@
de la Chrysopée. 115
Et souffrirait toute chose endormie |
|
D'oisiveté de vertu ennemie. |
|
Ou bien plutôt voyant ceci régner |
|
Au peuple humain, pour le mieux refréner, |
|
Il permettrait que l'humaine excellence |
|
Changeât d'espèce, & vint en décadence. |
|
Quand à l'auteur qui aurait inventé |
|
Crime si grand, & tel art éventé, |
|
(Après l'avoir battu & agité |
|
De maints danger & dure adversité) |
|
Il l'enverrait par sa foudre aux Enfers, |
|
Où le liant sur un haut roc en fers, |
|
Le punirait de peines éternelles |
|
Pour son erreur, & fautes criminelles. |
|
Car pourquoi plus l'ire auraient mérité |
|
De Jupiter, & sa foudre irritée |
|
Ceus, Japet, & le cruel Typhon, |
|
D'avoir le mont Ossa & Pélion |
|
Mis sur Olympe? ou pourquoi tourmentée |
|
Serait plutôt la chair de Prométhée |
|
Par un vautour, dessus la haute roche |
|
De Caucasus, d'avoir pris par reproche |
|
Furtivement le feu de Jupiter: |
|
Que celui-là le pourrait mériter, |
|
Qui par sottise, & trop lourde imprudence |
|
Mettrait cet art en commune évidence? |
|
Bien mérité il aurait promptement |
|
De recevoir l'un & l'autre tourment. |
|
Claude Empereur aux accidents ja dits |
|
Donna bon ordre, en commandant jadis |
|
Que faible on fit le verre, mol, & tendre: |
|
A telle fin qu'il ne put rien prétendre |
|
H ij |
|
@
116 Le troisième livre
| Sur les métaux en usage exposés,
|
| Auxquels les prix étaient ja imposés.
|
| Longtemps après César par sa prudence
|
| Mit à cela bon ordre & providence,
|
| Quand il usa de ce commandement,
|
| Que les ouvriers de cet art vivement
|
| On mit à mort, & que sans plus attendre
|
| De cet art-là, on mit le livre en cendre;
|
| Lors qu'il allait avec son exercite*
|
| Livrer l'assaut à l'opulente Egypte:
|
| Car il craignait qu'à l'Empire Romain
|
| Péril advint, si tenir en leur main
|
| Egyptiens eussent pu un tel livre,
|
| Qui le moyen de faire l'or délivre,
|
| Et qu'à cela sans cesser vigilants
|
| Ils fussent trop riches & opulents.
|
| Et qui plus est, Phaunus, la géniture
|
| Du roi Picus, & neveu par droiture
|
| De Jupiter, en vain aurait l'honneur
|
| D'avoir été le premier enseigneur*
|
| De fossoyer les cavernes obscures
|
| De l'Italie, & creuses ouvertures,
|
| Et d'y trouver les veines de l'argent:
|
| Et trop en vain le premier diligent
|
| Aurait été, de faire dessous terre
|
| Abîmes creux, pour l'or blond y acquerre,
|
| Si par quelque art ces métaux de grands prix
|
| Etaient communs, & venaient à mépris.
