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Réfer. : 0202 .
Auteur : Avgvrel, Iean Avrelle.
Titre : Les trois Livres de la Chrysopée.
S/titre : c'est à dire de l'Art de faire de l'Or.

Editeur : Charles Hvlpeau. Paris.
Date éd. : 1626 .
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1
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E P I T R E DE J E A N A U R E L L E Augurel, au Pape Léon X.
pict 'Invention, L'art, manière & usage
De faire l'Or, par moi d'ardent courage Longtemps cherché, j'ai su finalement, Et rédigé en vers nouvellement,
Eclaircissant d'intelligence entière
(Comme j'ai pu) si obscure matière,
Avec l'honneur, & louanges diffuses
Qui à cet art se donne par mes Muses
Ce que jamais aucun n'a entrepris
Des Anciens, en grand nombre compris:
Or ayant mis la fin à ce mien oeuvre
Qui l'art au vif, de faire l'Or découvre,
Bien longuement je fus en pensement*
Au nom de qui je pourrais dignement
Approprier, & dédier ces choses
Qui de plaisir lui sembleraient encloses,
Afin que l'art & livre de l'auteur
Fut publié sous un bon protecteur:
Et quand j'avais une telle pensée
Droit à mes yeux soudain s'est avancée
Ta dignité, & ton nom précieux
Qui comme étant descendu des hauts Cieux
A
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2 E P I T R E
Pour secourir d'allégeance certaine
A tant d'ennuis de cette vie humaine
Fais reposer dessous le cruel Mars,
Quand il te plaît, voulgues* & braquemarts,
En éteignant les torches allumées
De tant d'erreurs & de crimes armées,
Et en donnant au peuple débonnaire
Repos d'esprit, plaisir, & salutaire,
De paix aussi un repos honoré
Parmi le cours de cet âge doré:
Voilà pourquoi (si comparer il faut
Chose petite à celle qui mieux vaut)
De faire l'Or l'invention présente
A tes saints pieds humblement se présente,
A cette fin qu'étant près de ta face,
Non néanmoins d'honneur toujours elle te fasse
Que le troupeau de la Chrétienne foi,
Et que ton nom elle adore pour moi:
Te suppliant si n'a totalement,
De maint affaire étroit empêchement,
Tant de faveur, & grâce lui permettre
Qu'elle se puisse en évidence mettre,
Et comme ôtant le voile de sa vue,
D'une rougeur virginale pourvue,
De noble sang, belle, aussi blonde qu'Or
Représenter elle te puisse encore
La grand valeur de sa beauté cachée,
Comme une vierge encore non touchée,
Car au lecteur si elle n'apparaît
De premier front, néanmoins telle elle est,
Que peu à peu en ses secrets ouverte
A l'oeil sera sa grâce découverte,

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E P I T R E 3
Et le lecteur merveilles y lira
Dont toutefois son oeil s'éjouira*,
Si cependant (Révérend père & saint),
Des dons de Dieu par la foi vive ceint)
Tu vois ici que les faux Dieux j'invoque
Des anciens dont, le Chrétien se moque,
Je te supplie ne t'en offenser point,
Mais, m'excusant, entendre sur ce point
Que j'ai suivi en mes vers poétiques
Les propres dits des Poètes antiques:
Cette matière est sujette en cela,
Et à bon droit, cette coutume elle a
De requérir de la Lune & Soleil,
L'aide & secours, & par un cas pareil
Du Dieu Vulcain les armes & puissance,
Mots inventés en cet art pour plaisance,
Dont je devais implorer leur secours
Te suppliant qu'en ce même discours
Cela me soit permis par ta clémence,
Comme à celui qui connaît son offense:
Une autrefois, ô noble & très saint père
Oeuvre plus saint te dédier j'espère,
Ou chanterai le céleste Sauveur
(Si j'ai du Ciel tant de grâce & faveur)
Que les Chrétiens par louable manière
Appellent seul en leur humble prière:
Ou (s'il te plaît) Moïse exalterai,
Et en beaux vers ses hauts faits chanterai,
Ou bien celui qui par nos pères vieux,
A été vu jadis parmi les Cieux
Dessus un char flamboyant, dont ces pères
Fort ébahis de tant divins mystères
A ij
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4 E P I T R E
Par le pur Air virent les Cieux ouverts
Et la lueur des Astres découverts,
Ou j'écrirai de peine non amère
Celui qui ja* au ventre de la mère
Prophète était, & qui divinement
Montra du doigt l'agneau certainement
Venu du Ciel, pour notre délivrance,
Et qui étant encore en enfance
Le plus souvent les déserts habitait.
Et qui d'un feu divin qui l'incitait,
Baptisa Cil au grand fleuve Jourdain
Qui de son sang notre sexe mondain
Tant nettoya, qu'il laissa sans ordure
Sa bien-aimée & simple créature:
Au nom duquel céleste Rédempteur
(Qui de ses dons t'a été donateur)
Tu es élu d'affluence céleste
Seul directeur de ce monde moleste
Pour refréner sous la Papale main
Les fols désirs de tant de peuple humain,
Bien ressemblant de tes vertus sublimes
Aux précédents Léons très magnanimes,
D'honneur Papal divinement ornés,
Et des faveurs du Ciel environnés,
Que l'Italie, & autre région,
Qui du vrai Christ suit la Religion
N'a point trouvés sinon très favorables,
Et en fortunes adverses secourables,
D'écrire ainsi quand j'aurai le pouvoir
O père saint, par très humble devoir
J'accomplirai ta volonté très sainte
Pour t'obéir d'humilité non feinte,

@

E P I T R E 5
Non ignorant qu'en ce temps où nous sommes
En tout te sont redevables les hommes.
Or ce pendant prend ici la notice
Comment on peut par humain artifice
Tant faire l'Or, que muer les métaux,
Puis vois le but que ma Muse met aux
Secrets de l'art, montrant par grande droiture
Que faire on peut l'art égal à Nature.
Puis tu verras quelle fin imposer
Convient à l'art, & ordre disposer
A ses labeurs, & docte diligence,
Finalement où tend l'expérience:
Ce qui assez évident te sera
Lors que ton oeil prudent s'amusera
A voir le tout par ordre, & comme ensemble
Distinctement l'un à l'autre s'assemble:
Dont j'ai espoir que ce petit présent
Que je te fais de mon labeur présent
Ne te sera pour ce moins acceptable,
Mais jugeras l'art grand, & délectable.

Fin de l'Epître de Jean Aurelle Augurel.

A iij
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7
pict

L E P R E M I E R LIVRE DE LA CHRYSOPEE*, ou de l'Art de faire l'or par Jean Aurelle Augurel.
pict Esir m'a pris d'enseigner, & apprendre,
A ceux qui ont vouloir de le comprendre,
Que la vertu en imitant les choses
Qui en l'effet de nature sont closes,
Peut faire l'Or, & quelle invention
Sert, pour la mettre à exécution,
Mettant le pied, de curieuse envie,
Où les majeurs ne mirent en leur vie:
O Dieux, à qui déplaisante n'est pas
Expérience, ici dressés mes pas,
Toi le Soleil sur tous premièrement
Sois invoqué à mon commencement,
Vu que pour toi l'Or semé tient en serre
En plusieurs lieux & conduits de la Terre,
Qui va cachant sous son grand corps les veines,
Qui de ce beau Métal sont toutes pleines,
A iiij
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8 Le premier livre
Métal sur tous les autres précieux
Aussi luisant que les Astres des Cieux:
Et avec toi par faveur opportune
A mon secours vienne ta soeur la Lune,
Qui nourrissante & utile en son cours,
Plus vivement que toi fait son discours,
Et pour laquelle aussi la Terre s'ouvre
Pleine d'Argent, & ses bras lui découvre
Qui de couleur du blanc ciel décorés
Aux regardants sont beaux & désirés.
Et toi aussi je t'invoque, Mercure
En si haut oeuvre où gît mon soin & cure,
Car sans cesser d'une source & pure eau,
En ta faveur distille un clair ruisseau
Que nous voyons l'Argent vif te produire
Très suffisant de souder & conduire,
Le fondement de cet art de grand pris:
Finalement ô Vulcain soit compris
En mon souhait, donnant faveur propice
A ton Poète, & à son artifice,
Auquel il veut mettre en avant les faits
Qui en cet art sont très grands & parfaits:
Tu est celui qui les flammes gouvernes,
Prenant plaisir aux ardentes Cavernes
Où sont soufflets, Fournaises, & Enclumes,
Et par plaisir à ce tu t'accoutumes,
Fort, invincible, en voyant à ton aise
Billons d'Airain passés par la fournaise,
Billons aussi d'Electre & Or, recuits
Dans les fourneaux ardents par toi conduits.
Sans toi cet Art subtil ne peut bien prendre
Son fondement, ni rien bien entreprendre.
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de la Chrysopée. 9
Amène aussi ô puissant Vulcanus
Le Saint secours de ta femme Vénus,
Car j'ai en moi parfaite connaissance
Que d'engendrer elle a toute puissance,
Elle fera que je ne me fourvoie
Du vrai effet de Nature, & sa voie,
Me montrera de combien de matières
L'on rend par art les choses bien entières,
Me montrera par ses enseignements
De chaque point les vrais commencements,
M'enseignera comme il faut procéder
En la matière, & un point n'excéder,
A cette fin que par telle assurance
L'humide, & chaud reçoivent tempérance,
Et par vertu de tempérance telle
Chacune chose à jamais renouvelle,
En engendrant son semblable à jamais.
Et toi Vulcain, te levant désormais
D'avec Venus ta femme bien aimée,
Par une même invention nommée
Imiteras ce feu propre & duisant*,
De sa chaleur les choses produisant.
Par toi en l'air les métaux on voit prendre
Dedans un pot, & soudain mis en cendre
Au fond du pot, puis par toi réchauffés,
Liquides sont, de matières étoffés,
Toi donc Vulcain, seul père nourrissant
Me donneras du feu resplendissant
Aucune fois la chaleur véhémente,
Aucune fois plus tempérée & lente:
D'oeuvre si grand soit le Prince & Auteur,
Et de mes vers le premier directeur,
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10 Le premier livre
Rends mon esprit ardent, & que ma bouche
Aucun propos fors savoureux ne touche,
Et que par toi mes dits couchés en vers
Soient épandus par le monde univers:
Cette entreprise aussi soit inspirée
Par ta faveur, Princesse Cythérée,
Qui es l'honneur, & los* des siècles vieux,
Autour de toi les Nymphes aux beaux yeux
De Mincius, fleuve tant honorable,
Jouent en rangs plaisant & délectable,
Et en tout lieu de Phoebus la mesgnie*,
Te suit, &, sert de belle compagnie,
Où doucement Manto Nymphe très digne
En son giron te tient sous l'herbe Andine.
Te comprenant avec telles douceurs
Comme sa nièce au rang de ses trois soeurs:
Ainsi croîtra de degré, en degré
Heureusement l'entreprise à mon gré,
Et désormais d'une abondance haute,
En mes écrits je n'aurai point de faute,
En dépeignant de leur propre couleur
Choses, qui sont de si grande valeur.
En premier lieu ceci soit écouté;
Tout corps étant sous le grand Ciel voûté
(Soit le corps simple en sa vertu entière,
Ou composé de diverse matière)
Toute Tant longuement qu'il peut s'évertuer,
chose en- Il tend à croître & à perpétuer
gendre & Son successeur, par conservation
multiplie De son espèce, & génération:
son sem- Car quand le feu, quelque chose vient prendre,
blable. Ne cessera de çà & là s'épandre
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de la Chrysopée. 11
Jusques à tant qu'il soit victorieux,
Ayant le feu le tout mis à nos yeux,
L'eau rend humide aussi ce qu'elle atteint,
Et si son cours n'est par grand force éteint
Ce qu'elle touche enfin sera par elle
Réduit en eau, par vertu naturelle:
La Terre ainsi, & l'Air semblablement
Sont intentifs* de curieusement
Muer, & joindre à eux toutes les choses
Qui sont par temps sous leur pouvoir encloses,
Mais de tous corps à vie disposés,
Et de plusieurs matières composés,
Les uns voyons de leur propre substance
Produire fruit en naïve semence,
Comme le blé, ou le germe amoureux,
Du vin croissant fertile, & plantureux:
Les autres corps engendrent leurs semblables
Comme animaux qui sont irraisonnables,
Le belliqueux cheval qui saute & rue,
Le boeuf duisant* au fait de la charrue,
Et l'homme aussi raisonnable, entendu,
Et noblement des hauts Cieux descendu,
Entre ces corps de nature diverse
Il y en a d'autre sorte & espèce
Qui sans semence ont leur commencement,
Et qu'avoir vie on nie évidemment,
C'est à savoir les Métaux, qui enserre
Sont au milieu de cette ronde Terre,
Pareillement les pierres reluisantes,
De grand valeur, propices & duisantes*:
Ces choses-là n'ont réputation
D'avoir l'effet de procréation,
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12 Le premier livre
Mais en tous temps ont les pense stériles,
Et à créer leur semblable inutiles:
Mais un chacun croira finalement
Que ces métaux vivent secrètement,
Et que de vie ils ont la force & lieu
Divinement, comme d'un don de Dieu,
En contemplant leur naissance & leur être,
Et le pouvoir de s'augmenter & croître:
Comme on pourra, de plus clair jugement,
Voir ci-après par maint enseignement.
Et ce qui fait que ces métaux valables
Ne semblent pas engendrer leurs semblables,
Encore moins être si vertueux
De convertir autre chose en eux,
C'est que l'esprit, qui donne vie entière,
Est empêché de trop lourde matière,
Et n'a pouvoir de montrer la vertu
Dont richement Nature l'a vêtu,
Si l'industrie humaine, & vertu vive
Ne lui fait voie, à telle fin qu'il vive,
Et si l'ouvrier à l'extraire ne tâche
De la matière épaisse qui le cache.
Voire l'ont dit que l'Air, Terre, les Cieux,
Et de la Mer le grand tour spacieux
Sont excités intérieurement
D'une âme vive, & généralement
Que par cette âme a vie toute chose
Que nous voyons dessous le Ciel enclose:
Et (qui plus est) que par une âme telle
Le Monde vit, & sa vigueur tient d'elle.
Puis que c'est donc chose bien assurée
Que toute âme est au Monde incorporée,
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de la Chrysopée. 13
Et que le monde en semblables accords,
Du monde aussi les parties ont corps,
Croire convient qu'au milieu de ces deux
Gît un esprit puissant, & vigoureux
Qui ne se doit ni corps ni âme dire:
Mais qui des deux participe, & réduire
Seul peut en un ces deux extrémités,
Par ses effets en tout bien limités,
Cet esprit-là désire tous les jours
Que Terre, Mer, l'Air; & le Feu toujours
Vivent, & soient enclins incessamment
De s'augmenter, & prendre accroissement,
Que toute chose ils tirent & remuent
Joignent à eux, & à leur gré transmuent:
Il veut aussi que tous les arbrisseaux,
Racines, Plants, produisent fruits nouveaux,
Et qu'en semence ample, & continuelle
Des animaux l'espèce renouvelle.
Semblablement cet esprit cher tenu
Dedans l'Or blond, comme serf détenu,
Requiert la main de l'ouvrier bien polie,
Qui des liens, où il est le délié,
A telle fin qu'il le rende puissant
Et du pouvoir naturel jouissant,
Et si aucun par art subtil s'avance
De délier, & mettre à délivrance
Cet esprit-là, le sachant échauffer,
Et par long temps recuire & réchauffer,
Il connaîtra (chose fort admirable)
Qu'à l'Or viendra la vie désirable
Avec l'effet de semence, & encore
Que de l'Or même il pourra faire l'Or.
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14 Le premier livre
Donc si voyez cette chose certaine,
Ores ne soit votre espérance vaine,
O bons Ouvriers, mais attentivement
Persévérez, & croyez fermement
A mes propos, ayant bonne assurance
Que vous mettrez fin à votre espérance.
Ja par ces dits il appert clairement
Que par nature on ne voit seulement
Sous les conduits des montagnes l'Or naître
Mais par l'engin d'un bon Ouvrier, & maître.
Et par quel art & moyen il se fait
Par ci-après j'en montrerai le fait,
Or cependant enfin qu'en produisant
La vérité de cet art tant duisant*,
Rien ne me soit nuisant, pour ne suffire
Qu'ajouter foi vous puissiez à mon dire,
Ores je veux dissoudre & réfuter
Tout ce qu'on peut à l'encontre objecter,
Et si après plus forte expérience
Assez mettra mon dire en évidence,
Semblablement l'opinion de ceux
Qui en cet art n'ont été paresseux
En récitant les choses merveilleuses
A quoi touché ont leurs mains bienheureuses,
Et ce qu'ils ont contemplé de leurs yeux
Pour le savoir, & le connaître mieux.
Je dirai donc d'ordre ce que peut dire
Les obje- Celui qui trouve en cet art à redire,
ctions con- Premièrement que toute nation
tre l'art Doit recevoir grand admiration
de faire Si l'art pouvait en un moment parfaire
l'Or. Ce que Nature a commencé de faire
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de la Chrysopée. 15
Par un long temps: & si l'art d'aventure
Pouvait le cours surmonter de Nature
Lequel elle a gardé si longuement
Dessous la terre, & si soigneusement
Ordre suivi du bas centre, & infime,
Jusqu'au conduit apparent & sublime,
Outre plus grand merveille ce serait
Quand de savoir aucun s'efforcerait
De tous métaux la première racine,
Et les raisons de leur propre origine,
Et si tâchant par art subtil & cure,
A faire l'Or d'une même mesure
Poids, & valeur il rendait les métaux
Comme on les voit par nature être égaux.
Que dira-t-on aussi du lieu exquis
Où sont naissants ces métaux tant requis?
Qui est celui qui tant d'esprit s'égare
Que la chaleur de fournaise il compare
A la chaleur qui sous Terre est menée
Qui tout ainsi que d'une cheminée
Sort des conduits de Terre, & fait son tour
Ores dessus, ores tout à l'entour,
Puis tôt par elle au centre descendue
En son entier toute chose est rendue.
Qui est celui qui pourrait entreprendre
De tant de dons de Nature comprendre
Qui tout produit, qui maternellement
De toute chose est le nourrissement?
Onc telle force eurent hommes mortels?
Non pas Géants, qui les Dieux immortels
Jadis voulaient chasser des lieux célestes
Par grands efforts, violents & molestes.
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16 Le premier livre
Qui ayant pu la racine arracher
De maint puissant & sublime rocher
N'oseraient pas commettre ce massacre
De pénétrer le fonds de Terre sacre,
Ni de chercher des secrets l'ouverture
Que veut celer notre mère Nature,
Et ne permet par ces raisons conformes
Que corps mués soient en diverses formes,
Car un lourd boeuf à ce ne peut venir
Que cheval prompt il puisse devenir.
De Parnassus, mont odoriférant
Le vert laurier aux chênes différent
Garde n'aura son espèce finie
D'être un dur chêne au bois de Chaonie.
Autre raison ne peut donc satisfaire
A ce que l'Or d'Airain on puisse faire
Ni que tout corps soit si fort & puissant
Pour voir de lui son semblable naissant.
Voilà les points & arguments sans force
Réponse Desquels en vain l'on travaille & s'efforce
aux obje- D'atténuer ce bel art précieux
ctions pré- Qui est transmis des hauts Astres des Cieux.
cédentes. Mais toutefois il n'est ja de besoin
De se vexer par un extrême soin
A s'enquérir des premiers mouvements
De toute chose, & de commencements,
Bien que ce soit moyen d'éjouissance*
D'en recevoir parfaite connaissance.
Aussi peu sert cette inquisition
Savoir de quel ordre & proportion
En certain poids, & nombre sont reçues
Choses, qui sont sous le Ciel aperçues:
Car
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de la Chrysopée. 17
Car si ta main d'aventure commence
A gouverner le blé, & sa semence
Enquérir lors point il ne te convient
Que c'est du blé de quelle chose il vient,
Ni de quel poids & mesure conforme
Son origine à ce blé se conforme:
Mais sèmera le blé diligemment
En terre grasse, & puis notoirement
Verras du blé la grand vertu latente
Qui vit, & est de soi-même mouvante,
Et à Nature (en cela t'assurant)
Tu laisseras songer le demeurant.
Et n'est requis de temps un long espace
A cet art-ci, qui de naïve grâce
De faire l'Or, de l'Or est coutumier,
Et ne le fait du principe premier.
Que direz-vous, si en cet exercice
Parfaits ouvriers font par leur artifice
Et par leur main docte & laborieuse
Chose, qui est plus que l'Or précieuse
Et cette chose excellente & plus belle
Que le pur Or, Elixir on appelle,
Et les experts Arabes de renom
Lui ont jadis imposé un tel nom,
Pour ce que c'est un apparent indice
De vérité, & qui d'effet propice
Chacun Métal en un meilleur réduit,
Le purifie, & plus beau le produit:
Et par ainsi il n'est point nécessaire
(Pour réfuter l'argument adversaire)
D'avoir égal à la chaleur qui gît
Dessous la Terre, & ses veines régit,
B
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18 Le premier livre
Et qui long temps échauffe la semence
De tous métaux au fonds de Terre immense,
Mais nous devons tous généralement
Entre Nature & l'art également
Prendre un chemin, & suivant ce milieu
Finalement parviendrons à ce lieu,
Auquel ensemble Art & nature tendent,
Et où nos voeux de faire l'Or, prétendent.
Et toutefois penser tu ne dois point
Que des métaux cet Art mue en tout point
L'espèce & forme, alors que de l'Argent
Et de l'Airain verra faire l'Or gent,
Mais pensera que l'Or qui n'a commune
Forme d'Airain, ni de l'Argent aucune
Est fait d'Airain, & de l'Argent, j'açoit
Que leur espèce, espèce d'Or ne soit,
Ainsi qu'on voit croître en un champ fertile
Souvent l'ivraie, ou l'avoine stérile:
De la fiente Ou comme au ventre & aux côtes rompues
de boeuf, D'un boeuf, font bruit mouches à miel repues:
naître Ou comme on voit bien souvent que les filles
mou- A nourrir vers expertes & subtiles
ches à Ont plusieurs oeufs par un soin studieux
miel. Mis en leur sein tendre & délicieux,
Puis de ces oeufs, vers en grand quantité
Les vers Naître, & avoir prompte vivacité,
qui font Qui en après sustentés du feuillage
la soie, De vert Laurier, choisi pour leur usage,
engendrent Envelopper s'en vont quelque saison
papillons. A une fine & subtile toison;
Et à la fin qu'ils ont ja pieds & ailes,
Marchants, volants, ont figures nouvelles,
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de la Chrysopée. 19
Et papillons deviennent promptement
Qui petits vers étaient premièrement.
Que direz-vous si mon dire je forme,
Que tous métaux n'ont qu'une espèce & forme?
Et néanmoins le vulgaire ignorant
Croit tout métal d'espèce différent,
Desquels métaux celui qui plus d'ordure
Aura en lui, issu de Terre impure
Incontinent par subtil artifice
Dépouillera sa terrestre immondice,
Et par cet art ainsi mondifié*
Resplendira comme Or purifié:
Et pour ce est-il utile que tous sachent
Terre & lieux, où les métaux se cachent,
La cause aussi de la création
De ces métaux, dont il est mention,
Et de combien d'espèces différentes
Sont les métaux en formes apparentes.
Pourquoi aussi, dès leur commencement
Tous séparés ils sont distinctement.
Mais qui pourra tant de puissance acquerre*
D'aller aux creux abîmes de la Terre,
Où si l'on peut descendre jusqu'au fond
Qui reviendra des abîmes profonds?
Ou qui pourra au vrai compter les choses
Qu'il aura vu sous ces secrets encloses?
Vous Muses donc, qui en ce droit avez,
Et qui au vrai toutes choses savez,
Et vous aussi ô Nymphes & Déesses,
Révélez-moi par subtiles adresses
Ce qu'à aucun de mes prédécesseurs
Vous n'avez dit, pour les en rendre sûrs,
B ij
@