|
| Mais quant à moi, je ne fais pas ainsi:
|
| Car pour chacun je n'écris pas ceci,
|
| Mais en chassant le rude & sot vulgaire,
|
| J'ai proposé de mon secret lui taire,
|
@
de la Chrysopée. 117
Et repousser un chacun ignorant; |
|
Afin qu'en doute & crainte demeurant, |
|
Il ne prétende avoir de ce notice, |
|
Dont aux prudents j'ai ouvert l'artifice, |
|
Voire à bien peu, même ce qu'écrivons, |
|
Sous cet espoir écrit nous ne l'avons, |
|
Pour nous montrer en cet art d'excellence |
|
Parfaits ouvriers, & maîtres d'apparence: |
|
Mais tout ainsi que jadis autre chose |
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En nos écrits sont mises & encloses, |
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Comme cherchant les secrets de Nature, |
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Désir avons de mettre en écriture |
|
Certains propos, qui à peine aux prudents |
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Par grand labeur pourront être évidents, |
|
Combien qu'ils soient appelés, par nos signes |
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A cet art-ci, duquel ils sont bien dignes, |
|
Et mêmement quand ce désir les point,* |
|
Qu'en cet art-ci, je ne décrive point |
|
Aucuns secrets, qu'il n'est pas nécessaire |
|
De révéler, mais vice téméraire, |
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Sinon qu'ils soient d'une ambiguïté |
|
Enveloppés, & pleins d'obscurité. |
|
Et mêmement ces miens écrits & vers |
|
Sont (mais bien peu) de mensonges couverts; |
|
Et ne crois pas que ce que je récite, |
|
En vérité totalement consiste, |
|
Lors que je tâche à conduire en usage |
|
Cet art secret sous ambigu langage, |
|
En déclarant selon règles & droits, |
|
Lois & statuts de cet art fort étroits, |
|
Par quel moyen & subtile manière |
|
Expérience on doit mettre en lumière. |
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H iij |
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118 Le troisième livre
| Outre cela, alors que je m'efforce
|
| De découvrir de Nature la force,
|
| Et que je fais de cet art l'ouverture,
|
| Qui est ministre, & le serf de Nature,
|
| Et que je montre où gît premièrement
|
| Cet art, & quel il est secondement:
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| Tu trouveras çà & là toute chose
|
| De plus en plus de vérité enclose,
|
| Ou mieux pourras comprendre & expliquer
|
| Ce que tu dois en usage appliquer,
|
| Voyant les lieux auxquels je m'accommode
|
| De t'enseigner la manière commode
|
| De cet art-ci, qui est évidemment
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| Mis à tes yeux par mon enseignement.
|
| Et n'a été tant mon vouloir de mettre,
|
| Et rédiger tous ces propos en maître,
|
| Que me sentant de fureur agité,
|
| J'ai eu faveur d'une divinité,
|
| De qui j'étais porté en grand' vertu
|
| Par un chemin encore non battu,
|
| Sur le sommet des montagnes diffuses,
|
| Séjour plaisant aux Piérides Muses,
|
| En visitant les montagnes sacrées,
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| Et sources d'eaux à elles consacrées,
|
| T'espérant le laurier sur la tête,
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| Qui des savants est le loyer honnête:
|
| Loyer certain, honorable & exquis,
|
| Par moi aimé dès longtemps, & requis.
|
| Car ce soulas*, ce plaisir & étude
|
| Chasse des coeurs toute sollicitude:
|
| Cet amour-là & délectation
|
| Met mon coeur loin de molestation:*
|
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de la Chrysopée. 119
Ce don heureux, cette grâce accomplie, |
|
Et volupté de tout soulas* remplie, |
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Tient ma pensée, & viens mon coeur saisir |
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Totalement d'un désiré plaisir; |
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Plaisir entier, accompli de douceurs, |
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Qui m'est donné des Castalides soeurs. |
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Donc faisant ores digression |
|
De ces propos, par admonition |
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Savoir vous fait que l'ouvrier bon & sage |
|
Ne doit du feu reculer son ouvrage |
|
Déjà dressé, afin que d'aventure |
|
Diminué ne soit le feu qui dure |
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En sa vertu, & ne soit aperçue |
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Se relâcher la chaleur ja conçue. |
|
Mais il convient faire tout au contraire, |
|
Et d'augmenter le feu est nécessaire, |
|
Et toutefois en telle sorte & cure, |
|
Qu'en le touchant la main d'ouvrier l'endure, |
|
A telle fin que la chaleur trop vive |
|
Aucune fois ne soit, & excessive, |
|
Qui la vertu pourrait suppéditer,* |
|
Qui peut, & viens soi-même s'exciter. |
|
Mais il faudra qu'avec équité telle |
|
Dure ce feu en force assiduelle,* |
|
Tant que pourra Nature le souffrir, |
|
Prête à le suivre, & à cela s'offrir. |
|
Et pour autant tu dois lors prendre garde |
|
De persister que rien ne te retarde, |
|
Quand tu auras cessé de plus attendre |
|
Cette blancheur, où tu voulais prétendre, |
|
Et que tu l'as acquise pleinement, |
|
Après l'avoir requise longuement. |
|
H iiij |
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@
120 Le troisième livre
| Mais Patience en fidèle compagne
|
| Mène avec toi, & toujours l'accompagne,
|
| Pour ne gâter ton ouvrage en tout point,
|
| Et le temps long ne te retarde point:
|
| Car d'acquérir & avoir ne prétends
|
| Chose si grande en bref & petit temps,
|
| Que si tu peux finalement acquerre,
|
| Ne pense pas qu'il y ait sur la terre
|
| Trésor plus grand qui reste à acquérir,
|
| Ni que plus doux tu doives requérir.