20 Le premier livre
Si que premier en ce loyal office
De vaisseaux d'Or je fasse sacrifice
A vos saints noms, par ma voix adorés,
Et qu'à jamais vivent mes vers dorés.
Lynceus fut (comme on va racontant)
De clair regard tout autre surmontant
Car du sommet du haut mont de Sicile
Ce lui était fort commun & facile
De regarder jusqu'au port de Carthage,
Et de nombrer les nefs en ce rivage.
Ce Lynceus oeil si aigu avait
Que pénétrer les rochers il pouvait,
De la plus grand' montagne par lui vue
Jusques au fond il étendait sa vue,
Voyant la terre en sa concavité,
Et les secrets de sa profondité,*
En contemplant ces cavernes profondes
Ni plus ni moins que voyons par les ondes,
Par le pur air, par le cristal aussi
Ou clairement par ces choses ici
De toute chose à nos yeux présentée
La figure est soudain représentée.
Souventefois sur la sommité belle
Du mont Pachin, sa terre naturelle,
Il s'est assis, ayant bien ce pouvoir
Que clairement Trinacre il pouvait voir
Tant par les lieux apparents & sublimes,
Que jusqu'au fond des plus cachés abîmes
Même du mont où il était assis
Il contemplait de son regard rassis
Le mont Etna, que feu ardent enflamme,
Et connaissait la raison de la flamme.
@

de la Chrysopée. 21
Ce Lynceus ayant ce jugement
Qu'il pouvait voir de loin si vivement,
Mis à son oeil ces lieux en évidence,
Délibéra par haute providence
D'aller plus loin, laissant ces lieux connus
Pour son regard mettre en lieux inconnus,
Et contempler chose de plus grands prix
En lieux qu'il n'a de fréquenter appris,
En ce désir qui l'incite, & attire
Soudainement il monte en un Navire
Et d'invoquer les Dieux Marins s'avance,
Pour mettre à fin son voeu & espérance:
Mais si tôt n'eut ce clair voyant Lyncée
Au départir Sicile délaissée
Qu'une tourmente horrible s'éleva,
Et Ciel & Mer troubler, tant elle va
Que lui qui droit, au port de Grèce aspire
Fut repoussé à la ville d'Epire:
Et ce qui fit les ondes s'émouvoir,
Et à Lyncée un tel orage avoir,
C'est Arethuse, & les Nymphes marines
Qui s'efforçaient de leurs forces divines
Depuis le fonds flots sur flots assembler
Pour en son cours toute la Mer troubler,
Car de frayeur elles furent pourvues
(Non toutefois sans cause) d'être vues
Par Lynceus jusque dedans leurs lits
En l'eau marine illustres & polis,
Donc tout le Ciel en grand labeur & cure
Par elles fut couvert de nue obscure,
Et aux Nochers semblait ja voir la nuit
Tant l'obscur'té de Ciel & Mer leur nuit.
B iij
@

22 Le premier livre
Lynceus lors incontinent laissa
Ce lieu d'Epire, & d'aller s'avança
Jusques au faix de Pindus mont sublime
Pour contempler chose haute, & infime.
Et de sa vue aiguë, fine & caute*
Il vit Hemmus montagne grand' & haute,
Puis Rhodopé, & sans que l'oeil s'égare
Il pénétra le haut mont de Tomare,
Non seulement le dehors, mais le fond
De ses obscurs abîmes & profonds,
Et alentour il vit les cent fontaines
Qui ne sont pas de Tomare lointaines,
Il vit aussi de ses yeux clairs & beaux
Le fond de terre avec ces cent tuyaux,
Et davantage au plus près de sa vue
Saillir alors une rivière est vue
Qui du plus creux de Pindus dégouttait,
Achelous cette rivière était
Qui en son cours au mont Taurus est jointe
D'un des côtés de ses cornes en pointe,
Et s'étendant en bas profondément,
Dedans les creux abîmes promptement
Se va cacher, craignant encore la masse
Du vigoureux Hercules plein d'audace.
Ce Lynceus prit soulas* & plaisir
D'environner Ceraunes à loisir
Sublimes monts, pénétrant de ses yeux
Ces monts ardus, & leurs abîmes creux,
Puis tout soudain par diligente adresse
Il se va seoir sur les hauts monts de Grèce,
Desquels il a pu voir facilement
Centres obscurs intérieurement
@

de la Chrysopée. 23
Et (dont il a mérité grands louanges)
Il vit premier maintes choses étranges,
Et nous les a apprises & laissées,
Que si par nous elles soient annoncées:
Mais quand ainsi d'expliquer je prétends
Choses, que j'ai apprises de longtemps,
Surtout je veux & grandement désire
Qu'entre tous ceux qui viendront ici lire
Y viennent gens par qui premièrement
Ces miens écrits soient lus bien mûrement,
Au coeur desquels la prudente Minerve
Pour son séjour lieu exprès se réserve,
Remémorant d'ingénieux devoir
Choses, qui sont très dignes de savoir.
En premier lieu la place fortunée
A engendrer les métaux ordonnés;
C'est une grand' Masse de terre ronde
En son endroit immobile & profonde,
Bien ressemblant de dur marbre une tasse,
Prise & coupée en la profondeur basse
D'une montagne, & semble à un lieu clos
Voûté, concave, en forme d'arc enclos,
Et cette place ainsi dite et montrée
Et des rayons du Soleil pénétrée,
Et bien souvent par foudres & tonnerre
Les feux du Ciel y descendent grand erre,
Qui de l'effet de leur vivacité
Cuisent la terre en son humidité,
Puis tôt après remplissent pierres, fentes,
Et tous les lieux de vapeurs véhémentes,
Mais peu à peu quand une vapeur telle
A endurée chaleur continuelle
B iiij
@

24 Le premier livre
Elle s'arrête, & plus ne se remue
Par les secrets conduits de terre émue.
Finalement quand elle est nuit & jour
Fort endurcie après un long séjour,
C'est un métal sans forme, dans les veines
De Terre sacre abondantes & pleines.
Cette liqueur de feu entremêlée
En tous les lieux de la Terre coulée
Qui par avant courait fort ointe & grasse
Sort du profond de cette grande Tasse
Où bout le soufre avec le vif argent,
Et de là sort en cours fort diligent,
Cet argent vif, duquel la vie est telle
Que toujours dure & est perpétuelle:
Et de ses deux en augmentation
Toute chose a sa génération,
Le vif argent a vertu de femelle,
L'autre du mâle a vertu naturelle
De l'Argent vif l'office & le devoir
C'est de toujours la chaleur recevoir,
Et la chaleur par l'Argent vif reçue
Du don du Soufre & office est issue.
De ces deux vient l'espèce de l'Or roux
Métal exquis, resplendissant sur tous,
De ces deux-là, l'Argent clair est issant,
Et le fer noir, & l'Airain rougissant,
De là provient la veine du plomb pâle,
Et de l'Etain, ayant couleur égale
Au clair Argent, & à son poids réduit
Si ce n'était qu'il crie & mène bruit.
Donc sur tous les cupides mortels,
Vont chercher l'Or en labeurs immortels
@

de la Chrysopée. 25
Par grand désir, par une extrême envie,
Et grand danger de cette humaine vie.
Car les Indous qui devers* l'Ourse habitent
Vont dérober comme (les uns récitent)
Les monceaux d'Or en évidence mis
Par une grande légion de fourmis,
Qui toutefois ne sont pas paresseuses
D'y résister, mais comme courageuses
D'ongles & bec déchirent rudement
Ceux, qui cet Or ont pris furtivement,
Combien qu'ils soient dessus chameaux montés,
Et sur iceux légèrement portés:
Italiens ne sont en moindres peines
A chercher l'Or sous la terre & ses veines,
Quand une fois de l'Or tant désiré,
D'une montagne ils ont pris & tiré,
Et me taisant des pièces d'Or qu'on trouve
Au sable roux de Tagus riche fleuve,
Je vous dirai labeurs plus étrangers
Et beaucoup plus pernicieux dangers
Où ils sont mis, en quoi leurs entreprises
Moins que les fols Géants ne sont reprises,
Premièrement de grands forces viriles
Ils vont couper les montagnes stériles,
En pénétrant intérieurement
Lieux, ou chemin n'était premièrement,
En pénétrant avec maintes lanternes
Abîmes creux, & obscures cavernes
De nuit & jour sans clarté de Soleil,
L'un après l'autre en travail nom pareil
Dessus le col portent pierres coupées
Parmi ces grands cavernes étoupées
@

26 Le premier livre
Jusque à tant que l'un d'eux le jour voie,
Premier issu de cette obscure voie
Qui se décharge (après qu'il est issu)
Du pesant faix de main en main reçu:
Mais si en voie ils trouvent d'aventure
Pierre à couper trop difficile & dure
(Comme jadis Hannibal rencontra,
Quand contre nous les monts il pénétra)
Par feu adonc cette pierre ils cuiront,
Et avec fort vinaigre amolliront:
Mais ce pendant une noire fumée,
Dans la caverne est par tout enfumée,
Vient étouffer ces pauvres malheureux,
Et sous le faix pesant & dangereux
De leur besogne ainsi mal commencée
En un moment leur mort est avancée,
Quoi prévoyant les autres qui travaillent
A même fait, de coups puissants qu'ils baillent,
Rompant le Roc, avec marteaux ferrés
Font ouverture aux conduits enserrés,
Afin que par les ouvertes fissures
Sortent vapeurs des cavernes obscures,
Et ne mettront fin ni repos quelconques
A leur labeur, qu'ils ne fassent adonc
De plusieurs arcs tout le mont soutenir,
Et ayant pu à ce but parvenir,
Par eux des arcs le soutien est défait
Et le dernier appui qu'ils avaient fait:
Puis quand ils voient que l'heure approche fort
Que doit tomber le mont sublime & fort,
Par la fissure ils font un certain signe
De l'éminence, & prochaine ruine.
@

de la Chrysopée. 27
Celui qui est dessus la sommité
Connaissant lors le signe limité
Frappe un grand coup, & criant hautement
Fait reculer arrière vivement
Maîtres, valets, lui-même prend la fuite,
Incontinent la montagne détruite
Tombe, & fait bruit qui dure longuement,
Si qu'il n'y a humain entendement
Qui sut narrer cette chose aperçue
Ainsi qu'il a en son esprit conçue,
Encore moins le bruit qui aux oreilles
Est déplaisant, & fâcheux à merveilles,
Ni le grand vent, & rude soufflement
Duquel est l'Air rempli soudainement.
Ainsi ces gens en vain laborieux,
Et de leur fol travail victorieux,
Un grand plaisir ont de voir la jacture,*
La grande ruine, & perte de Nature,
De là pourtant encore n'est tiré,
Par leur labeur, l'Or blond tant désiré.
Et n'ont pas eu la connaissance encore
Si en ce lieu était la mine d'Or,
N'en fossoyant sous ces lieux inconnus
Ni paravant qu'ils y fussent venus:
Mais seulement invincible espérance
En leur désir faisant sa demeurance,
Les a menés par tant de périlleux
Travaux, dangers, & gouffres merveilleux.
Mais à quelle fin m'arrêterai-je ainsi
Sur le récit de ces choses ici,
En me taisant de autres précieuses
Qui ne sont moins que ces ci merveilleuses?
@

28 Le premier livre
Par ces gens-là de tel souci lassés,
Autre labeurs après sont embrassés
Pour nettoyer cette montagne haute
Qu'ils ont voulu ruiner par leur faute
En inondant la place ruinée
D'abondante eau d'une source amenée,
Et pour tel fait, d'ardeur qui les semond,*
Du haut sommet d'un très sublime mont
(Combien qu'il soit d'une longue distance,
Et de cent rocs séparé, sans doutance)
Feront venir par conduits & canaux
Jusques au lieu ruiné, si grands eaux,
Qu'en grand roideur* par désertes vallées
On voit de grands rivières dévalées,
Semblablement par rocs inaccessibles,
Par eux coupés, & rendus accessibles
A l'eau courant par canaux, qui s'assemble
De toute parts, & une Mer ressemble,
Qui aussitôt que chemin lui est fait,
Sort, & un bruit très impétueux fait,
Attirant tout avec son Torrent:
Et toutefois enfin elle se rend,
Et est reçue aux fosses çà & là
Qui faites sont exprès par ces gens-là.
L'arbre Un arbre y a âpre, mais estimable,
nommé Nommé Ulex, au romarin semblable
Ulex, at- Qui quand il est épandu en maints lieux,
tire l'Or Retient, & tire à lui l'Or précieux,
à lui. Par quoi ces gens s'en vont de toutes parts
Environner ces grands fleuves épars
De tables grands tout alentour fichées,
Puis quand cette eau par les roches tranchées
@

de la Chrysopée. 29
Passe, & retourne en la Mer sans demeure,
L'Or aux rameaux de cet Ulex demeure.
Ce labeur-là n'est pas des plus petits,
Vu que par tant curieux appétits
Ils sont sujets en diverses manières
De s'exposer aux dangers des rivières,
Et de passer par les cribles encore
Riches sablons, où l'on ne trouve qu'Or.
Mais pourrait-on encore dire chose
De plus grand peine, & vains travaux enclose,
Qu'après avoir fossoyé Puits profonds,
Pris & tiré ce qui était au fonds,
Il est battu, lavé, brûlé aussi,
Mis en farine, en non pareil souci?
Ceux d'Italie à ces labeurs susdits
Se sont un peu exercités* jadis,
C'est à savoir par conduite des ondes,
Et en faisant puits & fosses profondes,
Et en tâchant de creuser & miner
Rochers, pour mieux les hauts monts ruiner,
Et à ce fut cette gens incitée
Alors qu'était la Terre exercitée*
A un tel fait, & que les Anciens
Libres étaient, pour suivre ces moyens,
Et toutefois depuis cette licence
Par une bien équitable défense
L'on a laissé la coutume ancienne
De fossoyer la terre Italienne,
En reprenant le convoiteux* désir
De l'Or, qui vient les coeurs humains saisir,
Car la prudente & sage autorité
De nos majeurs pleins de maturité
@

30 Le premier livre
N'a pas permis qu'on tirât hors de Terre
Aucuns Métaux qui sont cachés en serre,
Et croit pour vrai qu'il n'y a terre au monde
Plus abondante en bien ni plus féconde,
Que l'Italie, & où (tout bien prouvé)
De veines d'Or il serait plus trouvé,
(Vu qu'un long temps est déjà expiré
Qu'on en a point ce blond métal tiré)
S'il n'y avait discorde entre les hommes,
Et si la guerre en ce temps où nous sommes
Ne tourmentait de ses cruelles mains
Incessamment les désirs des humains,
Mais si les Rois (au contraire) & les Princes
Etaient unis de toutes les provinces
Pour d'un accord, sans nullement fléchir,
Par ce bel art, tout le monde enrichir,
Et puis avoir sur toute nation
Force, puissance, & domination,
Il régnerait une saison heurée*
D'oeuvre de Paix à chacun désirée,
Par qui les arts, qui en diverses modes
Aux bons esprits sont aptes & commodes,
Sont en vigueur, & mis en évidence,
Entre lesquels cet art par excellence
Doit être mis, qui nous fait éplucher
Ce roux Métal des autres le plus cher:
Jusques au fond de Terre, & ses fissures,
Abîmes creux, & cavernes obscures,
Car par cet art un beau Métal on tire
Qui sur tout autre à grand valeur aspire,
Dont à bon droit il mérite le nom
Sur tous Métaux, & le premier renom.
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de la Chrysopée. 31
Puis la couleur de ce métal aimable,
Est à chacun plaisante & estimable.
Pour ce qu'au vif elle présente aux yeux
Cette couleur des étoiles des Cieux,
Puis on le plie, & met en toute sorte
Dont sa douceur de tous le bruit emporte,
Et (qui le fait encore plus duisant)*
De tous les poids il est le plus pesant,
Et dont priser il le faut en tout point,
Le feu ardent ne le consume point,
Il ne se peut par aucune souillure
Diminuer, ni par vielle rouillure.
Tant bien il est solide & disposé,
Et fermement produit & composé,
Lors que le soufre à la cause laissée
De sa chaleur, & du tout abaissée
Cette vertu de sa fluidité,
Pareillement son onctuosité
Dont il ne peut jeter dorénavant
Vapeurs ainsi qu'il faisait par avant,
Puis étant cuit par long temps & espace
En délaissant toute immondice & crasse,
Adonc verrez ce beau Métal issant,
Etre à vos yeux clair & resplendissant,
Et par ainsi humidité naïve
Avec chaleur qui n'est point excessive,
Donne à cet Or égale tempérance,
Et la couleur de très claire apparence,
A l'Argent vif des ondes écoulées
Pas moins ne sont les parties mêlées
Parmi les lieux & conduits de la Terre,
Sans qu'il y ait répugnance ni guerre.
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32 Le premier livre
De là provient que la chaleur du Soufre
Et Argent vif, (d'union qui le souffre)
En petit lieu plusieurs petits corps font,
Clairs & luisants, qui poids & couleur ont,
Et le lien qui les conjoints ensemble
Dure longtemps, sans qu'il se désassemble.
Par ces propos & premier fondement,
D'ordre certain connaîtras clairement
De tous Métaux la vraie différence.
En premier lieu mets là ton assurance,
Que si le Soufre est au commencement
Moite, & le vif Argent semblablement
Ce qu'ils pourront engendrer & atteindre,
De leur couleur commenceront à teindre
De plus en plus, ou d'autant que plus cuits
Sont, & brûlés ces métaux, & recuits,
Ou pour autant que la chaleur donnée
Trop grande ou moindre, en mainte longue année
Evidemment la matière cuira.
De la provient que mainte forme y a
Variété, & espèce des choses,
Qui pour autant qu'ensemble sont encloses
Le plus souvent, des Grecs, métaux nommées
Sont à ce nom toujours accoutumées.
Or un chacun Métal est apparent
En son espèce, ou d'autres différent,
Ou ils sont tous par naturelle essence
Nés, & produits d'une même semence,
Et d'une espèce, & génération:
Fors que les uns par admiration
Riches & beaux sont de leur géniture,
Les autres ont des taches de Nature
Qu'ils
@

de la Chrysopée. 33
Qu'ils garderont, sans qu'on doive penser
Que leur ordure ils puissent effacer.
Mais puisque l'un & l'autre avis cité
Plaît aux Auteurs de grand capacité,
Et qu'il n'y a encore jusqu'ici
Juge, qui ait ce scrupule éclairci,
Et que j'açois* qu'il y ait mis grand peine
N'a approché de vérité certaine,
Il faut bien dire & croire que cela
Expressément Nature nous cela,
En se cachant aux entrailles concaves
Des choses fort pondéreuses & graves.
Jusques ici nous avons répondu
A l'argument contraire prétendu
Contre cet art, les raisons réfutées
A si exquis & noble art objectées
Vienne à présent expérience en place
En grave port, avec joyeuse face,
Où l'on ne peut erreur apercevoir,
Et qui n'est point sujette à décevoir.
L'expérience ores manifestée
Jadis (dit-on) vint servir Prométhée
Après les arts que lui non ocieux*
Pour le servir avait tiré des Cieux,
Et par long temps il usa du service
D'expérience, en naïf exercice,
Mais se voyant déjà vieil & chenu
Et sur le point des derniers jours venu
On fait récit qu'à son trépassement
Il la laissa aux sages seulement
Et aux prudents, auxquels sans controverse
Elle obéit, & avec eux converse.
C
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34 Le premier livre
Depuis ce temps expérience a mis
Dans le cerveau des hommes, ses amis,
Une facile & évidente preuve
Par qui certain & véritable on trouve
Qu'on peut par art muer heureusement
Aucuns métaux, & que certainement
Par ce même art le vrai Or on peut faire,
L'Argent aussi d'autres métaux extraire.
Par la Certaine pierre en Syrie il y a
pierre Nommée Or-peint que les Peintres de là
nommée Tirent de Terre, & la peut-on dissoudre
Or-peint Rompre menu, & la réduire en poudre,
se fait Ni plus ni moins que la pierre nommée
l'Or, par Specularis, or cette pierre aimée
les Grecs Qu'on dit Or-peint, est de telle valeur
appelée Qu'en terre elle a de l'Or blond la couleur,
Obryson. Il te convient à cela employer
De purement & bien la nettoyer.
Puis en grand feu fais cette pierre cuire,
En même lieu ce feu se vient réduire,
Après que bien longuement à leur aise
Ses flammes ont vagué par la fournaise.
Caïus César ingénieusement
Fit par ce feu l'Or anciennement.
Et cet Or là par bien bonne raison
Est par les Grecs appelé Obryson,
Ainsi reçu d'appellation telle
Comme étant fait de chose naturelle,
Ou pour autant qu'il est mondifié*
Avec grand feu, & tôt purifié,
Ou pour autant qu'il resplendit & dure
En sa lueur, sans macule & ordure.
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de la Chrysopée. 35
Et lors ce n'est plus Or-peint, mais c'est bien
Or pur & fin, sans qu'il s'en faille rien,
Qui seulement lors que pierre il était
L'ombre & couleur de l'Or représentait.
Mais pour ôter à tous cette pensée
Qu'ores ne soit par mes vers avancée
Chose trop vielle, & que cette leçon
Ne semble point trop antique chanson.
Muses soyez toujours continuelles
De raconter les choses plus nouvelles,
Dans les vaisseaux une croûte apparaît
Où le vin blanc a fait un long arrêt
Schola auquel mon amour est donné
L'honneur & choix de la gent Eugannée
Prend cette croûte au fond d'un vieil tonneau
Et puis la met dedans un net vaisseau
De Terre fait, de boue il couvre & serre
Tous les pertuis de ce vaisseau de Terre,
En un fourneau le met, & sans séjour
Le fait bouillir & cuire nuit & jour,
Bien espérant que cette Masse dure
Représenter puisse mainte figure,
Et quand ce pot selon son jugement
Lui semble cuit au feu suffisamment,
Le tire & prend, & en pièce le brise,
Comme requiert une telle entreprise,
Puis il regarde à la terre menue
Si toute blanche elle est point devenue,
Brisant après de ce vin vieil la croûte
Qu'il voit & sent être ja cuite toute.
Alors voit-on (cas merveilleux & gent)
Un nombre grand de scintilles d'Argent
C ij
@

36 Le premier livre
Clair & luisant, comme au Ciel les étoiles
De couleur d'Or reluisantes & belles.
Mais pourquoi fais-je arrêt & demeurance
Au fait, où gît d'autrui l'expérience?
Ou en cela qu'autrui me fait savoir
Pour seulement le me ramentevoir?*
Pourquoi d'autrui veux-je le chemin suivre;
Ses dits & faits, enseignements ensuivre?
Moi-même ai vu d'un regard diligent
Homme mêlant aux tablettes d'Argent
Grains de sel blanc fort chaud, avec cela
La poudre aussi d'une tuile il mêla,
Semblablement d'Airain écumes vertes,
Le tout mêlé de ses mains très expertes,
En y mettant d'autres poudres aussi
Que l'art défend & la raison ici
De réciter, si que l'art non vulgaire
Ne soit rendu trop vil au populaire,
Et que ne soient les choses révélées
Qui par raison doivent être celées,
Cet homme-là les tablettes petites
Mit lors ensemble, & les poudres susdites
En petit pot, puis il prit ce vaisseau
Et l'alla mettre en un étroit fourneau,
Et l'échauffa d'aussi ardentes flammes
Comme aux Enfers on tourmente les âmes
Des offenseurs, ou du feu dont Etna
Tourmente ceux qu'en sa caverne elle a:
Où sans cesser du Soufre la vigueur
Aux affligés fait modeste rigueur,
Mais quand il vit que les susdites choses
Dans le fourneau étroitement encloses
@

de la Chrysopée. 37
Eurent neuf jours & nuits bien à leur aise
Souffert le feu de l'ardente fournaise,
Il prit ce pot bouillant & rougissant
Par le feu vif, d'où il était issant,
Puis quand d'eau froide eut la masse arrosée
Et d'une lime en plusieurs parts brisée
Il la mettait dedans un secret coing
D'une fiole, & par curieux soin,
Jetait dessus de l'eau, dont la puissance
L'Or de l'Argent séparait par distance,
Puis cet Argent naguère assemblé
Avec l'Or ainsi désassemblé
Incontinent se fondait en verte eau,
Et néanmoins au fond de ce vaisseau
De l'Or pesant dévalaient les parties
D'avec l'Argent naguère départies
Tant en cette eau de puissance se fonde,
Tant de vertu en cette poudre abonde.
Et n'est (peut-être) ailleurs tant éclairci
Un tel accord de ces choses ici
Comme en ce lieu qui joint choses ensemble,
Dont le lien très difficile ensemble,
Si par aucun les poudres séparées
En leur usage à l'oeil sont conférées,
Et néanmoins par accord & art gent
En a été produit l'Or & Argent,
Ce qui s'est fait nonobstant que divorce
A chaque chose ôtât sa propre force,
Et nonobstant que le dur on ait vu
Devenir mol, & de liqueur pourvu,
Puis cette chose en un rien consumée
Comme eau liquide être faite & formée
C iij
@

38 Le premier livre
Mais il ne faut avoir ce pensement*
Qu'espèce d'eau une soit seulement,
Une eau y a qui ait de telles forces
Que si d'icelle arroser tu t'efforces
Tous les métaux qui pris sous terre sont,
Ou que les mains d'hommes endurcis ont,
Subitement (ô merveilleux pouvoir)
Par la vertu de cette eau pourras voir
Les métaux mis en petites parcelles
Et distillés en eaux claires & belles:
Mais entre tous les métaux l'Or persiste
En sa vigueur, & à cette eau résiste
Car il ne peut par elle être brisé,
Diminué, fondu, ni déguisé,
Mais demeurant en sa perfection
Après qu'il a reçu purgation
Par cette eau la très excellente & pure
Il en sort net, purgé de toute ordure.
En cette eau gît autre puissance, voire
Cas merveilleux, s'il le faut ainsi croire:
Car de cette eau si de toucher on tâche
Aucun métal qui soit net, & sans tache
Comme argent vif tremblant il deviendra
Et de métal autre espèce prendra.
Que direz-vous de cette eau qui dégoutte
En distillant d'un vin vieil goutte à goutte?
Prends cette humeur, & pour oeuvre premier
Fais-la bien cuire en un pourri fumier
Jusques à temps qu'avec chaleur lente
Du Ciel luisant la couleur excellente
Elle reçoive, & qu'elle ait pris le nom
Du plus haut corps de céleste renom.
@

de la Chrysopée. 39
Par cette eau-là, on dit que les durs corps
Sont amollis avec certains accords,
Je dis les corps du nom de Phoebus dignes
Et de Diane, excellents & insignes
Que des mortels l'opinion reçoit
En plus grand los* qu'autre chose qui soit,
Comme sachant le prix & valeur grande
Qui ces deux corps à jamais recommande.
Et toutefois combien que vérité
Soit au propos ci-devant récité,
Ne pense en l'Or nature si parfaite
Qu'elle ne soit aucunement sujette,
Voire que l'Or ne se puisse briser
Avec humeur qui le peut maîtriser,
La violence & aigreur de l'eau forte
Ronge cet Or, & brise en telle sorte
Que de petit à petit il advient
Que l'Or fluide, & en liqueur devient.
Mais plus à plein ces choses épluchées
De point en point par ci-devant touchées
Te mèneront par le bien droit sentier
Par qui pourra voir l'effet tout entier
De vérité, & son but limité,
Ou Industrie ôtant obscurité
Te poussera par heureuse conduite,
Toute ignorance en vérité réduite.
Il faut chercher une autre sorte d'eaux
En autres cours de sources & ruisseaux,
Par qui l'Or roux de soi-même prendra
Humidité, & en liqueur viendra,
Et sans secours d'autres liqueurs quelconques
Prendra humeur extérieure adonc.
C iiij
@

40 Le premier livre
Donc en cela montrez-vous vigilants
Gentils ouvriers, divins & excellents,
Cherchez par là d'affection extrême
Le vrai honneur de louange suprême:
Car de cette eau l'effet tant précieux
Divinement est descendu des Cieux.
Par son effet toutes choses consistent
En leur vertu naturelle, & persistent
A engendrer, & faire leur semblable,
Dont la fragile espèce est perdurable,
Ne vois-tu pas comme Nature fait
En toute chose un accord tant parfait?
Et comme elle est très excellente ouvrière
De conserver toujours une manière
De procréer toute chose? & comment
D'une semence elle use seulement
Pour engendrer sur terre toute chose?
Et comme après Nature se repose?
Si de planter la vigne elle a le soin,
D'y semer blé il n'est pas de besoin,
Et s'il lui plaît semer seigle ou froment
Elle n'ira planter imprudemment
Des Oliviers fertiles, que Minerve
A son saint nom consacre & se réserve.
Bref pour le temps en vain ne consumer,
Pour cueillir l'orge, il faut l'orge semer,
Donc afin qu'en peine coutumière
De l'Or la source & semence première
Ne soit par toi cherchée vainement,
Ce point tu dois croire certainement,
Qu'enclose en l'Or de l'Or est la semence,
Combien qu'avec grand' peine & diligence
@

de la Chrysopée. 41
Cette semence en ses secrets cachée
S'acquiert par nous quand elle est bien cherchée,
Il ne convient toutefois présumer
Que l'eau de pluie, ou celle de la Mer,
Ou l'eau semblant à l'eau d'une fontaine
Soit cette eau-là exquise & souveraine
Que tu es tant curieux de trouver
Pour en cet art sa puissance éprouver,
Car par ces eaux (à ceci bien regarde)
De pénétrer les métaux, tu n'as garde,
Encore moins de liquide les rendre
Quand tu viendras ces eaux sur eux épandre,
Vu qu'elles n'ont pouvoir de rendre humide
De fondre, ou rendre aucun métal fluide.
L'eau que j'entends extérieurement
D'une poudre a l'espèce proprement,
Mais quand elle est mise dans la partie
De l'Or brisé, en liqueur convertie
Elle apparaît, & en humidité.
Les Anciens par curiosité
Ont navigué dessus ces ondes belles
Et sans avoir orage, ou vents rebelles
Ont amené leur navire à bon port,
En délaissant sans secours & support
Gens, qui en vain de naviguer tâchaient
Par les rochers, qui leur voie empêchaient.
Une Ile y a qui se dit Baléares
Qui par un don céleste, cher & rare
Nous a produit un homme fort savant
Qui a beaucoup mis de cas en avant,
Et la liqueur susdite bien couverte,
D'art merveilleux de sa main très experte
@

42 Le premier livre
(Comme couleur que tout ce qu'elle prend
Assujettis, & humide le rend)
A suadé* à plusieurs gens de croire
Qu'on doit tenir ce cas pour tout notoire
Que l'humeur claire en blancheur distillante
Du vin, est bien si forte & si puissante,
Que de cet art les principes humides
Elle peut rendre & en liqueurs fluides.
Mais l'homme expert de Baléares issu
N'entend & n'a en son esprit conçu
Ces choses-là, comme de prime face
Il semble avis que récit il en fasse:
Car goutte à goutte alors il ne mêlait
L'humeur du vin, & ne la distillait.
Quand ja dedans Insubre la Cité
Ayant vécu en grand félicité
Trois ans entiers, il fit beaucoup d'or riche,
Dont il ne fut envers ses amis chiche,
Et à chacun d'un vouloir non moleste
Distribua de la poudre céleste,
Dont un petit morceau tant seulement
Pourrait en Or convertir amplement
Tous les métaux s'ils étaient approchés
De cette poudre, & par elle tachés.
De là aussi les Arabes ont pris
Un fondement, & le moyen appris
De dériver une liqueur très pure
D'une fontaine exquise, & sans ordure,
Par les rochers & désertes vallées,
Cachant l'humeur de ces eaux dévalées
Dedans un bois feuillu, & plein d'ombrage
Environné de maint âpre bocage.
@

de la Chrysopée. 43
Et toutefois de ces Arabes la
L'expérience assez nous révéla
D'autres ruisseaux les sources & les veines
D'humeur utile abondantes & pleines.
Et cependant que l'Arabe te tient
Fort intensif, & ton esprit retient
A contempler mainte chose incrédible*
Par un chemin grand & inaccessible
Il ne te fait récit des claires eaux,
Ni des coulants très heureux ruisseaux
Lesquels jadis épuiser il soulait,*
Et de ses mains prendre, quand il voulait
Sans rien mêler à ces eaux exposées,
Et les ayant par longs temps composées
Les faisait cuire avec bon jugement
Dans un petit fourneau légèrement,
Dont bien souvent il a eu soin & cure
De découvrir les secrets de Nature,
Et bien souvent en exercices tels
Grâces à su rendre aux Dieux immortels.
Ainsi plusieurs ont traité cette affaire,
Auxquels pour vrai il était nécessaire
L'expérience en grand labeur tenter
Pour grand cas voir, & expérimenter:
Et posé or que cela poursuivant,
Un chemin fort étroit fussent suivant,
Ils n'ont jamais laissé la droite voie
Par qui jamais l'homme ne se fourvoie,
Et n'ont cessé de suivre cette sente,
Jusques à tant que prospère descente
Les ait menés, par long temps expiré,
A cette fin, & but tant désiré.
@

44 Le premier livre
Le très saint homme Hermès premièrement
A enseigné cet art divinement,
Ne la voulant cacher aux gens insignes,
Que d'un tel don il savait être dignes,
Donnant à ceux très bon enseignement
Qui ja avait ferme commencement,
Mais ceux qui point n'avaient d'expérience
En cet art-ci, ni aucune science,
Il suadait* de ne vaquer & tendre
Au but, auquel ils ne pouvaient prétendre.
Finalement Hermès cet homme sage
Pour allumer, & mouvoir le courage
Des bons ouvriers à l'inquisition
De cet art-ci, où gît perfection,
Pour acquérir une fois en leur âge
Ce qu'il avait acquis par long usage,
Leur enseigna & montra par effet
Qu'un bon ouvrier en cet art & parfait
Doit cheminer content de peu de choses
Qui au secret de Nature sont closes,
En ensuivant Nature pas à pas
Sur Terre ferme en bon & vrai compas,
Cet Hermès-là à bien fait davantage
Comme enseignant par un certain présage
De guérison donner au corps humain,
Administrant de son experte main
Ce très puissant & vrai médicament
Aux langoureux donnant allégement;
Montra aussi comme par longue adresse
On peut garder florissante jeunesse,
Et conserver vieillesse par longs ans
Pleins de soulas*, & de tristesse exempts.
@

de la Chrysopée. 45
L'usage aussi de cette médecine
Est si puissant, noble, saint & insigne,
Qu'il ne permet que la foi soit faussée
Ni tromperie à aucun pourchassée,
Mais qui pourra par la faveur des Dieux
User d'un tel exquis & précieux
Médicament, & qui en pourra faire
Toutes les fois qu'il en aura affaire,
Par ce moyen il tiendra à mépris
Beaucoup de cas en ce monde compris,
Sera constant, d'équité revêtu
A fols désirs résistant par vertu,
Et surmontant des riches l'abondance
Se feindra pauvre avec réjouissance,
Et néanmoins bénin se montrera
Aux indigents, & du bien leur fera
Secrètement & sans faire nuisance
A nul vivant, il aura jouissance
De ses amis, & d'une heureuse vie
De vrai soulas* en tout temps assouvie.

Fin du premier livre de la Chrysopée
de Jean Aurelle Augurel.
@

46
pict
L E S E C O N D L I V R E
DE LA CHRYSOPEE;
c'est à dire l'art de faire l'Or.

pict Xpérience, & raison bien notoire
Jusques ici nous ont contraint de croire
Que ce bel art qui apporte à nos yeux
L'or dessus tous les métaux précieux
Fut inventé jadis certainement
Par la vertu d'humain entendement:
Ores quel est de cet art le pouvoir
Et où il tend, vous veux faire savoir,
En invoquant premier que je commence
Du Dieu Phoebus la déité immense
Pour expliquer, sous sa faveur facile,
Cet art, en dits & en faits difficile:
En ajoutant aux choses dignité,
Et aux propos honneur & gravité.
A mon secours aussi je te souhaite
Des Anciens le plus divin Poète
Qui a en toi divinement infuses
Les grands faveurs d'Apollon & des Muses,
A telle fin que par ta grâce & don
Je sois conduit comme d'un sûr guidon
Par ce secret chemin, & cependant
Que le haut mont Pimple suis regardant,
Sois moi si sûr conducteur de ma voie
Qu'en cheminant point je ne me fourvoie,
Car c'est le lieu excellent & hautain
Où je prétends sous un espoir certain
@

de la Chrysopée. 47
Monter un jour en honneur florissant
Par les degrés de mon renom croissant,
Où je n'ai peur que long âge tant fasse
Que d'icelui la mémoire il efface.
Sur toute chose en cet art excellent
Tu veux chercher d'un labeur vigilant
Certaine pierre exquise & emparée
D'une blancheur aux neiges comparée,
Où de chercher la poudre tu prétends,
En grand labeur brisée de longtemps,
Qui sa blancheur sur la neige éminente
A transmuée en rougeur pertinente.
Quand de la poudre ores mentionnée
La moindre part aura mixtionnée
Avec aucun des métaux quel qu'il soit,
Incontinent (ô merveille) il reçoit
De vrai Argent le poids, l'espèce & forme;
Et si tu veux par un oeuvre conforme
La même poudre à l'argent vif mêler
Il perd sa vie & vertu de trembler:
Car le pouvoir de sa liqueur perdu
Tu le verras immobile rendu.
Et (qui plus est) cette poudre honorée
De la couleur de pourpre décorée,
Plus précieuse & excellente qu'Or
En elle a bien cette vertu encore
De promptement en Masse d'Or réduire
Tout le métal qu'au feu aura fait cuire
Et pour autant estimer il convient
Que chose plus difficile il n'advient.
A un ouvrier de ce bel art ici
Que de connaître en curieux souci
@

48 Le second livre
A quels premiers commencements se prendre.
Il est requis, pour cet oeuvre entreprendre,
Et ce qu'il doit prendre premièrement
Pour travailler continuellement,
Puis tôt après à bonne conjecture
Il se verra ministre de Nature,
Quand de la terre & des fosses d'icelle
Il tirera cette semence belle,
Et en lumière adonc la produira,
Et derechef aux fosses la rendra
} pot enclose,
Puis quand après avoir fait telle chose
Nourrissement humide il donnera
A cette masse, où il imitera
Le laboureur, qui pour profit acquerre
Ayant jadis semé dedans la terre
Arrosera les seuls champs cultivés
Qu'il voit avoir besoin d'être abreuvés,
Et non rien moins tout ouvrier prétendant
A cet art-ci, donnera cependant
Un feu moyen, dont nourrir il s'efforce
L'intérieure & génitale force
Comme souvent chaleur intérieure
Aide & vertu prend par l'extérieure,
Ou comme on voit la main d'une personne
Sur l'estomac, qui lors vigueur lui donne,
Et tout ainsi qu'un chaud médicament
Sur le malade extérieurement
Est appliqué, par qui le corps avoir
Peut allégeance, & force recevoir.
Et n'est besoin que notre Ouvrier s'adresse
D'entremêler mainte espèce diverse,
Mais
@

de la Chrysopée. 49
Mais s'il a bonne & claire connaissance
De ce qui est conjoint, porte nuisance
Il doit pourvoir ingénieusement
Que ce qui nuit soit ôté promptement.
O lourds esprits, ô tardives pensées
D'aucuns ouvriers d'ignorance offensées
Qui en traitant ces choses vainement
Tous abusés êtes communément?
Répondez-moi, Maîtres trop curieux,
Que font les vins mols & délicieux
Mêlés avec Métaux pleins de dur'té?
Les vins ont bien cette propriété
D'êtres recens* aux banquets amiables
Et sont pour boire à l'homme convenables,
Ou tend aussi vôtre inexperte main
D'user du sang tiré d'un corps humain?
A quelle fin votre désir se fonde
D'user des crins d'une perruque blonde?
Que servent oeufs, & les herbes aussi
Sur les hauts monts prises en grand souci?
Ont-elles rien commun à l'Or caché
Dessous les Monts, d'où il est arraché?
Et toutefois aucuns sont exercés
De raisins prendre, après qu'ils sont pressés
En un pressoir, mettent ces raisins-là
Au fond d'un pot ou fiole, qui a
Un bec pointu par son extrémité:
Par eux est mis ce vaisseau récité
Sur les charbons quand de chaleur ardente
La fournaise a couleur très évidente,
Ou bien par eux sera mis ce vaisseau
Dans un chaudron duquel bouillante est l'eau:
D
@