|
| Donc après que par ce conseil notre
|
| Le feu aura procédé assez outre,
|
| N'espère pas de voir subitement
|
| Une couleur à tes yeux seulement:
|
| Mais attendant que la rouge excellente
|
| Finalement à tes yeux se présente,
|
| Une blancheur de roux mixtionnée
|
| Apparaîtra tout le long de l'année.
|
| Et cependant qu'elle continuera,
|
| Diversement elle se changera,
|
| Jusques à temps que la rouge couleur
|
| Se montrera en sa claire lueur,
|
| Et fleurira, étant toute semblable
|
| A violette en rougeur délectable;
|
| Et semblera vivement être ceinte
|
| De la couleur du vermeil Hyacinthe.
|
| Et toutefois nécessaire il n'est pas
|
| De là contraindre, & arrêter tes pas:
|
| Mais tout soudain marche outre, & suis la voie
|
| Qui te conduit, & point ne te fourvoie
|
| De croire alors tu te dois bien garder,
|
| Ni par autrui le te persuader,
|
@
de la Chrysopée. 121
Que de changer le feu tu te tourmentes |
|
Si d'aventure un peu tu ne l'augmentes, |
|
Mais tellement que sans nuire à ta chair, |
|
Quand tu voudras tu le puisses toucher. |
|
Et ceci soit ton moyen & ta Règle |
|
Où il convient que ton esprit se règle |
|
Incessamment, car par tel soin & cure |
|
Tant seulement tu ensuivras Nature |
|
Et s'il advient que d'erreur assailli |
|
Tu as omis quelque chose, ou failli, |
|
Tu peux user lors de correction, |
|
Ou derechef de composition, |
|
Si par avant les choses épluchées |
|
Sont sagement par toi, & bien cherchées. |
|
Mais si du tout cesse ton exercice |
|
Et que du feu la vertu s'appetisse* |
|
(Qui entretient continuellement |
|
Le fruit pour vrai, & lui donne aliment) |
|
Tu ne fais rien, car dès que cessera |
|
Le feu requis, l'oeuvre gâté sera |
|
Lequel par art aucun, tant soit il rare |
|
N'espère pas que ton travail répare, |
|
Mais si tu veux la faute réparer |
|
Tu te verras trop en vain labourer. |
|
Mais si tu viens par contraire science |
|
Croître le feu avec impatience, |
|
Et que tu sois de l'attente fâché, |
|
Certes cela que tu aurais cherché |
|
Par un long temps laborieusement |
|
Sera perdu en un petit moment. |
|
Par quoi ayant magnanime courage |
|
Pour te montrer ententif* à l'ouvrage |
|
@
122 Le troisième livre
| Le coton tors à trois fils tu mettras
|
| Dedans la lampe, & puis le lèveras
|
| Avec secours d'un poinçon ou aiguille
|
| Quand il sera enfoncé dedans l'huile,
|
| Ou prendre en main tu ne te fâcheras
|
| Petits ciseaux, dont tu le moucheras.
|
| Contemple aussi le temps que l'Air se change,
|
| Et qu'à sa force & vertu il se range.
|
| Si un milieu de l'Eté il acquiert
|
| Chaleur, ainsi que la saison requiert,
|
| Malgré ton voeu la chaleur véhémente
|
| De l'Air, sera que lors ton feu s'augmente,
|
| Mais si le temps advient que l'Air endure
|
| Les vents de Bise, & soit plein de froidure,
|
| Contre ton voeu aussi apparaîtra
|
| Que de ton feu la chaleur décroîtra,
|
| Et si tu vois que le temps froid survient
|
| Obvier dois à ce, car il convient
|
| Que bien subit tout cela soit ôté
|
| Que par avant y avais ajouté,
|
| Ou vivement du fourneau diminue
|
| Les grands côtés en forme plus menue,
|
| Ou (au contraire) adonc la muraille
|
| Sera fendue, incontinent travaille
|
| De l'étouper de gras limon, en sorte
|
| Que froid n'y entre, & sa chaleur n'en sorte.