50 Le second livre
Adonc verras une vapeur subtile
Qui va dedans ce vaisseau & distille,
Et pénétrant la plus haute partie
De ce vaisseau, en eau est convertie
Qui a pour eux ce nom très évident
De l'eau de vie, ou bien de l'eau ardent,
Et cette eau-là, eau de vie appelée,
Est goutte à goutte en long cours distillée
Par un petit tuyau & instrument
Qui pour ce est fait de verre proprement.
Donc après que cette liqueur belle
Par plusieurs fois en ce pot ou chapelle
A distillé, & que ja temps il semble
De la réduire, & amasser ensemble,
Elle est utile & digne de garder
Pour à beaucoup de cas l'accommoder.
Mais cette eau la soit principalement
Faite avec feu moyen, & lentement,
Ou cuite soit avec chaleur propice
Dans un fumier par subtil artifice,
Et par le temps à ce propre & duisant:*
On fait un pot de verre reluisant,
Ayant long col, dont deux bras creux dépendent
Qui jusqu'au fond de ce vaisseau descendent,
Quand la liqueur en ce lieu détenue
Jusqu'au sommet du vaisseau est venue,
Par ces deux bras concaves & profonds,
Incontinent elle descend au fond
De ce vaisseau, entre & retourne encore
Au fond de l'eau, où elle a laissé ores
L'eau qui bouillait, & jusqu'au plus haut chef
De ce vaisseau retourne derechef.
@

de la Chrysopée. 51
Et cette humeur légère entre autre chose,
Et qui jamais en un lieu ne repose,
Va & retourne en grand mobilité
Par un chemin tant de fois répété,
Qu'en distillant en soi incessamment
Par le chemin qu'il prit premièrement,
Vient peu à peu en une épaisse Masse
Qui la blancheur de la Neige outrepasse,
Finalement cette Masse produite
De lames d'Or est composée & cuite
Non pas avec chaleur trop véhémente
Mais avec feu de chaleur longue & lente.
Mais comme ceux, qui de cela se mêlent,
Ces choses-là, mettent & entremêlent,
Il n'est besoin de ce notice avoir;
Et toutefois je vous fais à savoir
Qu'en tous ces faits, & travaux récités
Ils se sont tous en vain exercités:
Car quand ils vont par envie apparente
Choses mêler d'espèce différente,
Ils font que par son premier mouvement
L'une fera à l'autre empêchement,
Dont ils ne font onc chose qui puisse être
Une, & durer en son naturel être.
Or il te faut pour le commencement
De cet art-ci, croire certainement
Qu'à ce labeur toutes choses requises
Soient seulement dessous une comprises,
A telle fin qu'il ne te soit besoin
De les chercher dehors ni plus loin,
Et cette chose est principalement
L'humeur, qui s'offre assiduellement,*
D ij
@

52 Le second livre
Et se contient là-dedans jusqu'à ce
Qu'apparent soit & produit à ta face
Ce que tu quiers*, & que tant à ton gré
Tu as désir de ja voir engendré.
Estime aussi mes dits être évidents,
Que deux vertus il y a là-dedans,
Dont la première est la vertu active,
Et la seconde et la vertu passive,
A telle fin qu'en force mutuelle,
Le mâle engendre avec la femelle,
Ni plus ni moins que par l'émotion
De cette active & passive action,
Le poulet prend en l'oeuf nourrissement,
Et reçoit vie extérieurement,
Par le secours de chaleur amiable,
Et n'est exemple à ce plus convenable
Que celui-ci, ou par mon jugement
Tu dois viser plus attentivement,
Auquel aussi toutes choses réduire,
Il t'est besoin pour ton oeuvre conduire.
Mais il y a d'autres gens qui extraire
Vont le pur sang, & maintes parts en faire,
Auquel tôt le nom ils donneront,
Et Eléments icelles nommeront,
Comme si voir ces simples Eléments
Permis était à leurs entendements,
Ou si leurs mains avaient cette puissance
De les toucher sans aucune doutance,
Ou si par eux séparés pouvaient être
Ces Eléments en leur naturel être,
Ou être enclos en quelque lieu par eux:
Mais (au contraire) ils sont tant vigoureux
@

de la Chrysopée. 53
Que tout vaisseau pénètre vivement
Et fût-il fait d'épais & dur Aimant,
Car un corps simple en aucune partie
Du monde grand, par force assujettie,
Etre ne peut, mais naturellement
En son lieu propre il gît paisiblement.
Ainsi souvent ces gens mal entendus
Quatre Eléments font de cheveux tondus,
Mais non ainsi Nature forte & rare,
Ces choses-là en aucun temps sépare,
Mais bien plutôt expédient lui semble
De les confondre & mêler tout ensemble
Du chaud & froid faisant mutation,
D'humide & sec par semblable action,
Ainsi Nature avec un effet prompt
La chose ferme & solide corrompt:
Et toutefois ne la divise point,
Lui réservant néanmoins sur ce point
Cette vertu, & génitale force
Par qui après elle tâche & s'efforce
D'un corps qui est corrompu, faire un corps
En l'engendrant par merveilleux accords;
Car toute chose avant qu'elle conçoive,
Faut que premier corruption reçoive.
Que peut servir ce grand labeur & soin
D'avoir cherché le jus d'une herbe loin
Pour arrêter le vif argent ainsi?
Celui qui a ce curieux souci
Peut endurcir assez le vif argent.
Mais il ne peut être tant diligent
De l'arrêter, ni ferme & stable rendre
Par aucun art, où il puisse prétendre,
D iij
@

54 Le second livre
Encore moins en jouir aisément
Pour le mener & frapper doucement.
Mais il n'est pas seulement nécessaire
De requérir chose qui puisse faire
Ce vif argent, dur, solide, & traitable,
Mais de chercher ce qui sera capable
De lui ôter la forme entièrement
Que par nature elle eut premièrement,
Et lui donner une forme nouvelle,
Puis de Métal l'espèce pure & belle.
A quelle fin mettrai-je en évidence
Le soufre net par longue providence,
Le sel, le Nitre, & croûtes de vin vieux
Qui cuites sont par soin laborieux?
Ou comme au pot l'ancre bouillir ils font
Qui goutte à goutte après distille & fond?
Après ils vont le tout souvent dissoudre,
Et bien souvent le réduire & résoudre,
Après cela ils le lavent & brisent,
Encore un coup, & le moyen avisent
S'efforceront de le réduire en chaux:
De l'endurcir, & par mêmes travaux:
Et quand il est de ses vapeurs privé,
Lors au plus haut est par eux élevé
L'esprit du corps sec & réduit en cendre,
Adonc verras (pour leur folie entendre)
Plusieurs fourneaux là mis, & apposés,
Et de beaucoup de sortes composés,
Autant de pots de verre trouveras,
Lesquels bouchés de fange tu verras,
Tu y verras (je te dis davantage)
Ce qu'un Orfèvre applique à son usage,
@

de la Chrysopée. 55
Et un chacun instrument mécanique
Dont l'artisan différemment fabrique:
De tout cela en labeurs infinis
Nos sots ouvriers en vain se sont munis:
Et par ainsi toujours le Soufre sentent
Et à leur face hideuse ils représentent
Des bas enfers les très horribles ombres,
Tant leurs regards sont enfumés & sombres.
Dont à bon droit tu ne peux affirmer
Que plus vil art tu puisses estimer
Que celui-là qu'on appelle Alchimie,
Science (au vrai) de clarté ennemie,
Qui se cachant du voile d'obscurité
De ça & là chemine sans sûr'té,
Et promenant ses culteurs* misérables
Puis ça puis là par chemins dévoyables,
Finalement les pauvres dévoyés
Elle délaisse en gouffre obscur noyés.
Dont nous voyons souvent par son moyen
Qu'un débonnaire & riche citoyen
Pour parvenir à cet art mal idoine,
Vendra maisons, granges, & patrimoine.
Et abusé d'incertaine entreprise
S'éloignera du train de marchandise,
Pour aux fourneaux & soufflets sans cesser
Etre intensif, & cuidant* amasser
Par son labeur richesses incertaines
Il voit enfin ses espérances vaines,
Et que ses biens naguère apparents,
A lui échus par mort de ses parents,
Sont convertis en légère fumée:
Et cependant sa femme consumée
D iiij
@

56 Le second livre
De triste deuil vit en très grand langueur
Par pauvreté qui lui fait la rigueur,
Et ses enfants pleurants à l'entour d'elle
La font pleurer par pitié maternelle,
Et lui qui fût honnête & bien vêtu,
Ord* & vilain demeure, & sans vertu,
Et désormais le pauvre misérable,
Au peuple sert de risée & de fable:
Par quoi mortels laissez erreur arrière,
Et contemplez cette claire lumière
Qui exempte est de toute obscurité,
Ne cheminez par la profondité*
Des lieux obscurs, & ne vous fourvoyez,
Chassez ce mal, un tel venin fuyez,
Dont infecté le vulgaire ignorant
Est en erreur, & songe demeurant
De présumer que les mains il peut mettre
A l'art divin par moi écrit en mettre,
Auquel art gît la notice des choses
Profondément latentes & encloses.
Il ne convient qu'un avaricieux
Vaques à cet art tant noble & précieux,
Ni que lui plein de fraudes & usures
Touche cet art de ses mains très impures,
Encore moins l'homme mol, & perdu,
Prodigue, ayant tout son bien dépendu,
Semblablement celui qui nous appert
Etre en quel art subtil très expert,
Ni gens qui sont d'une vie ocieuse,*
D'oisiveté salle & pernicieuse.
Encore moins idoine est le Marchand,
Pour trafiquer deçà & là marchant,
@

de la Chrysopée. 57
Ou citoyen ayant charge civile,
Et adonné aux négoces de ville,
Ni ceux aussi qui ont tout leur courage
A l'entretien du rural labourage:
Ni qui sans cesse entreprend hautement
Choses trop grand pour son entendement,
Ni plusieurs gens semblables à ceux-ci,
Cherchant cet art par un commun souci,
Tant seulement par fraude & tromperie,
Et d'un désir qui leur sens seigneurie.
Par une extrême & grand cupidité,
Dont leur coeur est pris & suppédité.*
Mais l'homme sage ayant en premier lieu
L'affection d'adorer un seul Dieu,
Qui prend plaisir d'asseoir son jugement
Pour les raisons connaître pleinement,
Vienne à cet art, & de toute sa force
De l'embrasser, & ensuivre s'efforce,
Pour compagnie & consolation
Il aura lors grand' inquisition
Qui pas à pas par bonne conjecture
En ses secrets observera Nature,
Puis s'ensuivra un tempéré discours,
Donnant arrêt au continuel cours,
Puis patience assurée & constante
Pour espérer la fin de son attente,
Labeur aussi point ne s'éloignera
De ses désirs, & l'accompagnera.
Puis industrie en belle & noble suite,
En tous ses pas il aura pour conduite
Qui un vaisseau de verre apportera
Un oeuvre aussi elle présentera
@

58 Le second livre
Finalement industrie la belle
Amènera une chose avec elle.
Ce sage donc ayant la compagnie
De si grand suite, & si grande mesgnie*
Assurément un long chemin fera,
Et lentement tous les lieux passera,
Et à ses yeux sans cesse apparaîtront,
Cas merveilleux qui ses yeux repaîtront,
Et le regard du plaisir & étude
Vaincra la peine & la sollicitude,
Jusques à temps qu'un trésor riche & gent
D'infini prix & poids d'or & d'argent
Il tirera de la terre, & du fond
De ses secrets occultes & profonds.
Expliquerai-je en plus expert langage
Ce qui ne fut déclaré de tout âge?
Ou le premier dirai-je par mes vers,
Cas au vulgaire encore non découverts;
Je n'avais pas une telle pensée
Quand l'entreprise a été commencée;
Mais l'ordre entier m'astreint & me commande
De révéler chose encore plus grande
Que je n'ai fait à mon commencement.
Donc celui qui raisonnablement
Procédera plus outre à l'entreprise
De cet art-ci, où louange est comprise,
Il trouvera les secrets fort reclus
Et très profond, où se délecte plus
Dame Nature, après qu'ils sont parfaits,
Puis il fera en semblables effets
Diverse gemme & pierre précieuse
Par art subtil, & main laborieuse.
@

de la Chrysopée. 59
Et si n'était que j'ai encore matière
Sur les métaux copieuse & entière
Par moi seraient les causes épluchées
De pierres tant requises & cherchées,
Je vous dirais les secrets & les lieux
Où elles sont en trésor précieux,
Je vous dirais les cavernes heureuses
Où sont plutôt ces pierres plantureuses,
Et où Nature a plus ardent désir
De se jouer, & de prendre plaisir,
Et où elle est plus riche & admirable
En un endroit, qu'autre moins délectable,
En nous faisant choses diverses voir
Ou elle étend sa grand force & pouvoir:
Je vous ferais aussi claire ouverture
Comme il advient que terre nette & pure
De gouttes d'eau doucement arrosée,
Est d'engendrer ces pierres disposées,
Je chanterais aussi distinctement
Comme du Ciel le cours & mouvement,
Et la chaleur des astres & planètes
Ont assigné d'influences célestes
Un certain lieu, auquel prennent naissance
Ces pierres là de riche éjouissances.*
Et quand ainsi cela je décrirais,
Pareillement je ne vous cèlerai
D'où vient la grand resplendeur dont reluisent
Ces pierres-là qui tant aux hommes duisent,*
Et dont avec leurs exquises valeurs
Nous les voyons de diverses couleurs,
Et vous dirais comment il est possible
Que la dur'té d'icelles n'est vincible,*
@

60 Le second livre
Qui ne se peut par flamme ardente rompre,
Ni par le fer amollir & corrompre:
Et d'où leur vient la splendeur séparée,
De mainte tache admirable parée,
Représentant d'une figure belle,
Comme la pierre Agate qu'on appelle,
Laquelle un jour Pyrrhus tant guerdonna*
Que d'Apollon & des Muses l'orna.
Dame Nature, ô très nobles Déesses,
Considérant vos titres & hautesses
De son bon gré & naturel office
Vous a voulu sans aucun artifice
Toutes neuf mettre en pierre précieuse,
Qui n'était pas grande ni spacieuse,
En ordonnant à toutes son enseigne,
Qui proprement vos qualités enseigne,
Et a voulu que Phoebus noble Dieu
Avec vous fut assis au milieu,
Laissant son arc de corne, & chassant ire
Pour doucement faire donner sa Lyre,
A telle fin qu'en voyant signes tels
Il fût assez manifeste aux mortels,
De quel honneur & renom en tout âge
Dessus autrui vous avez l'avantage.
O bien heureux Pyrrhus d'avoir été
Digne du don ci-dessus récité?
O bienheureux ceux qui ont mis leur vue
Sur cette chose en plusieurs lieux non vue?
Je dusse avoir récité la vertu
La vertu Dont richement l'Aimant est revêtu,
de l'Ai- Duquel Aimant, & de sa grand puissance
mant. Jadis les Rois avaient la connaissance
@

de la Chrysopée. 61
Tant seulement, & sa vertu prouvée
Etait en l'or tant seulement trouvée.
Besoin serait aussi de réciter
Comme l'Aimant peut le fer dépiter,
Et les marteaux en vain s'efforceraient
Dessus l'enclume, & ne le casseraient,
Mais sauteraient enclumes ça & là,
Et les marteaux de fer par ces coups-là.
Et néanmoins cette vertu très dure
Par son sang de bouc corruption endure,
Alors qu'avec ce sang qui a bouilli
De gros marteaux l'Aimant est assailli
Souventefois, & par cette entreprise
Tant seulement on le corrompt & brise.
C'est chose aussi par aucun maintenue # La vertu
Car le Magnes à l'accès & venue # de la Pier-
Du dur Aimant, fait divertir la voie # re
Au puissant fer, & ça & là l'envoie, # Magnes.
Et quand il est avec lui conjoint,
Il le déchasse & de lui se disjoint:
Finalement il peut venin détruire,
En lui ôtant la puissance de nuire,
Telle est aussi la vertu de l'Aimant
D'ôter la peur de tout entendement.
Et tout cela crédule antiquité
Dit avoir vu, & très bien limité
Car en cela aux anciens (peut être)
L'expérience a voulu apparaître,
Qui ne s'est pu à nous montrer encore,
Ou pour autant qu'il est clair qu'avec Or
Ces pierres-là engendrées ne sont,
Ou pour autant que maints comptes se font
@

62 Le second livre
Qui ne sont pas certains, ni véritables.
Par quoi usant de mensonges semblables
Plusieurs ouvriers de peu d'autorité,
Sont près d'erreur, & loin de vérité:
Dont les ouvriers suivant cet art ici
Aux anciens qui ont écrit ceci
N'ajoutent foi, & ne sont confessées
Ces choses-là, qu'ils leur ont délaissées;
Mais vont disant apertement entre eux
Que tous leur dits sont obscurs & douteux.
La vertu Si ne faut-il ici mettre en silence
de l'Eme- Cette Emeraude, où gît tant d'excellence,
raude. Dont le regard en sa verte couleur
Est bien aux yeux d'une telle valeur,
Et d'un plaisir si grand & estimable,
Qu'il n'est couleur qui soit plus délectable,
Que celle-là dont la Terre se vêt
Sur le Printemps, où sa face apparaît
Plus saine, & plus à soulas* préparée
Pour ce qu'elle est de son teint vert parée:
Mais il n'y a chose plus verdissante
Que l'Emeraude en beauté florissante
Qui donne plus de plaisir, & qui mieux
Fait recevoir contentement aux yeux,
Voire qui moins puisse fâcher la vue,
Et si est bien de tel effet pourvue
Que si les yeux de longs regards fâchés
Sont du travail troubles & empêchés
Claire lueur sera tôt recouverte,
Par le regard de l'Emeraude verte.
Je chanterais aussi d'accord plaisant
Comme l'exquis Escarboucle est luisant
@

de la Chrysopée. 63
Ni plus ni moins que le feu en peinture
Qui resplendit d'une rouge teinture.
Je vous dirais aussi sans controverse
Comme le Jaspe ayant couleur diverse
Est reluisant, & comme le Topaze
Qui de couleur à l'Or blond se compasse
Est de lueur claire & resplendissante:
Mainte autre pierre exquise & différente
D'espèce, & nom je vous raconterais
Par même écrit, quand loisir j'en aurais.
Mais c'est assez, & bien me doit suffire
D'avoir ainsi légèrement pu dire
De ces vertus, & aux autres appris
Le vrai chemin, lequel bien entrepris,
La ils viendront, s'ils veulent d'aventure
Prendre plaisir aux secrets de Nature,
Ou en beaux vers les chanter doucement
Prenants exemple à mon commencement.
Or sus je veux d'intelligence entière
Vous déclarer à présent la matière
Qui par nature a été ordonnée
A cet art-ci, de haute destinée,
A telle fin qu'aucun ne se tourmente
De prendre en vain peine si véhémente,
Mais qu'il évite un si grand détriment
Que nous voyons venir communément
Aux fols ouvriers, & remplis d'imprudence
Qui leur erreur mettent en évidence,
Et s'éloignant des principes premiers,
Lesquels pourtant comme très singuliers
Seule observer était nécessité.
Un bois s'y a dessus la sommité
@

64 Le second livre
D'un mont secret, auquel une fontaine
Court, comme Argent liquide & souveraine.
Une caverne ouverte en ce lieu est,
Ou une vierge habite & fait arrêt,
Très excellente, & à qui l'on assigne
Le los & droit de puissance divine,
Les Laboureurs la nommèrent Glaura,
Et ce nom vieil depuis lui demeura,
Par un chemin étroit, aspre & moleste
D'épais buissons cette vierge céleste
Non à son aise à la caverne vient,
Ou en montant aller il lui convient,
Tout au devant de l'entrée d'icelle
Une plaine est non ample, mais bien telle,
Que circuite* elle est d'obscurs ombrages,
Semblablement d'aquatiques rivages,
Environnée elle est aussi de Trophes*
Qui pierres sont, & par autres étoffes,
De mousse verte elle est environnée,
Et de plusieurs Corymbes exornée,*
Et si aucun entre prospèrement
En ce lieu-là, il laisse promptement
Toute macule humaine détestable:
Et (ce qui est encore plus admirable)
Il se dépouille en cette place belle
De toute charge, & pesanteur mortelle,
Et d'un esprit agile est revêtu
Pur & léger, ayant cette vertu
Qu'il est porté par les pertuis grand erre
Et par les creux conduits de cette Terre
Par le milieu desquels est honorée,
Et là se sied cette Nymphe dorée
D'or
@

de la Chrysopée. 65
D'Or reluisant son lit est décoré
Dessus, dessous, & alentour doré,
Dessous les pieds tables d'or sont foulées
Par ceux qui vont en ces riches allées.
Et ce qui est plus admirable encore
De sa vaisselle exquise ce n'est qu'Or.
Donc toi qui vas les principes cherchant
D'oeuvres si grands, pour n'être trébuchant,
Soigneusement il faut que tu t'avises
De t'en aller aux montagnes Tarvises
Pour rencontrer ce lieu délicieux,
Et ce que là verras plus précieux,
Prends, & n'épargne aucunement ton bien,
Ni ton labeur, & le tout ira bien:
Et toutefois ne consens & ne souffre
D'y être mis Argent vif, ni du Soufre:
Et de la veine infecte nullement
Tu n'y mettras, qui est premièrement
De leur vapeur ondoyante sortie;
Mais tu prendras, (toute ordure amortie)
Du pur métal, duquel secrètement
L'esprit se cache, & vit tacitement,
D'un pesant faix, & d'un corps lourd chargé,
Dont il s'attend être un jour déchargé,
Et d'être en l'air mis en liberté pure,
En échappant de sa prison obscure.
Et ce fardeau & masse corporelle,
Qui ores eut pesanteur naturelle,
Devint légère; & pour vrai te conter,
Aux régions suprêmes peut monter,
Et s'amollit (combien qu'elle soit dure)
Par ce bel Art qui imite Nature,
K
@

66 Le second livre
Et qui contraint cette masse hébétée
De retourner par sa voie usitée,
A telle fin que la semence enclose
En végétant s'excite & se dispose,
Et la prison crainte plus ne lui fasse
De cette épaisse & pondéreuse masse.
Et pour t'ôter cet avis & pensée
Que par mes vers chose soit avancée,
Qui trop étrange & merveilleuse soit,
Aucune fois l'or pullule, & reçoit
Par sa vigueur une augmentation
En sa semence & génération
Perpétuelle, & icelle semence
Apertement de s'élever commence:
Ni plus ni moins qu'un arbre fort petit
Qui sort de terre, & petit à petit
Croît, & commence à s'élever en haut
Par sa vertu qui jamais ne lui faut.*
Et comme celui que l'on voit habiter
A l'environ du riche fleuve Ister,
Trouve de l'or en mode de fléaux,
Environnant le tronc des arbrisseaux,
Et que par lui l'or précieux s'amasse,
Qui aux Rochers tous rouges s'entrelace:
Ou tout ainsi que le léger Lierre
En s'épandant aux murs brisés se serre,
Outrepassant ces murailles ouvertes
De sa racine, & de ses feuilles vertes,
Pareillement en forme très naïve
D'Or pur & fin croît une branche vive
Avec Tophus, dans cette pierre épars,
Sont les scions de l'or de toutes parts.
@

de la Chrysopée. 67
Après du creux de cette pierre ils sortent,
Et au plus haut s'élèvent & transportent.
Bref cette branche exquise & de grand prix
Par le chemin & conduit qu'elle a pris,
Abondamment couvre la pierre Trophe*
Du roux Métal de précieuse étoffe.
Dessus ce point deux choses en avant
Mettre je veux, que l'ouvrier bien savant
Doit observer par soigneux artifice:
C'est à savoir, d'avoir claire notice
De ce qu'il doit choisir premièrement,
Par quel moyen il doit secondement
Se modérer, que d'opportun loisir
Il a voulu prendre, élire & choisir,
Pour le résoudre avec chaleur lente,
Bien modérée, & non point violente.
Les Anciens les deux choses nommées
Ont d'obscurité incréable* enfermées,
Et ne doutant d'ajouter mots barbares
Aux choses tant occultes & tant rares,
Ils ont forgé cent noms, dont un chacun
Certain moyen ne signifie aucun,
Encore moins chose qui soit certaine:
Et ont usé par entreprise vaine,
De plusieurs noms que les Poètes graves
Jadis ont feints de leurs vers beaux & braves,
De ceux aussi dont les Divinateurs
Jadis usaient, & comme Interpréteurs
De ces noms-là, les ont su exposer,
D'iceux aussi en leurs livres user,
Cuidans* ouvrir par ces vocables-là,
Cet art si grand qui jadis se cela.
E ij
@

68 Le second livre
C'est trop en vain, vu qu'en leurs vers affables
Poètes n'ont sinon que vaines fables,
Pour de leurs dits & doux blandissemens*
Envelopper oisifs entendements,
Et vu qu'on voit bien différentes choses
Pour cet Art-ci en leurs écrits encloses.
Mais ces Devins, qui par voix véritable
Nous ont prédit que ce don délectable,
Haut & divin de génération,
Viendrait sur Terre en admiration:
N'ont estimé ces choses être infimes,
Vu que ces grands Prophètes magnanimes
Ne prédisaient que grands & hauts mystères.
Ces mots pourtant m'ont semblé trop austères
Pour en user, vu qu'à tel jugement
Persuadé n'était aucunement
Par les latins, ou pour ce qu'il faut croire
L'opinion en cela illusoire
Des anciens trop superstitieux,
Ou bien qu'ils ont été fort curieux
D'ainsi cacher leurs doctrines obscures
Sous le secret de diverses figures.
Et qui plus est, ces majeurs de renom
De toute chose ont imposé le nom
A cet Art-ci, par lequel sans faillir
Ils se disaient les Métaux amollir:
Pour ce qu'au vrai cette vertu & force,
Qui d'amollir ces durs Métaux s'efforce,
En toute chose est naturellement
En lui donnant fin & commencement.
Et ont ces gens tant caché tout ceci
A l'oeil de ceux qui cherchent cet Art-ci,
@

de la Chrysopée. 69
Que bien souvent ils ont perverti l'ordre
De la matière, & par exprès désordre
Entrelacé maint discours inutile.
Or cherche donc d'entendement subtil
Cette matière, & icelle trouvée
Par lieux obscurs, soit par toi éprouvée:
Car en un lieu tant seulement trouver
Ne la pourras, pour icelle éprouver.
Mais il y a sur les montagnes hautes
Nymphes plusieurs, & Oréades cautes,*
Qui ont la garde, en vigilantes cures
Des lieux secrets & cavernes obscures,
Où sont cachés grands trésors & richesses,
Le tout gardé par ces nobles Déesses:
Desquels trésors elles font part à ceux
Qui d'y aller ne sont point paresseux,
Avec un coeur toutefois sans ordure,
Et en ayant l'une & l'autre main pure.
Et en ce lieu les Nymphes très heureuses
Par ces trésors riches & plantureuses,
Vont démêlant d'un beau peigne d'ivoire
La toison d'or; où pour acquérir gloire,
Premier par nef fut le prince Jason
Avec les siens ravir cette toison:
Et n'a point craint cette noble jeunesse
Sous Hercule & Jason, sûre adresse,
Par tant de flots marins le chemin prendre,
Pour à Colchos, Ile riche, se rendre;
Dont l'un des deux dessus la sommité
D'un mont connu, te montre en vérité
La toison d'or, comme un commencement
Que tu dois prendre affectueusement.
E iij
@

70 Le second livre
L'autre te peut enseigner & apprendre
Combien tu dois de labeur entreprendre,
Combien de peine & de sollicitude
Sur cette masse épaisse, & poids si rude:
Car ce n'est pas grand-chose de savoir
Quelle matière il te faut recevoir:
Mais de la rendre habile & convenable,
C'est un grand fait, excellent & louable.
Voilà l'ouvrage & le labeur aussi,
Où les ouvriers mauvais en grand souci,
A un trop vain exercice adonnés,
Sont de plusieurs abus environnés,
Et autre maint ignare ouvrier se plonge
En même erreur, ignorance & mensonge:
Car maintenant par cure vigilante
Ils mêleront de l'eau chaude & bouillante,
Et maintenant de l'Eau, ils entremêlent,
Puis Eau d'odeur, Menstrua qu'ils appellent,
Comme les fleurs des femmes, ja remplies
Le terme, auquel au ventre est accompli
Parfaitement le petit enfant tendre.
Lors ces ouvriers cuidant* à bon but tendre,
Font tout cela cuire bien longuement
A petit feu, & intentivement*
Sent travailler: mais tel travail & peine
N'apporte rien qu'une espérance vaine;
Et pour en vain à cela s'employer,
De leur labeur ils perdent le loyer,
Pour ce qu'ils ont mêlé diverses formes
A la matière, en ce si mal conformes,
Qu'on voit à l'oeil par bonne conjecture
Ces choses-là répugner à nature,
@

de la Chrysopée. 71
Et dessus tout à cet ouvrage exquis,
Et auquel rien, n'est plus cher & requis,
Que ce qui est simple, & sans controverse
De mixtion d'autre chose diverse;
Et ne requiers sinon le soufflement
Du Soufre pur, avec l'attouchement
De l'Argent vif son compagnon, qui vient
A son secours, dont le pur Or provient.
Maint autre y a qui par autre manière
Préparatif donne à cette matière,
Et se pourrait, peut être, bien trouver
Autre moyen pour ceci éprouver,
Pourvu que même & très pure substance
Liquidement soit mise en évidence,
Et qu'elle soit seule en soi délaissée.
Ayant de près Nature pourchassée,
L'Art doit ici vaquer soigneusement;
Et en cela nature constamment
Doit conserver sa puissance bien née,
Par main d'Ouvrier excellent gouvernée:
Car quand par Art auras désassemblé
Ce qui était conjoint & assemblé,
Et qu'à l'ouvrage extérieurement
Une vertu viendra soudainement;
Et que verras une semence croître,
Et à tes yeux copieuse apparaître,
En lieu secret cela te convient mettre,
Et avec feu sans cesser te soumettre
A l'exercer: Puis peu à peu ta cure
Lui doit donner sa propre nourriture.
Et ne convient que le temps spacieux
Te soit par trop moleste & ennuyeux:
E iiij
@

72 Le second livre
Car tout cela qui s'engendre & produit,
En certain temps à nos yeux est produit,
Quand son vrai cours naturel il a fait,
Dont il a vie, & se montre parfait,
Et tout ainsi que l'enfant né sans forme
Au maternel ventre croît, & se forme,
Jusques à temps que de masse imparfaite
Soit accomplie une chose parfaite.
Aussi le lieu propre à cet artifice
Où tu mets d'Or la semence propice,
Incessamment par sa vertu immense
Augmentera cette riche semence,
Jusques à temps que plus apertement
Les fruits viendront à mûr accroissement,
Et à ces fruits croissants en façon lente,
Premièrement chaleur non violente
Appliqueras: puis humeur modérée
Est grandement aux choses désirée,
Lesquelles ja se corrompre verras,
Puis un moyen tempéré trouveras
Entre l'humeur & chaleur naturelle,
Et ce les bains de Marie on appelle.
Or avisant à tout bien sagement,
Tu souffleras un feu tant seulement,
Non véhément, & qui puisse suffire
Les bains Pour engendrer les choses, & produire
de Marie. Ce que fumier & bains communément
Nomment aucuns, mais mal & faussement:
Car la chaleur maintenant défaillante,
Et maintenant trop aspre & véhémente,
Et qui certain moyen n'a en tout point,
En aucun temps profitable n'est point
@

de la Chrysopée. 73
A ce qui a déjà sa forme & être
Ni à cela qui par temps devait naître,
En un petit vaisseau conséquemment
Trop de matière enclore étroitement
Il ne convient, car icelle matière
Ne pourrait pas montrer sa force entière
Par petit feu, après qu'elle serait
Disjointe, & lors sa vertu cesserait.
Et sans mentir cela n'est nécessaire,
Car si tu peux une fois satisfaire
A ton désir, & être, pour le sûr,
De cette poudre heureuse possesseur:
Il ne faut pas en cela te résoudre
De désirer beaucoup de cette poudre,
Ni derechef la composer & faire,
Car toutefois que d'elle auras affaire
A ton plaisir assez l'augmenteras:
Aussi beaucoup ceci tu priseras
Quand cette poudre excellente & céleste
Te donnera maint signe manifeste,
Et qu'à tes yeux se représentera,
Et que couleurs diverses montrera:
Mais quoi que plus on prise la valeur
De cette poudre ayant rouge couleur,
Ce néanmoins il est besoin de croire
Que beaucoup vaut la poudre blanche, & noire.
En premier lieu la noire te découvre
Comment tu dois commencer ce grand oeuvre,
Et du chemin secret t'ouvre la porte
Où le vulgaire ignare se transporte,
Mais trop en vain, car par diverse voie
Il se détourne, & toujours se fourvoie,
@

74 Le second livre
La poudre blanche a bien telle puissance
Qu'elle nous donne entière connaissance,
Que le chemin jadis bien commencé
Est à demi parfait & avancé.
Nous montre aussi par un désiré soin
Que la rougeur n'est ja plus guères loin,
Lors que nos yeux de leur espoir jouissent
Et du prochain ouvrage s'éjouissent:*
Ouvrage grand, que tout autre art louable
Vaincre ne peut, ni faire son semblable,
Avec trésors & richesses quelconques:
Combien qu'il faut bien confesser adonc
Qu'il n'y a rien qu'art humain florissant
Ne mette à fin par un engin puissant.
Cet art humain contemple les étoiles
Qui sont au ciel reluisantes & belles,
Contemple aussi le temps où en son Règne
Est chacun Astre, & quand point il ne règne,
Et en marchant avec port glorieux
Il a pouvoir de monter jusqu'aux Cieux.
Et (qui plus est) d'une égale mesure
De Terre & Mer le grand tour il mesure,
Et les sablons d'innumérables* nombre
Facilement il comprend & les nombre.
Par art aussi on peut de voix humaine
Suivre les chants du céleste domaine,
Et imiter les sept célestes sons
Par instruments & humaines chansons.
Par art aussi sont inventés les droits,
Lois & édits, & statuts bons & droits.
Par art on voit être faites les villes,
Les parlements & dignités civiles.
@

de la Chrysopée. 75
Par art les Rois universellement
Du populaire ont le gouvernement,
Par art un camp se conduit & chemine,
Par art un grand capitaine domine,
Par art aux corps las & passionnés
Médicaments utiles sont donnés
Par le secours desquels le corps s'efforce
En retournant en sa vigueur & force.
Le labourage aussi en terre grasse
Sans art ne peut avoir aucune grâce,
Vu que par l'art d'agriculture utile
Un champ stérile on peut rendre fertile.
Par art aussi dessus petits ormeaux
La vigne croît & épand ses rameaux.
Donc cet art traite certainement
De ce qu'on voit par tout notoirement,
Art ose aussi par contemplation
Chercher avec grande inquisition
Ce qui était par bien longue distance
Fort éloigné de notre connaissance.
Outre cela (si tu regardes bien)
Au monde bas (peu s'en faut) il n'est rien
Qui à cet art ne soit totalement
Attribué par humain jugement.
Et sans cet art (où n'y a que redire)
L'homme prudent rien ne veut faire ou dire.
Dieu te garde art, qui es sollicitude
Des graves gens, & délectable étude
Quiconque soit, ou fille de Minerve
Ou s'il convient plutôt qu'on te réserve
Le premier lieu de fidèle servante,
Dessous Pallas sur toute autre savante.
@

76 Le second livre
Car on maintient cette Déesse belle
Avoir gardé toujours perpétuelle
Virginité, bien que de sa beauté
Le Dieu Vulcain amoureux ait été,
Dont il rompit la tête de son père
D'une cognée, & de ce coup prospère
Pallas fut né en renom éternel
Tenant du sens & engin maternel.
Je te salue ô noble Art derechef
Qui de tout oeuvre est la mère & le chef,
Et de qui vient si grand nombre de gens
A embrasser prudence diligents,
De tant de saints poètes & sacrés,
(Qui aux ruisseaux à ton nom consacrés
Devaient venir) seul je prendrai l'audace
D'eau d'Hélicon aussi froide que glace
Diligemment les causes arroser
De tant de cas, & d'iceux exposer,
En leur ôtant toutes noires ordures
Pour à vos yeux rendre les choses pures.
Dont quand auras par cet art de haut prix,
De ces couleurs l'ordre & signe compris,
Il est besoin que certaine espérance
Dedans ton coeur fasse sa demeurance,
En attendant du travail le loyer
Où si longtemps t'es voulu employer,
Car tu auras sous espérance telle,
Comme d'un don & grâce supernelle,*
La poudre exquise, où gît tant de pouvoir
Qu'elle produit l'Or si plaisant à voir,
Voire la moindre apparence ou scintille*
De cette poudre excellente & subtile
@

de la Chrysopée. 77
Peut convertir de son vrai mouvement,
Tous les métaux en pur Or promptement.
Et tout ainsi que le caillé fromage
Est détrempé par le commun usage
Avec eau tiède, & qu'il rend le vaisseau
Abondamment plein de lait clair & beau
Et fait le lait par puissance conforme
D'un autre lait prendre l'espèce & forme,
La poudre sacre aussi par son argent
Arrêtera le prompt & vif Argent,
En lui donnant de l'or l'espèce heurée*
De la couleur des étoiles parée,
Si que ce vif Argent par tel effet,
De cette poudre, est plus que l'Or parfait.
Et n'y a Or (pour le vrai vous compter)
Qui de valeur le puisse surmonter.
Et outre afin que tu ne te déçoives
Et qu'un nouveau travail tu ne reçoives
De retourner à l'ouvrage en effet,
Qui a été ja une fois parfait,
Tu dois savoir, par vigueur véhémente
Que cette poudre admirable s'augmente,
Et est requis à tout entendement
De besogner laborieusement
A telle fin qu'une bien grand' partie
Soit d'Argent-vif en pur Or convertie,
Voire en prenant un petit seulement
De cette poudre, & non pas largement:
Car où l'esprit prompt, subtil & habile
Entre en ce corps épais & immobile
En se mêlant aux entrailles sans cesse
De ce corps-là, ou Masse très épaisse,
@

78 Le second livre
Ou par long temps (plutôt) la poudre cuite
Souvent pressée, en soi souvent réduite
Peut sa vigueur & vertu endurcie,
Réduire ensemble, & icelle épaissie.
Et comme un brin de safran mis en l'onde
Sa couleur vive épand en cette eau monde*
Avec odeur très suave & agréable,
Aussi la grand' vertu incomparable
En si petit de poudre est excitée,
Et en courant vivement agitée
Elle entre & va par un chacun conduit
De ce métal en liqueur ja réduit
Et pour certain l'homme ne peut comprendre
Raison aucune, & la cause ici rendre
Pourquoi si grand vertu & force habite
Dedans semence & poudre si petite
Car la raison tu ne trouveras point
(Si le désir de la savoir te point)*
Pourquoi magnes à si grand force aspire
Qu'à lui le fer parmi l'air il attire,
Encore moins pourquoi de sûre adresse
Les Nautoniers il régit & adresse
Droit devers* l'Ourse, en contemplant aux cieux
L'étoile enclose en char non spacieux:
Nature cache, & tient beaucoup de choses
En ses secrets divinement encloses,
Et n'est besoin à l'homme de savoir
Tout, & de tout la connaissance avoir,
Mais seulement il faut qu'on s'émerveille
De plusieurs cas que nature appareille,
Et en faisant telle admiration
Les révérer en leur perfection,
@

de la Chrysopée. 79
Et n'est requis que tu cherches nouvelle
Des grands secrets que nature te cèle;
Car il convient présumer aux humains
Que ce qu'ils ont commun & entre mains
Connaître & voir ils ne peuvent qu'à peine
Tant de nos yeux vérité est lointaine,
Et toutefois afin que ton espoir,
Ne s'atténue, & change en désespoir
De ne pouvoir par un moyen facile
Mener à fin, cet art tant difficile
Et qui est l'art des autres le plus grave,
Ores mon dire en ta mémoire grave.
En premier lieu reçoit ce pensement*
Qu'il te convient connaître seulement
Ce qui se peut retenir & apprendre
Pour le surplus après par ordre entendre.
De toute choses il faut premièrement
Chercher la cause & raison prudemment:
Car bien souvent la raison est présente
En la cherchant, & à ceux se présente
Qui sans cesser suivant la droite voie
Point ne s'arrête, & jamais ne fourvoie
Jusques à temps qu'il se puisse enfermer
Dedans la chambre où (pour vrai affirmer)
Fait son arrêt vérité honorable
En majesté illustre & vénérable.
Là peut-on voir la première semence
Dont tout Métal à végéter commence;
Là peut-on voir la coction dernière
D'invention exquise & singulière
Qui des métaux joint la forme diverse.
Et non rien moins appert raison expresse
@

80 Le second livre
Par qui l'on voit les métaux transmués
De l'un en l'autre, & si bien remués
Que l'un de l'autre a la force & vertu,
Et du pouvoir d'engendrer est vêtu
Si aucun art leur aide d'aventure
Mettant la main au secours de Nature.
Et d'avantage il n'appert pas comment
Sont les Métaux rendus naïvement
Mols, & comment peu à peu sont liquides
En demeurant tempérés & humides,
Oeuvre (pour vrai) très difficile & grand
Et de labeur tout autre dénigrant,
Et dont cet art ne peut rien éventer
En quoi plus fort il se puisse venter.
Or en ceci à peine tu faudras*
Et le surplus de toi-même apprendras,
Car tu verras à l'oeil que tous les points
Sont d'un lien concaténés & joints,
De là dépend la certaine manière
Du feu, du lieu en façon singulière
Pareillement la mesure arrêtée
De cette pierre aimable & souhaitée:
De là dépend la couleur épandue
Dessus la poudre exquise prétendue,
Et le moyen qu'il faut pour te résoudre
A augmenter cette divine poudre,
Si d'aventure elle se diminue
Et qu'elle soit petite devenue
D'avoir durée par long temps & espace:
Et ça & là ces choses à ta face
Apparaîtront, si tu veux regarder
D'usage long, à l'ordre bien garder.
Et quel-
@

de la Chrysopée. 81
Et quelquefois ta mémoire, peut-être,
Pourra de moi si grand bien reconnaître;
Vu que bien sûr de n'être point moqué
Du peuple ignare à rire provoqué,
En ce tu prends mon conseil pour conduite;
Dont sûrement ta personne est conduite
Par un chemin tant étroit à le voir,
Que peu de gens il daigne recevoir,
Et d'où tout homme à peine est exempté
D'en retourner joyeux, & en santé:
Mais bien plutôt les pauvres misérables
En retournant par ces lieux dévoyables,
Par épineux buissons sont déchirés,
Et bien frustrés des profits désirés.
A autres maints autre malheur est proche,
Qui délaissés sous une creuse roche,
Sont vagabonds par les concavités
De Terre obscure, & ses profondités.*
Et de ce lieu obscur & détestable
Ni par la main d'autre homme secourable,
Ni par leur force (en danger d'expirer)
Ils ne pourront jamais se retirer.
Mais toi ne crains avec plus de sûr'té
De cheminer par les lieux d'obscur'té,
Te conduisant par cette voie obscure
Avec un fil, ainsi que l'ouverture
Je t'en ai fait, afin que sans danger
A ce chemin tu te pusses ranger,
Et que de là aussi tu retournasses
Sans que péril & encombre trouvasses.
Et si tant bien conduisais ton étude
De parvenir à la béatitude,
@