|
| Et ne te soit honte de condescendre
|
| De prendre un crible & sasser de la cendre,
|
| Laquelle après tu dois bien regarder
|
| De sagement mettre, & accommoder.
|
| Au tour du pot bouillant quand apparaître
|
| Tu vois le fruit, qui commence à se croître.
|
@
de la Chrysopée. 123
En commençant plus d'épaisseur avoir, |
|
Et la couleur de pourpre recevoir. |
|
Jusques à temps que vienne heureusement |
|
L'Eté troisième, & qu'accomplissement |
|
De ce temps-là, pour loyer & mérite, |
|
A tes travaux la fin mette & limite, |
|
Car aussitôt que la rouge couleur |
|
Se montre pleine en sa force & valeur, |
|
Il ne faut plus faire arrêt ou demeure |
|
Que dans le pot on ne prenne sur l'heure |
|
La poudre heureuse, & quand prise l'auras |
|
Pour maint usage icelle garderas, |
|
Ou si tu veux muer par vertu d'elle |
|
Tous les métaux en espèce d'Or belle, |
|
Ou si tu veux que Mortels affligés |
|
Soient secourus & par toi soulagés |
|
En leur ôtant fâcheuses maladies |
|
Dont sont souvent leurs têtes étourdies. |
|
Il n'est pourtant licite, ni requis |
|
Compter les ans par nombres si exquis |
|
Que rien n'y soit diminué, ou bien |
|
Qu'il soit besoin de n'y ajouter rien: |
|
Car quelquefois la matière éprouvée, |
|
Ou plus habile & commode trouvée |
|
Hâte son cours: & moins apte & plus tarde |
|
Aucune fois son cours elle retarde |
|
Ou si du feu la force est trop petite, |
|
Ou excessive, & hors de vrai limite, |
|
Ou que le temps, & lieu ne puissent être |
|
En qualité semblable, & en un être, |
|
De là sauras la forme & la raison |
|
Pourquoi en longue, ou en brève saison |
|
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124 Le troisième livre
| Ce fruit tant noble, & exquis est produit,
|
| Car nous voyons que des femmes le fruit
|
| N'est point parfait, produit au mois septième,
|
| Mais aussi vrai que celui de l'onzième.
|
| Bien que cela l'on attribue aux Dieux,
|
| Et au discours des planètes des Cieux,
|
| Maints en y a toutefois, qui après
|
| Tiennent ce fruit & poudre pour exprès
|
| Dans le fourneau, au jour & nuit la flamme
|
| Incessamment de plus en plus s'enflamme
|
| Sept mois durant, jusqu'à-ce (comme ils tiennent)
|
| Que poudre & fruit en épaisseur deviennent.
|
| A quoi pourtant ne voudra consentir
|
| L'homme prudent, qui de l'art doit sentir.
|
| Vu que Nature en ses faits raisonnables
|
| Jamais ne fait chose à cela semblable.
|
| Si toutefois Nature a pris un pli,
|
| Il est gardé par elle, & accompli
|
| A tout jamais, & par elle est chassé
|
| Ce qui répugne à son fait commencé.
|
| A telle fin que ces choses pourtant
|
| Fassent leur cours, pour te rendre content,
|
| Ta fantaisie à ce soit adonnée
|
| D'observer bien tous les temps de l'année,
|
| Et si mon dire & conseil tu entends
|
| Il est besoin commencer au Printemps
|
| Auquel on voit que toute la machine
|
| Du monde rond d'engendrer est encline,
|
| Et auquel temps Nature apte & commode
|
| A toute chose engendrer s'accommode,
|
| A la teneur secrète de laquelle
|
| En cheminant toujours sous ma tutelle
|
@
de la Chrysopée. 125
Soigneusement tu te dois aviser |
|
De toute chose au Printemps composer |
|
Par mon conseil, qui t'a toujours été |
|
Bon, & qui t'a toujours admonesté, |
|
A telle fin que par ta forfaiture |
|
Ayant laissé le chemin de Nature |
|
En autre lieu ne puisse devenir |
|
Pour n'avoir su le droit chemin tenir. |
|
Sur le Printemps venu donc commande |
|
Que pots de verre on fasse à ta commande. |
|
Ce même temps soit la boue ordonnée |
|
A bien bâtir fournaise & cheminée, |
|
Où ne peut en rien nuire l'Hiver |
|
Qui est passé, & l'Eté te grever, |
|
Qu'il ne te soit permis que tu n'enflammes |
|
A ton plaisir ton fourneau de grands flammes. |
|
Par aventure ici tu veux savoir |
|
Le nombre, & poids des choses, & avoir |
|
Le jugement de bien les disposer |
|
Premier que fin à cet oeuvre imposer, |
|
Mais si tu sais compter parfaitement |
|
Tu trouveras triple commencement, |
|
En après deux, puis un seul, si ta vue |
|
De jugement raisonnable est pourvue, |
|
Et tous ces trois commencements compris |
|
Seront en l'Or d'inestimable pris. |
|
Et (qui plus est) toutes ces choses-ci |
|
Tu comprendras dessous un nombre aussi, |
|
Car nullement différentes ne semblent |
|
Ces choses-là alors qu'elles s'assemblent, |
|
Mais en leur poids alternativement |
|
L'une avec l'autre use de changement. |
|
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126 Le troisième livre
| Et tout cela dont ores as notice
|
| Tu traiteras de si grand artifice,
|
| Et en cela seras si diligent
|
| Que ceux qui l'Or sépare de l'Argent
|
| Ne soient enclins à un tel appétit
|
| De rien soustraire à nombre si petit,
|
| Ni d'éplucher, & voir par le menu
|
| Ce qui en peu de chose est contenu.
|
| Auxquels convient des instruments user
|
| Qui sont nommés Temples, sans s'abuser,
|
| Pour ce qu'étant de verre entrelacés
|
| Ainsi qu'un temple ils semblent compassés,
|
| Et ont un pied de grandeur, & mesure
|
| A telle fin que l'esprit ne s'assure
|
| De pénétrer par aucune vertu
|
| Ces pots construits comme t'ai ramentu.*
|
| Et faut que là par manières subtiles
|
| Deux plats toujours soient droits & immobiles,
|
| Et pour autant ils prennent sans arrêt
|
| Drachme d'Argent en la Masse, où l'Or est,
|
| Puis cette drachme ils coupent d'un couteau,
|
| Et la moitié d'icelle est mise en l'eau
|
| Qui tout soudain se fond parmi les ondes,
|
| En délaissant toutes les pièces mondes*
|
| D'Or verdoyant, & du poids qu'elles ont
|
| Au fonds de l'eau toutes noires s'en vont,
|
| Où de les prendre ils font lors leur devoir
|
| Et en un plat petit les recevoir.
|
| Et nonobstant leur grand' légèreté
|
| Leur poids par eux est su & arrêté,
|
| Et cependant que sous cette partie
|
| La main du Maître en ce bien avertie
|
@
de la Chrysopée. 127
L'Or ja trouvé compte subtilement |
|
Il trouve après ingénieusement |
|
Combien en tout de l'Or, que bien il somme, |
|
Lui peut monter la valeur & la somme. |
|
Et néanmoins combien que tu reçoives |
|
Nombres petits, & de poids user doives |
|
Tu as assez d'une once seulement |
|
Prise aux trois poids susdits, & sagement |
|
(En ensuivant mon conseil & semonce) |
|
Etudieras de gouverner cette once, |
|
Ou bien si deux tu en prends d'aventure |
|
D'y ajouter jamais rien ne procure |
|
Car derechef t'apprendrai autres choses, |
|
Et si elles sont en ta mémoire closes |
|
Tu connaîtras pourquoi ton appétit |
|
Se doit ainsi contenter de petit: |
|
Ores ici te ferais l'ouverture |
|
Par évidente & non feinte figure |
|
De ce qu'au vrai je dois interpréter, |
|
En m'efforçant de te manifester |
|
Choses qui sont d'obscur'té étoupées, |
|
De long erreur jadis enveloppées |
|
Par les ouvriers, qui confessent après |
|
Qu'ils ont voulu les celer tout exprès |
|
Ni plus ni moins qu'un édit prophétique |
|
Ou mandement de la Sibylle antique. |
|
Donc, ô toi, ouvrier prudent & sage |
|
A ce labeur dernier prend bon courage: |
|
Ce labeur-là est bref, non difficile, |
|
Mais d'homme riche usage très utile, |
|
Et par ainsi prend soin premièrement |
|
De fondre un peu de ce médicament |
|
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128 Le troisième livre
| Avec de l'Or, & ton oeil connaîtra
|
| Que de la poudre heureuse apparaîtra
|
| Incontinent la grand' valeur & force.