82 Le second livre
Menant à fin tout désir prétendu,
Premièrement par toi serait rendu
L'honneur aux Dieux: puis à moi à bon droit
Qui t'ai donné conseil en cet endroit.
Mais si les Dieux ne te voulaient permettre
A tel effet ton espérance mettre
Mais que contraint tu fusses & forcé
De délaisser l'ouvrage commencé,
(Comme voyons qu'une telle fortune
Souventes fois les humains importune)
A tout le moins voyant mainte mensonge
Où le vulgaire ignare & faux se plonge
Tu pourras voir des autres l'ignorance,
Et les erreurs où ils font demeurance.
Sur toute chose encore je te dirai,
Et derechef de ce t'avertirai,
Que si du ciel tel' faveur t'est donnée,
(Car elle n'est d'ailleurs point ordonnée)
Voire à celui qui te sera fidèle,
Cet art-ici à peine ne révèle,
Encore moins à tous autres qui mis*
Ne furent onc au rang de tes amis.
Et ne convient cela mettre en ventance*
Que notice as de cet art d'importance:
Mais en gardant cet heur secrètement
En ton esprit, pense tacitement
A ces secrets, & d'un tel artifice
A toi tout seul réserve la notice:
Car cet art-ci à plusieurs gens de bien,
Comme suspect, semble ne valoir rien,
Et ses culteurs* savants, & de haut prix
Sont odieux, & tenus à mépris:
@

de la Chrysopée. 83
Pour ce que tant d'ouvriers, en qui abonde
Mensonge & dols, vont errants par le monde,
Qui par un vain & curieux devoir
Se vanteront plusieurs choses savoir,
Que de leur vie ils ne purent entendre,
Et ne sont pas aptes de les apprendre:
Mais éloignés, sont de la droite voie,
Où nous tendons, sans que rien nous dévoie.
Outre j'ai vu maint homme bien savant
Traiter, louer, & produire en avant
Beaucoup de cas que l'ignorant vulgaire
Approuve, & tient à cet art nécessaire.
Quoi? que dirai-je aussi de plusieurs gens,
Qui de blâmer sont prompts & diligents
Tous les ouvriers de cet art d'apparence,
En ne mettant aucune différence
Entre les bons ouvriers & bien appris,
Et entre ceux qui sont d'erreur surpris?
Et plusieurs gens il y a toutefois,
Qui la raison demandent mainte fois,
Pourquoi parmi le grand nombre de ceux
Qui en cet art ne sont point paresseux
Il n'en appert un seul, tant soit parfait,
Qui mette tels miracles à effet;
Et pour autant que cela ne se prouve,
Disent que l'art de nul effet se trouve,
Et que ce n'est que folle invention,
Pleine de songe; & de déception.
Mais qui est cil d'estomac tant débile,
Et de courage inconstant & fragile,
Qui n'ait pouvoir d'avoir la bouche close
Pour n'éventer à autrui cette chose
F ij
@

84 Le second livre
Dont le secret ne se doit révéler?
Qui ne se doit contenir de parler
(S'il est prudent) sachant que son langage
Incontinent lui portera dommage?
Celui qui est en grand' tranquillité,
Loin de danger, & en félicité,
Par quel moyen se pourrait-il défendre,
S'il se vantait, & donnait à entendre
Qu'il a de grands richesses enfermées,
Que nous voyons être tant estimées,
Que des grands Rois le règne en est acquis,
Richesses grands & hauts honneurs conquis?
Si qu'à bon droit toute autre chose cède
A cet avoir désiré qu'on possède,
Pour ce que plus grand valeur est comprise
En cet avoir & richesses qu'on prise.
Donc si aucun a été bien appris
De composer ces trésors de grand prix,
Il tient couvert ce savoir d'excellence
Du voile obscur d'amiable silence.
En quoi tu dois le semblable imiter,
Et ne te faut cependant désister
De l'entreprise en cet art commencée,
Pour la parole au vulgaire avancée,
Qui va disant n'être point advenu
Que riche aucun ainsi soit devenu,
Ni qui se soit vanté publiquement
D'être enrichi tant magnifiquement.
Ne perds aussi bon espoir & courage
Par ce temps-ci & nubileux* orage,
Que ci devant nous, pauvres malheureux,
N'espérions pas de voir si dangereux,
@

de la Chrysopée. 85
Et ne pensions que l'ennemi barbare
Vint assaillir cette Terre tant rare,
Riche, amiable, & pleine de douceur:
Ni que lui faux, inique & offenseur
Rompit la paix par si long temps gardée,
Troublant raison par lui mal regardée.
Ores voit-on, humanité faillie,
Par gens armés, maintes villes assaillie,
Et eux à sang & fureur suscités:
Deçà & là saccager les cités,
On peut ouïr larrecins* exécrables,
Pollutions par trop abominables,
Honteusement les femmes violées,
Et par les champs riches maisons brûlées,
Dont à bon droit la Muse pâle & triste
De Bononus Poète se contriste,
En déplorant Narvise, son pays,
Où sont des Dieux les temples envahis
Par déloyaux gendarmes, pleins de vices,
En violant tous les divins services,
Et en mettant, par un crime odieux,
Le feu par tous les saints temples des Dieux:
Si que par tel crime grand & diffus,
Les droits humains & divins sont confus,
Tant d'insolence & de malheur accorde
De tous péchés la grand-mère Discorde
N'a pas longtemps ainsi pouvait-on voir
Les coeurs humains de crainte s'émouvoir,
Et assaillis de passions amères,
Comme agités des fléaux des Chimères
Des bas enfers, si qu'en telle souffrance
Chacun cherchait nouvelle demeurance,
F iij
@

86 Le second livre
Et se chargeant de cette portion
Qui lors était en sa possession,
Il délaissait sa terre naturelle
Pour la cité qui Régine s'appelle,
Et que la Mer de ses flots environne,
Là demeurant en tranquillité bonne:
Où nombre grand jadis des plus notables
Gens d'Italie, & des plus recevables,
Se retira, s'assurant de la Mer,
Alors qu'on vit Barbares allumer
Un feu, qui ja commençait à s'épandre,
Pour l'Italie entière mettre en cendre:
Ce qui dura l'espace de long temps,
Sans que fussions de ce danger exempts.
Par quoi d'autant que tu connais ces choses
De grand péril & de fortune encloses,
(Dont faussement les mortelles personnes
Les nomment biens, & les appellent bonnes)
Il te convient munir de cette poudre,
Pour résister aux coups de cette foudre;
Afin que si cette peur derechef
Nous pourchassait, un semblable meschef*
(Duquel plutôt Dieu tout puisant & juste
Veuille punir notre adversaire injuste)
Sois secourable à toi & tes amis,
Qui lors seront en adversité mis.
Car quand ce don divin tu obtiendras,
Riche sur tous les riches te tiendras,
Ayant sur eux béatitude, pour ce
Que sans labeur toujours dedans ta bourse
Tu porteras ce trésor non pareil,
Qui de la vie est le sûr appareil,
@

de la Chrysopée. 87
Et avec toi porteras sans envie
Tout le secours de cette humaine vie:
Mais si la paix encore nous vient voir,
Pour du soulas* désiré nous pourvoir,
(Ce qui du ciel adviendra brièvement,
Si deviner peut notre entendement.)
Par quel moyen plus sûr & plus facile
Jouirais-tu des dons de paix tranquille,
Que par celui dont tu peux, sans méprendre,
Affaires grands & graves entreprendre?
Et par lequel sans dommage outrageux
Tu peux vaquer à mille ébats & jeux,
Et t'adonner à tous plaisirs honnêtes?
Car ni le soin avare & déshonnête,
Ni des honneurs convoitise insensée
Ne se viendra loger en ta pensée;
Encore moins tous autres désirs tels,
Dont tourmentés sont les coeurs des mortels,
Te pourront nuire, ou inciter à vices
D'aucun instincts de mondaines délices:
Pour ce que lors bien armé tu seras,
Et ton appui & confort causeras
Sur cette poudre, en pensée accomplie,
Secrètement de tout plaisir remplie.
Mais ne soit mu ni par guerre importune,
Ni du repos de la paix opportune
A éplucher les causes de ces choses
Qui au secret de Nature sont closes,
Encore moins pour la commodité
De ces trésors & grand utilité
Qui en tous lieux assez te donneront
D'éjouissance, & t'accompagneront:
F iiij
@

88 Le second livre
Mais ce qui plus doit ton coeur émouvoir
A cet art-ci, pour l'apprendre & savoir:
C'est pour autant que tu es rendu digne
De ce grand don, excellent & insigne,
Par qui tu peux les principes connaître
Des choses grands, que Nature fait naître
A bien grand peine, & non facilement,
S'on ne lui vient extérieurement
Donner secours par ce bel artifice,
Duquel celui qui acquiert la notice,
Riche se doit & heureux réputer,
Sans autre bien jamais plus appéter,
Et sans que chose autre soit approuvée
Valoir la poudre heureusement trouvée:
Car le meilleur de nous, l'entendement,
Ayant trouvé entier contentement,
Pour ce qu'il a des secrets l'ouverture,
De demander plus rien n'a soin, ni cure;
Vu que joyeux de sa prospérité,
Il fait séjour avec vérité.

Fin du second Livre de la Chrysopée, par
Jean Aurelle Augurel.
@

89
pict

L E T R O I S I E'M E L I V R E
De La Chrysopée, c'est à dire, de l'art de faire l'Or par Jean Aurelle Augurel.
pict Erme vouloir m'a pris présentement
De poursuivre continuellement
La désirée & illustre origine
De cette poudre opulente & insigne.
Ouvriers experts recevez ce parti,
Et sur cette offre à vos yeux départi,
Examinez longuement vos pensées:
Ores par moi vous seront avancées
Choses bien grandes, & d'entreprise haute,
Puis tôt, sans faire à l'ordre aucune faute,
J'expliquerai de cet art tant exquis
Espaces, feux, nombres, & poids exquis.
Aux choses grands être joint on doit croire
Un grand labeur, mais semblable est la gloire,
Si à aucun vient la faveur des Dieux
D'un doux regard procédant de leurs yeux,
Ou bien s'il a, mu de divinité,
A cet art-ci le courage incité,
A telle fin que par expérience
Trop difficile, & de grand conséquence
Vos sens troublés ne soient en aucun point,
Et qu'en cela ne te retarde point
@

90 Le troisième livre
Mon entreprise en cet art estimable
Par nouveauté de parler non aimable.
Nymphe d'honneur environnée & ceinte,
Nymphe gardant cette fontaine sainte,
Et par mes vers si souvent invoquée,
Si as été à m'ouïr provoqué
Par ci-devant, si par humble devoir
En t'invoquant j'ai pu ton coeur mouvoir
Ne me délaisse en ma dernière cure
D'oeuvre si grands, qu'écrire je procure:
Te suppliant si en contentement
Tu tiens sur terre embrassé doucement
Ce que jadis en vers a proféré,
Ton grand Poète aux autres préféré,
Que pour cela ta naïve pensée
De mes écrits ne soit point offensé
Auxquels tu vois qu'ensuivre te souhaite
Les pas du tien tant excellent Poète,
En spéculant la terre jusqu'au fonds
De ses secrets, & abîmes profonds
Où je te prie ta faveur me permettre
Pour si grands faits écrire en petit mettre:
A ton plaisir ainsi coulent les ondes
De Mincius, toujours claires & mondes*
Et que le bort de ses liquides eaux
Environné soit de tendres roseaux.
En premier lieu celui qui entreprendre
Veut cet art-ci & ses secrets apprendre
Il faut qu'il soit loin de cure & souci,
Et qu'en menant tranquille vie aussi
En se cachant, pacifique, & secret
Il ne soit prompt de dire son secret,
@

de la Chrysopée. 91
Qu'il ait maison non ample, mais propice
Pour exercer ce présent artifice,
Et qu'elle soit du peuple fort distraite,
Où il y ait mainte chambre secrète
Dont à aucun ne soit faite ouverture:
Si aux servants le maître d'aventure
Ne commandait quelques choses porter
Sans leur apprendre & leur interpréter
A quoi servir peuvent toutes ces choses
Qu'ils vont portant dedans ces chambres closes.
Il faut aussi qu'il ait en sa maison
Un petit lieu pour la chaude saison
Où il se puisse à son gré promener.
Et en hiver lui faudra séjourner
En la maison, & pour tel séjour faire
Un jardinet lui est très nécessaire,
Où par loisir sa personne adonnée
S'exercera tout le long de l'année
En y faisant continuation
Comme n'ayant autre vocation:
Ores cueillant d'ongle prompt & habile
Graines qui sont en son jardin fertile,
Ores semant (la saison arrivée)
Graines, dedans la terre cultivée,
Puis son esprit bien fort s'éjouira*
Et de soulas*, son regard jouira
Voyant fleurir de couleurs différentes
Herbes & fleurs très odoriférantes,
Et en ce lieu de mener ses amis
Aucune fois il lui sera permis.
Les amusant, sous accueil recevable,
A quelque jeu plaisant & délectable.
@

92 Le troisième livre
Mais le secret il dissimulera
De la maison, & point n'en parlera.
Et cependant que point il ne permette
Que la chaleur occulte s'intermette,*
Si d'aventure il a mis la semence
Qui produit l'Or par sa vertu immense,
Ayant fini par limitation,
Son propre cours & révolution,
Ou bien s'il veut par feu continuel
Et par labeur grand & assiduel*
Chercher cet Or aux veines de l'Or même?
Et pour autant cet art grand & suprême
De grand travail, & longue expérience
Mérite bien qu'avec diligence
On cherche ami & compagnon fidèle
Qui la moitié de cette charge belle
Entreprenant, en lieu secret se cache
De la maison, & de sa part qu'il tâche
D'administrer tout cela qui convient
A l'art, duquel un si grand profit vient.
Il est besoin aussi, & raisonnable
Au bon ouvrier de cet art honorable
Qu'aux dieux puissants d'une affection grande
Son oeuvre & lui toujours il recommande.
Car sans la grâce & faveur des hauts Dieux
Rien ne se fait qui soit dessous les Cieux,
Et à ce don trop en vain il aspire
Qui vers les Dieux humblement ne soupire.
Moi-même ayant désir que par mes vers
Ces secrets-ci vous fussent découverts
Trois fois ai fait mes humbles voeux aux Muses
A jointes mains, & prières diffuses,
@

de la Chrysopée. 93
Qui précédaient d'un coeur plein de bon zèle:
Dont je connais qu'une faveur nouvelle
Me vient du ciel, & peu à peu je sens
Qu'en écrivant me croît vigueur & sens,
Et m'est avis que par la sommité
Des monts très hauts ores je fus porté,
Et incertain par les bois ombrageux.
Et néanmoins d'un coeur fort courageux
Je suis mené par la voie opportune
Où me conduit le cours de ma fortune;
Afin qu'au mont Hélicon me transporte
Et que de là le premier je rapporte
Le beau chapeau de vert laurier sacré.
Et que par moi premier soit consacré
De ce laurier, qui reverdit sans cesse,
Le saint autel, que j'ai dès ma jeunesse
Fait ériger en mémoire infinie
Du Dieu Phoebus, & de sa compagnie,
Et en l'honneur de Genius puissant.
Et cet autel exquis & florissant
Est érigé en façon authentique
Dessus le bord de mer Adriatique,
Où doucement cours le fleuve Arimine;
Puis d'un Torrent violent qui domine
Passe dessous un beau pont ancien
Et roidement* avançant le cours sien
Tombe en la Mer, où tout soudain mêlées
Ses douces eaux sont aux ondes salées.
Je poursuivrai donc l'art commencé
Et le labeur non encore avancé
Qui est requis à ce présent ouvrage
Où je serai porté d'ardent courage
@

94 Le troisième livre
Par les maisons fumantes des grands Dieux,
Dont les soufflets font un vent gracieux
Dans les fourneaux, auxquels est épandu
Bien doucement l'Airain clair & fondu;
Et ja me semble ouïr le grand tonnerre
Fait par les grands Cyclopes sur la terre,
Et que le ciel du bruit de mainte enclume
Retentit plus qu'il n'avait de coutume,
Et du long cri des marteaux agités,
Etna résonne en sons inusités.
Si aucun veut savoir parfaitement
De faire l'Or le vrai commencement,
Ou si l'Argent premier il requiert faire.
Premièrement il lui est nécessaire
Savoir des feux la grand diversité,
Auxquels il faut qu'il soit exercité:*
Car il y a en cet art plusieurs feux,
Dont y en a principalement deux:
L'un d'iceux est de nature tranquille
Imitateur, l'autre à l'art difficile
Et violent, est apte & convenable,
Qui par labeur & force inestimable
Tache à pousser la semence, qui est
Liée à l'Or d'un merveilleux arrêt.
Après que l'or par toi sera fondu,
Humide aussi & traitable rendu,
A telle fin que plus facilement
L'Or soit enflé par le feu véhément,
Et qu'en rendant vapeurs en abondance,
Soit élevé en haut par grand puissance.
Le premier feu qui imite Nature,
Nourrit de l'Or cette semence pure;
@

de la Chrysopée. 95
Après qu'elle est des liens déliée
Où elle était étroitement liée,
Et par la force & vigueur en tout point
Aucunement l'oeuvre il ne brûle point,
Et ne permet refroidir cet ouvrage
Jusques à temps que d'un jugement sage
Il puisse voir le tout bien disposé
Et d'un engin merveilleux composé,
Et jusqu'à temps que naturellement
De son bon gré & propre mouvement
Il puisse voir toute cette matière
Prendre & avoir perfection entière.
Or maintenant se produise en avant
Pour m'écouter maint ouvrier bien savant.
Car j'ai désir de réciter grands choses,
Bien qu'elles soient d'obscurité encloses,
Qui par les vieux Barbares trop celées
N'ont point été par iceux révélées,
Et crois pour vrai qu'ils ont eu le désir
De les celer, ou qu'ils n'ont eu loisir
Ni le pouvoir de nous les faire entendre
Ni par effet de paroles comprendre:
Et pour autant j'ai bien pris cette audace
De les tourner d'une naïve grâce
En notre langue, & les interpréter,
Nombres certains voulant y ajouter.
Pour être plus agréable tenues
Quand des savants elles seront connues.
En premier lieu pour mettre l'oeuvre à fin,
Prendras plusieurs pièces d'Or pur & fin.
A divers coups il convient que tu brises
Ces lames d'Or, faut qu'en poudre soient mises
@

96 Le troisième livre
Aussi menu que le sablon qu'on trouve
Dans le gravier d'un très liquide fleuve;
Tu briseras cela bien longuement
Jusques à temps qu'intérieurement
De son bon gré il soit rendu fluide
Et par humeur il devienne liquide.
Pareillement faudra commodément
Cette matière arroser amplement
Aucune fois de sa propre semence
A telle fin que par lourde imprudence
(Comme récit je t'ai fait ci-dessus)
En cet endroit tes sens ne soient déçus
En y mêlant différentes espèces,
Ni ce qui peut joindre choses diverses,
Ni ce qui est semé communément
Et épandu aux choses follement,
Car il convient tenir pour véritable
Que toute chose appète* son semblable;
Et que donner l'un à l'autre s'efforce
Aide & secours d'extérieure force,
Car par Nature est Nature appétée,
Et répugnance est d'elle rejetée
Alors qu'elle est conjointe à son pareil
D'embrassement & lien naturel.
La harpe aussi doux instrument à corde
Des doigts touchée, ou de l'archet n'accorde
En telle sorte, & si douce ne semble
Qu'avec plusieurs harpes qui sont ensemble
Tant en tout cas des choses la concorde
Est vertueuse, & jamais ne discorde:
Par quoi tu dois chercher diligemment
Ce qui pareil sera certainement,
Quoi
@

de la Chrysopée. 97
Quoi que ce soit, qu'il soit par toi cherché
En quelque lieu qu'il soit mis & caché,
Ou aux profonds abîmes & fissures
Des monts hautains, & cavernes obscures:
Ou bien s'il faut quelque temps consumer
Pour l'arracher des roches de la Mer:
Ou s'il convient en aucunes manières
L'aller quérir aux milieu des rivières,
S'il est produit du Ciel, si en tous lieux
Il t'apparaît manifeste à tes yeux,
S'il est caché en toutes parts du monde,
Ou si au corps d'icelui il abonde.
Cela cherché, bien assuré es-tu
Que par sa force & certaine vertu
Tu pourras tôt résoudre & rendre humides
Choses, qui sont très dures & solides.
Et pour autant quand ces choses connues
Seront ainsi en liqueur devenues
Tu les mettras par ordre bon & droit
Au plus profond d'un vaisseau bien étroit:
Car il convient qu'elles soient étendues
Egalement, & par tout épandues,
Si que chaleur les puisse rencontrer
Egalement, & toutes pénétrer:
Et qu'en ce soit cette chaleur sujette
Que çà & là ses vapeurs elle jette.
Ores je veux montrer apertement
De quoi on peut faire parfaitement
Ce pot, auquel l'Or ainsi on veut faire,
Et dans lequel il est très nécessaire
Que l'or endure une grande chaleur.
Certaine Terre y a de grand valeur
G
@

98 Le troisième livre
Que l'Espagnol pour l'art de verrerie
Prend, & icelle apporte en Italie,
Et le Verrier la matière du verre
Fond en un pot forgé de cette Terre,
Purifiant à long feu nuit & jour
Cette matière, & sans aucun séjour.
Fait donc le pot à notre art très utile
De cette ferme & excellente argile,
Dont à sa roue un potier ses pots forme,
Et puis leur donne une agréable forme,
Il est aussi d'une autre Terre noire
Dessus les monts Euganiens notoire,
Là un sentier verras qui point ne faut*
De te mener tout droit au fleuve chaud
Dit Aponus, & quand les Puys profonds
Sont fossoyés, une argile est au fond
A demi blanche, & semble Marbre vieux.
Ces Terres-là, faut que sois curieux
De mettre ensemble, & que ta main tant fasse
De les mêler pour en faire une masse,
Puis tu feras de cette Masse-là
Un long vaisseau qui forme & façon a
D'un Alambic, & à ce tâcheras,
Que d'icelui la bouche boucheras,
A telle fin que la vapeur n'échappe,
Et que très bien la couverture & chape
De verre, jointe au pot on puisse voir,
Pour les vapeurs subtiles recevoir.
Il te convient persuader aussi
Que tu ne dois prendre moins de souci
D'avoir, & faire une propre fournaise
Pour en icelle allumer à ton aise
@

de la Chrysopée. 99
Un feu puissant, lequel bien longuement
Entretiendras ingénieusement.
Il faut aussi que ton esprit travaille
De renforcer d'une double muraille
Ce fourneau-là, & qu'il soit circuit
Commodément d'argile, & bien enduit:
Le fourneau est encore plus souverain
S'il est lié de forts liens d'Airain,
Et bien couvert d'une grand' pierre dure,
Plus que le fer puissante, & qui plus dure,
Afin que mieux une fournaise telle
Souffre du feu d'ardeur continuelle:
Fait des pertuis continuellement
A cette pierre, afin que proprement
Y puisse mettre une grand' quantité
De pots duisants* à l'oeuvre limité:
Quand tu auras ces choses composées
Comme j'ai dit & par ordre apposées,
Et que le feu tu auras allumé
Dans le fourneau par toi clos & fermé;
Incontinent par flamme violente
Le feu s'épand par la fournaise ardente,
Et frappe tant le fond de ce vaisseau
Que tu as mis naguère au fourneau,
Qu'en peu de temps il l'échauffe & enflamme
Et le réduit totalement en flammes.
Mais qui croirait que l'Or plein de dur'té
Fut lors réduit en propre humidité?
Et toutefois les gens pleins de science
Ont eu du fait certaine expérience,
Voire que l'Or en liqueur se vient rendre,
Et peu à peu droit aux côtés se prendre
G ij
@

100 Le troisième livre
De ce vaisseau, puis à la couverture
De verre, & lui qui était par nature
Dur & épais, grave, lourd & pesant
Est mol, léger, à pénétrer duisant.
Outre, cet Or premier resplendira
Et aussi blanc que la Neige sera:
Puis tout soudain couleur bleue il reçoit
Telle qu'aux flots Marins on aperçoit,
Et est semé de couleur violette
Ayant le teint de pure violette:
Qui ores fut Or blond & précieux
De la couleur des Etoiles des Cieux.
Et toutefois tous ces signes ensemble
Indice vrai ne feront ce me semble,
Mais il faudra la saveur observer
D'icelui Or, & de bouche éprouver:
Ce qu'accompli pour certain tu verras
Si tôt qu'un goût amer tu sentiras,
Semblablement tu auras bon indice
Lors que de là par certaine notice
Viendra un son obscur bas à merveille
Qu'à peine ouïr on pourra des oreilles:
Indice aussi certain t'avertira
Quand une odeur non forte en sortira.
Le signe aussi te pourra avertir
Quand tu verras du soufre noir sortir.
Quoi? n'est-ce pas autre preuve entendue
Voir en claire eau cette Masse fondue,
Qui maintenant légèrement portée
Etait au faîte de ce vaisseau montée?
Et ce n'est pas grand-chose toutefois
D'avoir par art mué l'Or une fois,
@

de la Chrysopée. 101
Et ne faut pas que pour merveille on compte
Si un lourd poids, & pesant en haut monte;
Mais sa liqueur de louer je prétends,
Car si elle prise par certain temps
Abondamment par sa propre puissance
De deux secrets nous fera connaissance.
Le premier est (pour au vrai l'exposer)
Que quelquefois faudra l'Or arroser
De la liqueur de sa propre semence,
Incontinent qu'en liqueur il commence
De se résoudre, & que l'auras brisé
Par le moyen de l'art ja devisé.
L'autre secret verras secondement
Qu'ayant mêlé cette humeur doctement
Par sa puissance & force coutumière
Il remettra en leur splendeur première.
Pierres qui sont en Inde rencontrées
Qui pâles sont, & en vieillesse entrées:
Où si par art tu as (peut-être) telles
Affections, d'en faire de nouvelles,
Cette humeur claire & pure a ce pouvoir
Duquel pourras l'expérience avoir.
Mais si suivant les choses de haut prix,
Ton désir est aucune fois épris
De méditer, & composer un oeuvre
Où excellence & valeur se découvre
Tu n'en pourras élire en ton cerveau
Un plus exquis, plus admirable & beau
Lequel par art humain tu puisses suivre,
Tant ses plaisirs Nature veut poursuivre
En procréant ces belles Marguerites
De grand valeur, & pierres très élites.
G iij
@

102 Le troisième livre
Ou quand on voit que du marbre elles sortent
Et que leur fruit produisent & apportent
A certain temps, après avoir reçu
La semen- Le fruit qui est de rosée conçu,
se des Per- Qui tous les ans ainsi conçu s'appelle
les. La reluisante & précieuse Perle.
Ou si tu prends à cette pierre garde
Pourquoi semblable espèce elle ne garde
A la rosée, alors que la rosée
A purement cette pierre arrosée,
Une couleur blanche par tout le corps
De cette pierre est épandue alors;
Mais advenant que la rosée est trouble
Ces pierres-là elle macule & trouble,
Et derechef leur fruit pâle sera
Selon le Ciel qui le disposera,
Car leur semence est du Ciel provenue
Et leur vertu plutôt du Ciel venue
Que de la Mer, qui sont causes expresses
Dont elles sont de couleurs fort diverses,
Le temps couvert, ces pierres de valeur
Des nues ont & gardent la couleur,
Mais par temps clair leur couleur sera claire
Quand Aurora au point du jour éclaire,
Et que du Ciel la rosée descend
Dont le troupeau de ces pierres se sent,
Boit la rosée, en reçoit nourriture,
Et en prenant opportune pâture
Nous voyons lors que véritablement
Ces pierres-là prennent accroissement.
Mais si le temps qui était pur & clair
Est empiré par la foudre & éclair,
@

de la Chrysopée. 103
La Conche a peur, & ayant telle crainte
Ne mange rien, & demeure restreinte,
Et s'il advient pareillement qu'il tonne
Elle est restreinte, & grandement s'étonne.
Et une espèce adonc elle produit
Pleine de vent, sans aucun corps ou fruit.
Et cela est que nous interprétons
Le fruit avant le terme ou avortons
Des Conches, car (comme apparent il semble)
Le fruit né sain a plusieurs peaux ensemble,
Et en un corps solide est accompli,
Qui en dur'té de sorte a pris son pli,
Que tu dirais cette chose être alors
Certaine peau endurcie en un corps.
Et ce qui est oeuvre fort souverain
Ces Conches là, demandent l'air serein,
Et en prenant rougeur très pure & franche,
Par le soleil perdent leur couleur blanche,
Si toutefois au profond de la Mer
Ces Conches sont, il convient présumer
Que leur blancheur leur demeure, & se garde,
Car le soleil de les toucher n'a garde,
Et néanmoins jaunes elles deviennent
Par la vieillesse, & ridées se tiennent,
Et la vigueur qu'en elle demandons,
Fors en jeunesse, avoir ne prétendons,
Car le long temps leur nuit & fait dommage
Aucune fois la Perle de vieil âge
Enracinée est en la Conche dure
D'où si tu veux l'arracher par grand'cure,
Tu ne le peux faire en aucune sorte
Sinon avec une lime bien forte
G iiij
@

104 Le troisième livre
Bien qu'en la Mer la Perle molle soit,
Car hors de là dur'té elle reçoit,
Mais si la Conche aperçoit d'aventure
Que de toucher & prendre on la procure,
Incontinent qu'elle se sent touchée,
Elle se couvre, & sa Perle cachée.
Prévoit qu'on veut lui faire violence
Pour sa richesse où gît tant d'excellence:
Dont obviant à ce grand danger là
Cette vigueur, fraude & astuce elle a
Que de celui qui prendre la désire
La main souvent elle tranche & déchire,
Et est ainsi puni & attrapé
Son ennemi, de son espoir trompé.
Et ce qu'a dit des Abeilles Virgile
Envers leur Roi, même façon subtile
Les Conches ont, savoir que la plus grande
D'âge, soit Roi & aux autres commande.
En les menant paître de çà & là
Par un engin, & astuce qu'elle a,
Et si elle est d'aventure surprise
(Car les nageurs pourchassent cette prise,)
Alors il est facile de surprendre
Tout le surplus, & au filet les prendre,
Et d'autant plus que de sûr'té avaient
Avec leur Roi sauve, qu'elle suivaient.
D'autant alors leur vient plus d'inconstance
Le Roi captif où était leur fiance,
Tant en tout cas est la perte certaine
D'être privé de Chef ou Capitaine.
Mais la plus belle & grand' propriété
Que Conches ont, c'est la rotondité
@

de la Chrysopée. 105
De leur coquille unie également,
Et la couleur du Ciel pareillement.
A manier sont douces, & luisantes,
Et justement en leur grand corps pesantes;
Mais de ceci soit assez disputé
A telle fin qu'aux gens d'autorité
Je ne soit vu contendre* & contredire,
Même à ceux desquels on peut bien dire
Qu'ils ont acquis louange en cet endroit
Et un renom hautain, dont à bon droit
En aucun temps ne mourra la mémoire,
Mais fleurira de verdoyante gloire:
Ou ne veux être à discord* incité
Par une vaine & grand' cupidité.
Dont maintenant, quand faire le pourra
Cette liqueur proprement cueilleras,
Pour l'appliquer à ces tant grands usages
Mentionnés, aux précédents passages.
Car si la Perle ayant pâle couleur
De cette humeur de grand prix & valeur,
Est arrosée, elle resplendira
Et (qui plus est) se renouvellera.
Si composer tu veux les autres choses
Qui ne sont pas de grand labeur encloses,
Suivant les dits de ceux qui ont ceci
Mis par écrit, & éprouvé aussi;
Je te pourrais beaucoup de cas narrer
De mains ouvriers venus çà & là errer,
Qui épluchant ces choses répétées
N'ont pas trouvé les choses appétées.
Mais ayant pu cas merveilleux prouver,
Ce néanmoins ils n'ont pas su trouver,
@

106 Le troisième livre
Ces choses-là auparavant connues,
Et à présent à nos yeux parvenues,
Comme font ceux qui ont premièrement
Fait que le verre ingénieusement
Soit fait semblable aux pierres précieuses.
Ou ceux desquels les mains ingénieuses
Ont su premier conjoindre ensemblement
L'Alun, le Nitre, & Sel semblablement
Avec l'Eau, & qui l'ordre & manière
Ont enseigné par façon singulière
Comme on peut l'Or des métaux séparer.
Ou ceux aussi qui ont su préparer
Tant de couleurs: savoir, couleur vermeille,
Verte, ou couleur aux cieux toute pareille,
Lors qu'on les voit être resplendissants,
Et entre-peints de feux apparaissant:
Ou la couleur à telle bien semblable
Que Galatée au Printemps délectable
Joyeusement épand en l'eau salée,
Lors que des vents s'en est la force allée.
Et si tu veux par quelque art excellent
Etudier, & être vigilant
De faire au vif cette couleur exquise,
Qui par Nature aux rochers est acquise,
Et qui est bleue, & qu'on doit estimer
Etre semblable à celle de la mer:
Cette couleur ne peut être mieux faite
D'aucun engin, ni par art contrefaite,
Que la couleur qui provient, & se fait
De l'Or exquis, sur tous métaux parfait,
Tant ce métal (comme par un chef-d'oeuvre)
De son bon gré cette couleur découvre,
@

de la Chrysopée. 107
Couleur d'azur, couleur bleue, excellente,
Quand l'or fleurit, & ses vapeurs évente
Sur le sommet d'un pot mis & pendu,
Auquel y a du vinaigre épandu,
Et ce pot-là, où pend l'or tant prisé,
Est plein de marbre en poudre tout brisé
Premièrement: puis comme l'art permet,
En un fumier pourri ce pot on met,
Ou bien dedans humeur continuelle.
De ces couleurs qu'ores je te révèle,
D'autres aussi longues à réciter,
On voit les bons peintres s'exerciter*
A peindre au vif effigies notables,
Et ce qu'on voit près ou loin dans leurs tables:
Comme on a vu que les peintres antiques
Ont peint jadis choses fort authentiques,
Même de bien & de vivement peindre
Peintres nouveaux ont pu l'honneur atteindre,
Lesquels d'engin & art non endormi
A imités Jules mon cher ami,
Peignant au vif de diverses figures
Ce qu'à nos yeux a exposé Nature.
Ou s'il veut peindre un mont sublime & haut,
Et la vallée au-dessous, sans défaut
Te semblera par sa vive peinture,
Qu'en ce mont-là y a mainte ouverture,
Et qu'il se fend intérieurement.
Si ton voeu est de voir semblablement
En petit lieu champs beaux & spacieux,
Et prés herbus, fleuris, & gracieux.
Si par la terre en un même soulas*
Veux voir courir mers, rivières & lacs,
@

108 Le troisième livre
Et contempler fontaines sans ordure,
Où l'herbe étant une gaie verdure,
Où le troupeau des Nymphes se retire,
Pour s'assembler avec maint Dieu Satyre;
Et où aussi les Sylvains s'éjouissent,*
Et de leur Air accoutumé jouissent,
En s'ébattant à maints jeux apparents,
Mais toutefois divers & différents.
Mon Jules peint maint autre exquis ouvrage,
Dont le surplus des arts reçoit l'usage,
Comme en mêlant aux métaux quelque chose
De main experte, & qui point ne repose:
Comme jadis Myron faire savait
Que l'Airain tôt voix respirante avait.
Ou comme on voit que Crispus aujourd'hui
A bien cet art & excellence en lui
De vivement donner forme à l'Airain,
Et pour le fondre avec art souverain:
Sait composer plusieurs choses ensemble,
Et les mêler comme bon il lui semble,
Bien assuré qu'il fait un feu duisant*,
Et à cela propice & suffisant.
Et de celui être point je ne pense
Aucunement vaine l'expérience,
Qui en ayant contemplé plusieurs choses
Sous art secret occultement encloses,
A inventé naguère ce tourment
Qui est d'Airain, pour misérablement
Epouvanter les courages des hommes:
Et par lequel, en ce temps où nous sommes,
On voit de loin horriblement battus
Murs érigés, & soudain abattus.
@

de la Chrysopée. 109
Et cette grand' machine très horrible,
Avec un bruit merveilleux & terrible
Un poids massif en l'air jette grand erre,
Du bruit duquel faute & tremble la terre:
Et les châteaux qui tout à l'entour sont,
Lors que de loin ouï ce bruit ils ont,
En ont horreur, & sont plus tourmentés
Qu'ils ne seraient de foudre épouvantés.
Ni plus ni moins qu'étonnés nous étions,
Lors qu'à Venise un tel bruit écoutions,
Quand le grand Roi par une ardente envie
De guerroyer, était devant Pavie,
Et que par tous les très spacieux champs
Ses gens étaient en port d'armes marchant.
Mais cependant la gent Vénitienne
Se contenait dedans la ville sienne;
Et en faisant aux ennemis horreur,
Les repoussaient avec grand' terreur.
Mais en parlant de ce bel art ici,
Pourquoi tombés sommes-nous en ceci?
Est-ce d'autant qu'à ce Mars nous incite
Avec son grand & cruel exercite,*
Qui aujourd'hui toutes choses met bas
Par durs assauts, alarmes & combats?
Vous résistez, ô Piérides Muses,
A ces efforts & guerres trop confuses:
Car en nul temps ne serez sans ceux-là
Qui contre vous entreprendront cela.
Mais de ce don qu'ores je vous présente,
J'ai bon espoir que votre oeil se contente:
Pour ce que j'ai en cela seulement
Exécuté votre commandement.
@