|
| Ou derechef quand ton esprit s'efforce
|
| Par le secours d'invention subtile
|
| Cueillir de l'Or sa semence fertile
|
| (Dont clairement nous avons su parler,
|
| Et n'est besoin ici tout révéler)
|
| Tu mêleras d'icelle poudre immense
|
| Un juste poids avec cette semence,
|
| Et les mettras ainsi sous un feu lent
|
| Bien tempéré, & non pas violent,
|
| Où par le temps de deux mois il me semble
|
| Que tu les dois toutes deux cuire ensemble.
|
| Par lequel temps de deux mois & espace
|
| Apparaîtront les couleurs à ta face
|
| En ordre tel, qu'en ébahissement
|
| Par les trois ans tu les vis clairement.
|
| Et lors prends tôt ces choses de grand prix
|
| Ou en travail que longtemps tu as pris,
|
| Et parvenu par le moyen & grâce
|
| De l'art, auteur de ta fortune grasse,
|
| Souvienne toi que cela toutefois
|
| Il te convient faire souventefois
|
| Et tant de fois que cela aura fait
|
| Autant de fois cette poudre en effet
|
| S'augmente & prend une vertu nouvelle,
|
| Et sa vertu première renouvelle
|
| Croissant toujours, & n'est (comme je crois)
|
| Chose trop vaine à y ajouter foi
|
| Tant cette poudre en force véhémente
|
| Aucune fois si amplement s'augmente,
|
| (Comme
|
@
de la Chrysopée. 129
(Comme Anciens ont voulu protester) |
|
Que si en Mer tu viens un peu jeter |
|
De cette poudre acquise par art gent, |
|
Et que la Mer fut lors tout vif Argent, |
|
Par cette poudre & petite partie |
|
La Mer serait tout en Or convertie, |
|
Et qu'on pourrait adonc voir Neptune |
|
Sur tous les Dieux avoir riche fortune, |
|
Et dessus l'Or qui étendu serait |
|
De Néréis la troupe se jouerait, |
|
Et sécherait à ses plaisirs & voeux |
|
L'Or pur mêlé aux bleus & pers cheveux, |
|
Cette couleur bleue de grand valeur |
|
Convient à l'Or sur tout autre couleur, |
|
Où la couleur de l'Or à ce conforme |
|
A qui l'Or roux pleinement se conforme. |
|
D'un coeur banni, d'envie que j'avais, |
|
Ces choses-là ainsi je décrivais |
|
De l'art traitant l'usage & la manière |
|
De faire l'Or, quand émotion fière |
|
De toutes parts dessous sa fureur lie |
|
Le grand troupeau du peuple d'Italie, |
|
En tourmentant les hommes pacifiques |
|
De long repos, par alarmes belliques,* |
|
Par plaie & sang, par maux innumérables,* |
|
Occision* des hommes misérables, |
|
Le peuple étant mêlé avec les Princes |
|
Qui en leur main ont Terres & Provinces, |
|
Par qui assauts mortels étaient donnés |
|
Aux pauvres gens, faibles & étonnés |
|
Qui recevaient tourment plus redoutable |
|
Que la mort n'est grave & épouvantable. |
|
I |
|
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130 Le troisième livre
| En ce temps-là que discorde mortelle
|
| Des ennemis régnaient, moi Jean Aurelle
|
| Dessus la Mer Adriatique était
|
| Où les plus grands de la ville hantais,
|
| Où de vaquer aux Muses & étude
|
| Je m'efforçais par grand' sollicitude,
|
| Accommodant mon style poétique
|
| Aux instruments des cordes de Musique,
|
| Où t'ai aussi bien voulu labourer,
|
| A graves dits de brocard colorer,
|
| Puis t'ai osé faire oeuvres fantastiques
|
| Qui composés sont de vers iambiques.
|
| Et maintenant ainsi que réveillé
|
| D'un creux sommeil, me suis appareillé
|
| De déclarer quelle porte aperçue
|
| Est le moyen de la présente issue,
|
| Entre les deux portes où sont les songes,
|
| Dont je n'ai pas écrit toutes mensonges,
|
| Laissant la porte à corne, & illusoire,
|
| Pour mieux sortir de la porte d'Ivoire.
|
|
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| F I N.
|
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