110 Le troisième livre
Ce que je fais de propos volontaire,
Pour humblement à vos voeux satisfaire,
Bien que ceci plus de labeur requiert,
Que de louange & de gloire il n'acquiert.
Or maintenant chaleur continuelle
Secrètement se fera, par laquelle
La semence a, & reçoit vivement
Force & vigueur extérieurement.
Et lors sera le temps joyeux sacré
Les De mariage à Hymen consacré,
Amours Et du mari le lit & noces belles,
de Vénus Où l'on verra durables étincelles:
Et ces feux-là d'amour entretenus
Seront nommés les amours de Venus.
Donc quand de l'or la blancheur tu auras
Du verre ôtée, icelle remettras
En un petit vaisseau de verre fait,
Duquel la bouche étouper en effet
De verre chaud il sera nécessaire.
Lors un fourneau t'efforceras de faire
De pierre ou fange, & un feu continu
Sous ce fourneau doit être entretenu.
Là tu mettras la poudre d'excellence,
Qui de l'or roux conserve la semence.
Et cependant qu'au fond du verre est cuite
Par un long temps la semence susdite,
De prime face elle te montrera
Mainte couleur, qui diverse sera.
Et pour autant qu'il est clair & notoire
Que des couleurs nous choisissons la noire,
Et que par art après quarante & quatre
Jours expirés (sans les nuits en rabattre)
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de la Chrysopée. 111
Blanche couleur de la noire provient.
Conclure donc sur ce point il convient,
Que de ces deux couleurs ainsi parfaites,
Les autres ont leur être, & en sont faites:
Et peu à peu connaître les pourras,
Quand ces couleurs apparaître verras
Entre le blanc & noir: car je t'assure
Que tout cela est requis par Nature,
Afin qu'en tout elle puisse tenir
Certain accord, sans se contrevenir.
Et ne pourra tenir l'extrémité
Sans voir chacun espace limité,
Car tu verras couleurs autant diverses,
(Si en cela ton regard tu adresses)
Comme il s'en voit en cet art spacieux,
Qui, le soleil opposite, est aux cieux:
Ou comme au col des Pans souventefois
Par un petit mouvement tu en vois,
Lesquels Junon (pour en honneur les mettre)
Sur tous oiseaux a bien voulu admettre
Dedans son char, & d'Argus les cent yeux
Joindre à leur beau pennage & précieux.
Mais quand cela te sera pour notoire
Que ja la masse aura pris couleur noire,
Estime alors que par bon artifice
As ministré* une chaleur propice,
Dont la femelle ardeur telle conçoit,
Que doucement son mâle elle reçoit
En son giron, qui peu à peu s'enflamme
A elle joint par réciproque flamme,
Et des deux joints par doux embrassement
Un riche fruit provient finalement.
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112 Le troisième livre
Puis peu à peu verras par évidence
Que cette masse à dépouiller commence
Sa robe noire, & bien habilement
Elle se vêt d'un pâle habillement.
Lors jour en jour sa pâleur diminue,
Et cependant son cours se continue
Sans point cesser; & diverse couleur
Représentant, revient en sa pâleur
Par la vertu de si grand' alliance,
Et du lien de si ferme accointance:
Dont cette masse à se résoudre vient,
Et bien pourrie en sa force revient.
Donc alors il faut que tu regardes
Qu'un feu bien chaud continuel tu gardes,
En échauffant la vertu génitale
D'autre vertu, par tempérance égale:
Comme l'oiseau couve ententivement*
Ses tièdes oeufs, & amoureusement
A ses petits, qui tôt naîtront, s'efforce
De ministrer* vigueur, puissance & force.
Tu garderas continuellement
Cette matière, & curieusement:
A telle fin qu'après l'an accompli,
Mainte blancheur vienne prendre son pli
En cette masse, & pour au but tâcher,
Durant ce cours faut la masse toucher.
C'est lors le point, c'est lors l'heure qui vient,
Où délier ton cheval il convient,
Et là prend fin ton souci & étude:
Et la grand' Mer, où en sollicitude
As navigué, pourtant patiemment
Le long labeur, avec contentement
De
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de la Chrysopée. 113
De voir le temps, où en réjouissance
Du dû loyer tu as la jouissance,
Et du salaire heureux & très exquis,
Lequel tu as en si grand' peine acquis.
Et pour autant, ensuivant la coutume,
Il est requis que ta main s'accoutume
De prendre un poids certain de vif-argent
Qui soit dondé*: puis en pas diligent
Tu le mettras en pot triangulaire,
Pour un tel cas propice & nécessaire,
Dans lequel pot tous les métaux rendus
Avec chaleur idoine sont fondus.
Et quand ce pot tu auras colloqué,
Et au milieu du feu bien appliqué,
Et qu'en bouillant ja par chaleur immense
Jeter en haut sa fumée il commence:
Incontinent dessus tu jetteras
De cette poudre, & le feu souffleras.
Lors (dont seras émerveillé rendu)
Cela verras en espèce fondu
De clair argent: cette espèce argentine
Par un canal étroit coule & chemine,
Et est soudain en dur'té devenue,
En la façon d'une verge menue.
Et toutefois pour avoir fait cela
Il ne se faut encore arrêter là.
Sus donc, sus donc, il te faut faire encore
Un long chemin, où tu dois marcher ores
Comme vaillant pour le temps advenir,
Au cours heureux du chemin parvenir,
Et ne me soit point imposé à vice,
Si je suis vu entreprendre l'office
H
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114 Le troisième livre
De découvrir les secrets de Nature
Trop clairement: ou si par aventure
Je semble trop dire choses futiles
Au genre humain, & par trop inutiles;
Vu que je veux me montrer vigilant
Que chacun soit par or fait opulent,
En espérant ci-après satisfaire
A enseigner comme l'or on peut faire,
Que sous rochers Nature a tant caché:
Afin qu'il fut par les humains cherché,
En endurant labeur incomparable.
Afin aussi que par l'or estimable
On sût le prix & la somme des choses
Que nous voyons par tout le monde encloses;
Et que par l'or on fit plus justement
De toute chose un certain changement,
Et que trafic on fit sans controverse
Par les pays de nation diverse.
Mais si aucun par certain artifice
Produit cet or en lumière & notice,
Et fait qu'il vienne en usage à chacun
Du populaire, & qu'il n'y ait aucun
Qui ne l'estime autant vil à ses yeux
Comme autrefois il était précieux:
Incontinent tous les arts s'oublieraient,
Et en tous lieux non moins s'aboliraient
Que cet art-ci de faire l'or prisé
Aurait été devant autorisé.
Et adviendrait, peut-être, que le père
Divin, voyant régner tel vitupère
Au genre humain, le permettrait aussi
Vivre sans art, sans peine, & sans souci;
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de la Chrysopée. 115
Et souffrirait toute chose endormie
D'oisiveté de vertu ennemie.
Ou bien plutôt voyant ceci régner
Au peuple humain, pour le mieux refréner,
Il permettrait que l'humaine excellence
Changeât d'espèce, & vint en décadence.
Quand à l'auteur qui aurait inventé
Crime si grand, & tel art éventé,
(Après l'avoir battu & agité
De maints danger & dure adversité)
Il l'enverrait par sa foudre aux Enfers,
Où le liant sur un haut roc en fers,
Le punirait de peines éternelles
Pour son erreur, & fautes criminelles.
Car pourquoi plus l'ire auraient mérité
De Jupiter, & sa foudre irritée
Ceus, Japet, & le cruel Typhon,
D'avoir le mont Ossa & Pélion
Mis sur Olympe? ou pourquoi tourmentée
Serait plutôt la chair de Prométhée
Par un vautour, dessus la haute roche
De Caucasus, d'avoir pris par reproche
Furtivement le feu de Jupiter:
Que celui-là le pourrait mériter,
Qui par sottise, & trop lourde imprudence
Mettrait cet art en commune évidence?
Bien mérité il aurait promptement
De recevoir l'un & l'autre tourment.
Claude Empereur aux accidents ja dits
Donna bon ordre, en commandant jadis
Que faible on fit le verre, mol, & tendre:
A telle fin qu'il ne put rien prétendre
H ij
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116 Le troisième livre
Sur les métaux en usage exposés,
Auxquels les prix étaient ja imposés.
Longtemps après César par sa prudence
Mit à cela bon ordre & providence,
Quand il usa de ce commandement,
Que les ouvriers de cet art vivement
On mit à mort, & que sans plus attendre
De cet art-là, on mit le livre en cendre;
Lors qu'il allait avec son exercite*
Livrer l'assaut à l'opulente Egypte:
Car il craignait qu'à l'Empire Romain
Péril advint, si tenir en leur main
Egyptiens eussent pu un tel livre,
Qui le moyen de faire l'or délivre,
Et qu'à cela sans cesser vigilants
Ils fussent trop riches & opulents.
Et qui plus est, Phaunus, la géniture
Du roi Picus, & neveu par droiture
De Jupiter, en vain aurait l'honneur
D'avoir été le premier enseigneur*
De fossoyer les cavernes obscures
De l'Italie, & creuses ouvertures,
Et d'y trouver les veines de l'argent:
Et trop en vain le premier diligent
Aurait été, de faire dessous terre
Abîmes creux, pour l'or blond y acquerre,
Si par quelque art ces métaux de grands prix
Etaient communs, & venaient à mépris.
Mais quant à moi, je ne fais pas ainsi:
Car pour chacun je n'écris pas ceci,
Mais en chassant le rude & sot vulgaire,
J'ai proposé de mon secret lui taire,
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de la Chrysopée. 117
Et repousser un chacun ignorant;
Afin qu'en doute & crainte demeurant,
Il ne prétende avoir de ce notice,
Dont aux prudents j'ai ouvert l'artifice,
Voire à bien peu, même ce qu'écrivons,
Sous cet espoir écrit nous ne l'avons,
Pour nous montrer en cet art d'excellence
Parfaits ouvriers, & maîtres d'apparence:
Mais tout ainsi que jadis autre chose
En nos écrits sont mises & encloses,
Comme cherchant les secrets de Nature,
Désir avons de mettre en écriture
Certains propos, qui à peine aux prudents
Par grand labeur pourront être évidents,
Combien qu'ils soient appelés, par nos signes
A cet art-ci, duquel ils sont bien dignes,
Et mêmement quand ce désir les point,*
Qu'en cet art-ci, je ne décrive point
Aucuns secrets, qu'il n'est pas nécessaire
De révéler, mais vice téméraire,
Sinon qu'ils soient d'une ambiguïté
Enveloppés, & pleins d'obscurité.
Et mêmement ces miens écrits & vers
Sont (mais bien peu) de mensonges couverts;
Et ne crois pas que ce que je récite,
En vérité totalement consiste,
Lors que je tâche à conduire en usage
Cet art secret sous ambigu langage,
En déclarant selon règles & droits,
Lois & statuts de cet art fort étroits,
Par quel moyen & subtile manière
Expérience on doit mettre en lumière.
H iij
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118 Le troisième livre
Outre cela, alors que je m'efforce
De découvrir de Nature la force,
Et que je fais de cet art l'ouverture,
Qui est ministre, & le serf de Nature,
Et que je montre où gît premièrement
Cet art, & quel il est secondement:
Tu trouveras çà & là toute chose
De plus en plus de vérité enclose,
Ou mieux pourras comprendre & expliquer
Ce que tu dois en usage appliquer,
Voyant les lieux auxquels je m'accommode
De t'enseigner la manière commode
De cet art-ci, qui est évidemment
Mis à tes yeux par mon enseignement.
Et n'a été tant mon vouloir de mettre,
Et rédiger tous ces propos en maître,
Que me sentant de fureur agité,
J'ai eu faveur d'une divinité,
De qui j'étais porté en grand' vertu
Par un chemin encore non battu,
Sur le sommet des montagnes diffuses,
Séjour plaisant aux Piérides Muses,
En visitant les montagnes sacrées,
Et sources d'eaux à elles consacrées,
T'espérant le laurier sur la tête,
Qui des savants est le loyer honnête:
Loyer certain, honorable & exquis,
Par moi aimé dès longtemps, & requis.
Car ce soulas*, ce plaisir & étude
Chasse des coeurs toute sollicitude:
Cet amour-là & délectation
Met mon coeur loin de molestation:*
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de la Chrysopée. 119
Ce don heureux, cette grâce accomplie,
Et volupté de tout soulas* remplie,
Tient ma pensée, & viens mon coeur saisir
Totalement d'un désiré plaisir;
Plaisir entier, accompli de douceurs,
Qui m'est donné des Castalides soeurs.
Donc faisant ores digression
De ces propos, par admonition
Savoir vous fait que l'ouvrier bon & sage
Ne doit du feu reculer son ouvrage
Déjà dressé, afin que d'aventure
Diminué ne soit le feu qui dure
En sa vertu, & ne soit aperçue
Se relâcher la chaleur ja conçue.
Mais il convient faire tout au contraire,
Et d'augmenter le feu est nécessaire,
Et toutefois en telle sorte & cure,
Qu'en le touchant la main d'ouvrier l'endure,
A telle fin que la chaleur trop vive
Aucune fois ne soit, & excessive,
Qui la vertu pourrait suppéditer,*
Qui peut, & viens soi-même s'exciter.
Mais il faudra qu'avec équité telle
Dure ce feu en force assiduelle,*
Tant que pourra Nature le souffrir,
Prête à le suivre, & à cela s'offrir.
Et pour autant tu dois lors prendre garde
De persister que rien ne te retarde,
Quand tu auras cessé de plus attendre
Cette blancheur, où tu voulais prétendre,
Et que tu l'as acquise pleinement,
Après l'avoir requise longuement.
H iiij
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120 Le troisième livre
Mais Patience en fidèle compagne
Mène avec toi, & toujours l'accompagne,
Pour ne gâter ton ouvrage en tout point,
Et le temps long ne te retarde point:
Car d'acquérir & avoir ne prétends
Chose si grande en bref & petit temps,
Que si tu peux finalement acquerre,
Ne pense pas qu'il y ait sur la terre
Trésor plus grand qui reste à acquérir,
Ni que plus doux tu doives requérir.
Donc après que par ce conseil notre
Le feu aura procédé assez outre,
N'espère pas de voir subitement
Une couleur à tes yeux seulement:
Mais attendant que la rouge excellente
Finalement à tes yeux se présente,
Une blancheur de roux mixtionnée
Apparaîtra tout le long de l'année.
Et cependant qu'elle continuera,
Diversement elle se changera,
Jusques à temps que la rouge couleur
Se montrera en sa claire lueur,
Et fleurira, étant toute semblable
A violette en rougeur délectable;
Et semblera vivement être ceinte
De la couleur du vermeil Hyacinthe.
Et toutefois nécessaire il n'est pas
De là contraindre, & arrêter tes pas:
Mais tout soudain marche outre, & suis la voie
Qui te conduit, & point ne te fourvoie
De croire alors tu te dois bien garder,
Ni par autrui le te persuader,
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de la Chrysopée. 121
Que de changer le feu tu te tourmentes
Si d'aventure un peu tu ne l'augmentes,
Mais tellement que sans nuire à ta chair,
Quand tu voudras tu le puisses toucher.
Et ceci soit ton moyen & ta Règle
Où il convient que ton esprit se règle
Incessamment, car par tel soin & cure
Tant seulement tu ensuivras Nature
Et s'il advient que d'erreur assailli
Tu as omis quelque chose, ou failli,
Tu peux user lors de correction,
Ou derechef de composition,
Si par avant les choses épluchées
Sont sagement par toi, & bien cherchées.
Mais si du tout cesse ton exercice
Et que du feu la vertu s'appetisse*
(Qui entretient continuellement
Le fruit pour vrai, & lui donne aliment)
Tu ne fais rien, car dès que cessera
Le feu requis, l'oeuvre gâté sera
Lequel par art aucun, tant soit il rare
N'espère pas que ton travail répare,
Mais si tu veux la faute réparer
Tu te verras trop en vain labourer.
Mais si tu viens par contraire science
Croître le feu avec impatience,
Et que tu sois de l'attente fâché,
Certes cela que tu aurais cherché
Par un long temps laborieusement
Sera perdu en un petit moment.
Par quoi ayant magnanime courage
Pour te montrer ententif* à l'ouvrage
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122 Le troisième livre
Le coton tors à trois fils tu mettras
Dedans la lampe, & puis le lèveras
Avec secours d'un poinçon ou aiguille
Quand il sera enfoncé dedans l'huile,
Ou prendre en main tu ne te fâcheras
Petits ciseaux, dont tu le moucheras.
Contemple aussi le temps que l'Air se change,
Et qu'à sa force & vertu il se range.
Si un milieu de l'Eté il acquiert
Chaleur, ainsi que la saison requiert,
Malgré ton voeu la chaleur véhémente
De l'Air, sera que lors ton feu s'augmente,
Mais si le temps advient que l'Air endure
Les vents de Bise, & soit plein de froidure,
Contre ton voeu aussi apparaîtra
Que de ton feu la chaleur décroîtra,
Et si tu vois que le temps froid survient
Obvier dois à ce, car il convient
Que bien subit tout cela soit ôté
Que par avant y avais ajouté,
Ou vivement du fourneau diminue
Les grands côtés en forme plus menue,
Ou (au contraire) adonc la muraille
Sera fendue, incontinent travaille
De l'étouper de gras limon, en sorte
Que froid n'y entre, & sa chaleur n'en sorte.
Et ne te soit honte de condescendre
De prendre un crible & sasser de la cendre,
Laquelle après tu dois bien regarder
De sagement mettre, & accommoder.
Au tour du pot bouillant quand apparaître
Tu vois le fruit, qui commence à se croître.
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de la Chrysopée. 123
En commençant plus d'épaisseur avoir,
Et la couleur de pourpre recevoir.
Jusques à temps que vienne heureusement
L'Eté troisième, & qu'accomplissement
De ce temps-là, pour loyer & mérite,
A tes travaux la fin mette & limite,
Car aussitôt que la rouge couleur
Se montre pleine en sa force & valeur,
Il ne faut plus faire arrêt ou demeure
Que dans le pot on ne prenne sur l'heure
La poudre heureuse, & quand prise l'auras
Pour maint usage icelle garderas,
Ou si tu veux muer par vertu d'elle
Tous les métaux en espèce d'Or belle,
Ou si tu veux que Mortels affligés
Soient secourus & par toi soulagés
En leur ôtant fâcheuses maladies
Dont sont souvent leurs têtes étourdies.
Il n'est pourtant licite, ni requis
Compter les ans par nombres si exquis
Que rien n'y soit diminué, ou bien
Qu'il soit besoin de n'y ajouter rien:
Car quelquefois la matière éprouvée,
Ou plus habile & commode trouvée
Hâte son cours: & moins apte & plus tarde
Aucune fois son cours elle retarde
Ou si du feu la force est trop petite,
Ou excessive, & hors de vrai limite,
Ou que le temps, & lieu ne puissent être
En qualité semblable, & en un être,
De là sauras la forme & la raison
Pourquoi en longue, ou en brève saison
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124 Le troisième livre
Ce fruit tant noble, & exquis est produit,
Car nous voyons que des femmes le fruit
N'est point parfait, produit au mois septième,
Mais aussi vrai que celui de l'onzième.
Bien que cela l'on attribue aux Dieux,
Et au discours des planètes des Cieux,
Maints en y a toutefois, qui après
Tiennent ce fruit & poudre pour exprès
Dans le fourneau, au jour & nuit la flamme
Incessamment de plus en plus s'enflamme
Sept mois durant, jusqu'à-ce (comme ils tiennent)
Que poudre & fruit en épaisseur deviennent.
A quoi pourtant ne voudra consentir
L'homme prudent, qui de l'art doit sentir.
Vu que Nature en ses faits raisonnables
Jamais ne fait chose à cela semblable.
Si toutefois Nature a pris un pli,
Il est gardé par elle, & accompli
A tout jamais, & par elle est chassé
Ce qui répugne à son fait commencé.
A telle fin que ces choses pourtant
Fassent leur cours, pour te rendre content,
Ta fantaisie à ce soit adonnée
D'observer bien tous les temps de l'année,
Et si mon dire & conseil tu entends
Il est besoin commencer au Printemps
Auquel on voit que toute la machine
Du monde rond d'engendrer est encline,
Et auquel temps Nature apte & commode
A toute chose engendrer s'accommode,
A la teneur secrète de laquelle
En cheminant toujours sous ma tutelle
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de la Chrysopée. 125
Soigneusement tu te dois aviser
De toute chose au Printemps composer
Par mon conseil, qui t'a toujours été
Bon, & qui t'a toujours admonesté,
A telle fin que par ta forfaiture
Ayant laissé le chemin de Nature
En autre lieu ne puisse devenir
Pour n'avoir su le droit chemin tenir.
Sur le Printemps venu donc commande
Que pots de verre on fasse à ta commande.
Ce même temps soit la boue ordonnée
A bien bâtir fournaise & cheminée,
Où ne peut en rien nuire l'Hiver
Qui est passé, & l'Eté te grever,
Qu'il ne te soit permis que tu n'enflammes
A ton plaisir ton fourneau de grands flammes.
Par aventure ici tu veux savoir
Le nombre, & poids des choses, & avoir
Le jugement de bien les disposer
Premier que fin à cet oeuvre imposer,
Mais si tu sais compter parfaitement
Tu trouveras triple commencement,
En après deux, puis un seul, si ta vue
De jugement raisonnable est pourvue,
Et tous ces trois commencements compris
Seront en l'Or d'inestimable pris.
Et (qui plus est) toutes ces choses-ci
Tu comprendras dessous un nombre aussi,
Car nullement différentes ne semblent
Ces choses-là alors qu'elles s'assemblent,
Mais en leur poids alternativement
L'une avec l'autre use de changement.
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126 Le troisième livre
Et tout cela dont ores as notice
Tu traiteras de si grand artifice,
Et en cela seras si diligent
Que ceux qui l'Or sépare de l'Argent
Ne soient enclins à un tel appétit
De rien soustraire à nombre si petit,
Ni d'éplucher, & voir par le menu
Ce qui en peu de chose est contenu.
Auxquels convient des instruments user
Qui sont nommés Temples, sans s'abuser,
Pour ce qu'étant de verre entrelacés
Ainsi qu'un temple ils semblent compassés,
Et ont un pied de grandeur, & mesure
A telle fin que l'esprit ne s'assure
De pénétrer par aucune vertu
Ces pots construits comme t'ai ramentu.*
Et faut que là par manières subtiles
Deux plats toujours soient droits & immobiles,
Et pour autant ils prennent sans arrêt
Drachme d'Argent en la Masse, où l'Or est,
Puis cette drachme ils coupent d'un couteau,
Et la moitié d'icelle est mise en l'eau
Qui tout soudain se fond parmi les ondes,
En délaissant toutes les pièces mondes*
D'Or verdoyant, & du poids qu'elles ont
Au fonds de l'eau toutes noires s'en vont,
Où de les prendre ils font lors leur devoir
Et en un plat petit les recevoir.
Et nonobstant leur grand' légèreté
Leur poids par eux est su & arrêté,
Et cependant que sous cette partie
La main du Maître en ce bien avertie
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de la Chrysopée. 127
L'Or ja trouvé compte subtilement
Il trouve après ingénieusement
Combien en tout de l'Or, que bien il somme,
Lui peut monter la valeur & la somme.
Et néanmoins combien que tu reçoives
Nombres petits, & de poids user doives
Tu as assez d'une once seulement
Prise aux trois poids susdits, & sagement
(En ensuivant mon conseil & semonce)
Etudieras de gouverner cette once,
Ou bien si deux tu en prends d'aventure
D'y ajouter jamais rien ne procure
Car derechef t'apprendrai autres choses,
Et si elles sont en ta mémoire closes
Tu connaîtras pourquoi ton appétit
Se doit ainsi contenter de petit:
Ores ici te ferais l'ouverture
Par évidente & non feinte figure
De ce qu'au vrai je dois interpréter,
En m'efforçant de te manifester
Choses qui sont d'obscur'té étoupées,
De long erreur jadis enveloppées
Par les ouvriers, qui confessent après
Qu'ils ont voulu les celer tout exprès
Ni plus ni moins qu'un édit prophétique
Ou mandement de la Sibylle antique.
Donc, ô toi, ouvrier prudent & sage
A ce labeur dernier prend bon courage:
Ce labeur-là est bref, non difficile,
Mais d'homme riche usage très utile,
Et par ainsi prend soin premièrement
De fondre un peu de ce médicament
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128 Le troisième livre
Avec de l'Or, & ton oeil connaîtra
Que de la poudre heureuse apparaîtra
Incontinent la grand' valeur & force.
Ou derechef quand ton esprit s'efforce
Par le secours d'invention subtile
Cueillir de l'Or sa semence fertile
(Dont clairement nous avons su parler,
Et n'est besoin ici tout révéler)
Tu mêleras d'icelle poudre immense
Un juste poids avec cette semence,
Et les mettras ainsi sous un feu lent
Bien tempéré, & non pas violent,
Où par le temps de deux mois il me semble
Que tu les dois toutes deux cuire ensemble.
Par lequel temps de deux mois & espace
Apparaîtront les couleurs à ta face
En ordre tel, qu'en ébahissement
Par les trois ans tu les vis clairement.
Et lors prends tôt ces choses de grand prix
Ou en travail que longtemps tu as pris,
Et parvenu par le moyen & grâce
De l'art, auteur de ta fortune grasse,
Souvienne toi que cela toutefois
Il te convient faire souventefois
Et tant de fois que cela aura fait
Autant de fois cette poudre en effet
S'augmente & prend une vertu nouvelle,
Et sa vertu première renouvelle
Croissant toujours, & n'est (comme je crois)
Chose trop vaine à y ajouter foi
Tant cette poudre en force véhémente
Aucune fois si amplement s'augmente,
(Comme
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de la Chrysopée. 129
(Comme Anciens ont voulu protester)
Que si en Mer tu viens un peu jeter
De cette poudre acquise par art gent,
Et que la Mer fut lors tout vif Argent,
Par cette poudre & petite partie
La Mer serait tout en Or convertie,
Et qu'on pourrait adonc voir Neptune
Sur tous les Dieux avoir riche fortune,
Et dessus l'Or qui étendu serait
De Néréis la troupe se jouerait,
Et sécherait à ses plaisirs & voeux
L'Or pur mêlé aux bleus & pers cheveux,
Cette couleur bleue de grand valeur
Convient à l'Or sur tout autre couleur,
Où la couleur de l'Or à ce conforme
A qui l'Or roux pleinement se conforme.
D'un coeur banni, d'envie que j'avais,
Ces choses-là ainsi je décrivais
De l'art traitant l'usage & la manière
De faire l'Or, quand émotion fière
De toutes parts dessous sa fureur lie
Le grand troupeau du peuple d'Italie,
En tourmentant les hommes pacifiques
De long repos, par alarmes belliques,*
Par plaie & sang, par maux innumérables,*
Occision* des hommes misérables,
Le peuple étant mêlé avec les Princes
Qui en leur main ont Terres & Provinces,
Par qui assauts mortels étaient donnés
Aux pauvres gens, faibles & étonnés
Qui recevaient tourment plus redoutable
Que la mort n'est grave & épouvantable.
I
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130 Le troisième livre
En ce temps-là que discorde mortelle
Des ennemis régnaient, moi Jean Aurelle
Dessus la Mer Adriatique était
Où les plus grands de la ville hantais,
Où de vaquer aux Muses & étude
Je m'efforçais par grand' sollicitude,
Accommodant mon style poétique
Aux instruments des cordes de Musique,
Où t'ai aussi bien voulu labourer,
A graves dits de brocard colorer,
Puis t'ai osé faire oeuvres fantastiques
Qui composés sont de vers iambiques.
Et maintenant ainsi que réveillé
D'un creux sommeil, me suis appareillé
De déclarer quelle porte aperçue
Est le moyen de la présente issue,
Entre les deux portes où sont les songes,
Dont je n'ai pas écrit toutes mensonges,
Laissant la porte à corne, & illusoire,
Pour mieux sortir de la porte d'Ivoire.

F I N.
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